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ROCK EN SEINE 2017 – Jour 2 (26/08/17)

Pour ce second jour de festival, les femmes sont à l’honneur : elles monopolisent la Grande Scène (PJ Harvey, The Kills, Jain) et les groupes masculins aiment se cacher derrière elles (Her, Girls In Hawaii). Après une première journée nuageuse axée rock, ce samedi laisse place au soleil et à l’éclectisme.

 

 

ULRIKA SPACEK (Scène Du Bosquet) – Shorts et tubes de crème solaire ont remplacé bottes et capes de pluies, et c’est sous le soleil qu’on se faufile entre les arbres pour atteindre la Scène Du Bosquet et rencontrer les Anglais d’Ulrika Spacek. Dans leur shoegaze brumeux et saturé, on décèle l’influence de l’hypnotique et répétitive techno berlinoise, ville qui a vu naître le groupe. Comme impressionnés d’être là, les cinq musiciens préfèrent se tourner les uns vers les autres plutôt que face à leur public et leurs yeux restent glués à leurs instruments. Mais plutôt que d’être rebutante, cette timidité participe à la lente progression en intensité du concert. La voix du chanteur Rhys Edwards est parfois recouverte par des guitares stridentes, parfois par des mélodies planantes. Et quand résonne “Modern English Decoration”, morceau-titre du deuxième album, difficile de ne pas penser à Radiohead. Un set tout en humilité qui ouvre de jolie manière cette deuxième journée.

 

 

BAND OF HORSES (Grande Scène) – On aurait bien aimé aller jeter un coup d’oeil aux prometteurs Français de LYSISTRATA, mais impossible de conjuguer leur set avec celui des Américains de Band Of Horses. Direction donc la Grande Scène et les hymnes ensoleillés de la bande de Seattle. Le backdrop forestier et les premières notes de “Is There A Ghost” plantent le décor de l’agréable ballade sur les routes américaines que nous a concocté le groupe. Privilégiant dans un premier temps les morceaux les plus entraînants de sa discographie, la joyeuse bande sort les guitares sur “New Apt.” et “Casual Party” et les choeurs sur la très country “Throw My Mess”, tirée du dernier album, “Why Are You OK” (2016). Le chanteur Ben Bridwell ne se défait pas de son sourire franc, et le bassiste, hilare, lance en français “Alors, on bronze ?”. Mais tout n’est pas rire et soleil sur les terres de BOH et l’insouciance laisse place à la nostalgie avec les poignantes “No One’s Gonna Love You” et surtout, “The Funeral”, toutes deux accueillies par des acclamations réjouies, réveillant finalement un public jusque-là réservé.

 

 

GIRLS IN HAWAII (Scène Cascade) – Retour sur l’autre côté de l’Atlantique avec les garçons belges de Girls In Hawaii. C’est aussi la rentrée pour le groupe, qui prépare la sortie prochaine de son quatrième album, “Nocturne”, prévu pour fin septembre. Alors ce concert, c’est l’occasion pour eux de tester leurs nouveaux morceaux sur scène, et ils ne s’en privent pas. On retiendra surtout l’excellent “Overrated”, mêlant avec merveille le folk rock propre à Girls In Hawaii à des sonorités électroniques, à grands renforts de synthés omniprésents. Des touches électro que l’on retrouve également sur le single “Walk”, balancé sur les ondes quelques jours plus tard. Humble et discret, la formation se fend de multiples mercis et d’un instant promo pour la tête d’affiche de ce soir, PJ Harvey. S’il y a quelques longueurs, elles sont vite compensées par plusieurs moments fulgurants, à l’image du dernier morceau, le tout aussi planant qu’envoûtant “Rorschach”.

