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RUSSIAN CIRCLES @ Bataclan (22/04/22)

Après avoir fait un arrêt au Roadburn Festival la veille, Russian Circles et Helms Alee s’apprêtent à fouler les planches du Bataclan. Une date d’autant plus attendue qu’elle a déjà été reportée à trois reprises. Récit d’un concert aux allures de vengeance.

Vers l’inconnu et au-delà

19h40. C’est devant un Bataclan plein de moitié que HELMS ALEE inaugure la soirée. A mi-chemin entre sludge expérimental et noise rock, le trio atypique propose une musique qui a de quoi décontenancer. Et pourtant, les puristes ne s’y tromperont pas. Avec six albums au compteur et plusieurs tournées en compagnie de Russian Circles, les Américains, également signés chez Sargent House, se sont forgés une belle réputation dans le milieu. Peut-être parce que la musique d’Helms Alee ne ressemble à aucune autre. Dans ce trio majoritairement féminin, chaque musicien ne se cantonne pas de sublimer son instrument mais participe également à l’effort vocal. La batteuse Hozoji Matheson-Margullis est incontestablement celle qui retient le plus l’attention. S’époumonant tout en martelant ses futs comme une guerrière, sa prestance est impressionnante.

Virement de bord

En anglais, “Helms Alee” designe une technique nautique signifiant “virement de bord“. Un nom on ne peut plus de circonstance pour qualifier la musique du trio. Changeante, étonnante, originale. Chaque titre vient redessiner les contours d’un style inqualifiable qui emprunte aussi bien au sludge, au noise rock qu’au southern rock ou au heavy metal. Le socle commun, c’est cette basse lourde qui s’accouple aux mélodies lancinantes d’une guitare abrasive. Morceau après morceau, le trio de Seattle instaure une mise en tension au moyen de rythmes pesants, jusqu’à un final à l’ambiance quasi chamanique qui termine de convaincre les derniers récalcitrants. Chapeau bas !

Le retour de l’hydre

Une demie-heure plus tard, l’autre trio de la soirée débarque sur scène sous des lumières bleutées et sous un tonnerre d’applaudissements. Il faut dire que RUSSIAN CIRCLES a une revanche à prendre ce soir. Celle, après trois reports, de nous présenter Blood Year, son septième album studio, sorti en… 2019 ! La batterie, suivi de la basse, entonnent l’introduction de “Arluck” pour la première fois aux oreilles du public français. Les Américains ont remis le courant et la foule s’électrise sans plus attendre.

Dans la sphère post rock et post metal, les Américains ont toujours eu une place à part. Déjà parce qu’ils ont la réputation de proposer un son méticuleux et parfaitement équilibré, ce qui se vérifie ce soir. La basse vrombissante, la distorsion cinq étoiles de la guitare et la batterie limpide créent immédiatement le frisson. Mais aussi parce que Mike Sullivan, le guitariste, a la propension de créer des loop de guitares, comme autant de tentacules sonores, qui font vite oublier qu’ils ne sont que trois sur scène. Cette particularité permet d’éviter le côté récitation par cœur inhérent à ce style de musique. Plus qu’une relecture musicale, c’est une réinterprétation où la nuance côtoie une intensité qui ne faiblit pas.

Puissance obscure

Ce qui frappe chez Russian Circles, c’est à quel point le groupe semble vivre et transcender sa musique. Pas de bonjour – ni aucun bavardage d’ailleurs – pas de headbang, les musiciens sont plutôt statiques et concentrés sur leurs instruments avec lequel ils semblent s’oublier pour faire corps. A en juger par la ferveur du public, ce comportement, plus professionnel que glacial, ne semble pas déplaire. La setlist de ce soir revisite l’ensemble du répertoire de la formation mais n’offre que très peu d’accalmies.

En mode rouleau compresseur, Russian Circles pioche dans la partie la plus sombre de son catalogue, flirtant parfois avec des ambiances qui n’ont rien à envier aux heures les plus sombres du black metal (“Afrika”, “309”). A défaut d’être nombreuses, les mélodies parviennent jusqu’à nos oreilles avec le goût du mérite (“Harper Lewis”). C’est peut-être l’unique reproche que l’on pourrait faire : très dense, le set manque de moments calmes. Les morceaux, à la fois longs et lourds, s’enchaînent mécaniquement et sans répit jusqu’au duo final redoublant d’intensité (“Vorel” / “Youngblood”). Pas de rappel, pas de bonsoir, un simple signe de main avant de quitter la scène. Il faut bien l’avouer : après 1h20 de set, la messe est dite.

Des monstres du son

Subtil mélange de sobriété et de professionnalisme, Russian Circles livre une performance qui transcende la partie la plus sombre de son répertoire. Avec un son hors pair et une musique encore plus intense que sur album, les Américains proposent une expérience sonore à la hauteur de leur réputation. Une réputation qu’ils n’ont définitivement pas volé.