 

 

JAIN (Grande Scène) – Bien qu’il ne soit que légèrement plus de 18h, on a l’impression d’aller assister au concert de la tête d’affiche tellement les festivaliers sont nombreux devant la Grande Scène. On a même du mal à trouver une place. Jain clôture ce soir une tournée de plus de deux cent dates et beaucoup de curieux sont venus découvrir le phénomène pop de l’année en live. Visiblement émue, la jeune femme lâche une larme en évoquant la fin de cette aventure, mais se charge vite d’énergies positives pour le reste de son set. Touchante et charismatique, la jeune femme s’implique à 100% pour inclure son public dans son concert, enregistrant ses voix sur “Come” et lui roulant dessus à l’intérieur d’une géante bulle transparente sur son tube “Makeba”. Ses encouragements incessants à chanter, sauter, se baisser, lever les bras sont usants à la longue et confèrent à l’ensemble un air de géant cours d’aérobic, mais ses mélodies accrocheuses et son enthousiasme sont tellement contagieux que même les plus réfractaires sentent au minimum leurs orteils s’agiter de leur propre chef. Du premier rang aux stands les plus éloignés de la scène, chaque festivalier s’essaye à des pas de danse. À défaut de vraiment nous convaincre sur le plan musical, le set de Jain offre un joli moment de communion insouciante au festival.

 

 

HER (Scène Du Bosquet) – De l’autre côté du Domaine, l’intimiste Scène Du Bosquet est elle aussi pleine à craquer pour l’un des sets les plus attendus du festival : celui de Her, le premier concert du duo rennais suite au décès de sa moitié, Simon Carpentier, deux semaines plus tôt. Du côté du groupe, surtout, mais aussi de l’audience, l’émotion est palpable. Quand, dès le premier morceau, le saisissant “We Choose”, une photo en noir et blanc de Simon sur scène le poing levé apparaît en fond, les acclamations sont nombreuses. La voix de Victor Solf n’est hésitante que lorsqu’il prend la parole pour évoquer son ami, retrouvant toute sa puissance de chanteur soul sur les morceaux de son groupe. Impeccable sur le somptueux “Blossom Roses”, l’un des derniers morceaux sur lesquels le groupe a travaillé au complet, elle fait frissonner tous les festivaliers. Plus pressante, elle les fait aussi danser sur “Neighborhood”, “Quite Like” et “Five Minutes”, repris en choeur par la foule. À mi-chemin entre la retenue et le lâcher prise, la présence de Victor Solf est captivante. Tous en noir, les quatre musiciens qui l’entourent rivalisent d’intensité (en particulier l’excellent bassiste), donnant aux morceaux une dimension live immense. Her ne fait qu’un, rassemblé par l’émotion, mais aussi – surtout- par une volonté, une rage évidente de continuer. À l’image de la formation, cet hommage à leur camarade disparu est d’une élégance folle et d’une profondeur à couper le souffle. Her signe avec ce magnifique moment cathartique l’un des meilleurs – si ce n’est LE meilleur – concerts de cette 15ème édition. De retour à Paris le 5 décembre au Bataclan, Her reversera une partie des bénéfices à l’Institut Pierre et Marie Curie.

 

 

THE KILLS (Grande Scène) – On se remet doucement de cette claque en prenant la direction de la Grande Scène. Empereur de la coolitude, The Kills débarque sur scène verres et clopes à la main. Le terrible tandem est accompagné de deux musiciens, un à la basse et au synthé et un autre à la batterie. Le british Jamie Hince fait résonner les premiers accords de “Heart Of A Dog”, tiré du dernier album “Ash & Ice” (2016), vite rejoints par la voix suave d’Alison Mosshart. Rayonnante, l’Américaine arpente la scène d’une démarche féline en agitant sa crinière blanche. Ne s’embarrassant pas d’une scénographie compliquée, le groupe laisse sa désinvolture branchée, ses riffs sexy et ses rythmiques répétitives faire tout le travail. Complices, Jamie et Alison enchaînent les classiques “U.R.A Fever” et “Baby Says”, échangent des regards sur tous les morceaux et partagent les rôles sur le bluesy “Kissy Kissy” : Alison empoigne une guitare tandis que Jamie l’accompagne au chant. Pas besoin de haranguer l’assemblée, les consignes semblent cachées dans les paroles. Quand Alison chante “put your hands up” sur l’électrique “Doing It To Death”, la foule ne se fait pas prier. Sur “Black Balloon”, plusieurs ballons noirs s’envolent au-dessus de la scène, comme un écho au “farewell my black balloon” susurrés par la chanteuse. La fureur incandescente du duo ne s’estompe qu’à la fin du set, alors que le ciel se teinte de nuances roses et orangées, et qu’il joue le délicieusement traînant “Monkey 23”. Comme un ultime témoignage du lien qui unit les deux inséparables depuis quinze ans, Jamie fait hurler sa guitare, debout sur scène, pendant qu’Alison clope à la main – évidemment -, l’observe de l’avancée un genou à terre, un sourire fier aux lèvres et les yeux remplis d’admiration.

 

 

LEE FIELDS & THE EXPRESSIONS (Scène Cascade) – Pendant que la nuit tombe sur Saint-Cloud, une ambiance festive règne sur la scène Cascade. Introduit dans les règles de l’art par son backing band The Expressions, “Mister Lee Fields” surgit dans une veste pailletée jaune. Du haut de ses 66 ans, ce vétéran de la soul s’applique pendant une heure à faire danser un auditoire qui s’y donne à coeur joie. Trompette, guitare, saxophone et batterie s’entremêlent derrière la voix puissante du fringant sexagénaire. Terriblement chic et survitaminé, le set apporte une touche groovy vintage à la programmation, comme une bouffée d’air frais au milieu de groupes au registre beaucoup plus sombre.

 

 

PJ HARVEY (Grande Scène) – L’atmosphère qui se dégage de la Grande Scène est radicalement différente. La nuit est pleinement tombée, des battements sourds de tambours retentissent. Telle une longue procession un peu morbide, PJ Harvey et ses neufs musiciens arrivent lentement en ligne sur scène, la Britannique au saxophone. Le roulement de tambours se transforme progressivement en “Chain Of Keys”, puis les morceaux du dernier album de PJ Harvey, “The Hope Six Demolition Project” (“The Ministry Of Defence”, “The Community Of Hope”), s’enchaînent. Entièrement drapée de noir, la maîtresse de cérémonie prend des allures de prêtresse, instaurant une atmosphère presque mystique. Le show, très théâtral, est hyper calibré, l’esthétique léchée. Passant de moments suspendus à des morceaux résolument plus rock, PJ Harvey et sa troupe retrace la discographie de l’artiste. Entretenant son personnage énigmatique, PJ Harvey rend sa parole rare, préférant remercier son public entre chaque morceau d’un regard reconnaissant. Elle ne s’exprime qu’à la fin pour présenter ses musiciens, tous réunis en ligne autour d’elle après la fin a ccapela de “River Anacostia”. Son fidèle compère John Parish est applaudi particulièrement chaleureusement. La troupe se réunit une ultime fois après un court rappel pour offrir une sublime version de “The River”, ensorcelant définitivement des festivaliers conquis. Si l’univers poétique de l’envoûtante PJ Harvey n’est pas forcément très accessible aux non-initiés, le retour de l’artiste quatorze ans après son premier passage par Saint-Cloud nous a captivés.

 

 

FRUSTRATION (Scène Industrie) – Pour ceux qui préféraient une alternative plus énervée à la tête d’affiche de ce soir, direction la Scène Industrie pour les incontournables de la scène punk française Frustration. Sous leurs airs de pères de famille respectables et leurs chemises bien taillées, les cinq musiciens ont de la hargne à revendre. Mené par le charismatique chanteur Fabrice Gilbert, qui salue son public d’un “salut les petits poulets !”, le groupe multiplie les riffs incendiaires des ses vieux morceaux et de ceux du dernier album, “Empires Of Shame”. S’en dégage une drôle d’atmosphère, à la fois oppressante et palpitante. Avant de jouer le dernier morceau, le chanteur s’époumone “Allez voir Sleaford Mods putain !”. On y va de ce pas.

 

 

SLEAFORD MODS (Scène Du Bosquet) – Il y a les connaisseurs et ceux qui, attirés par l’étrange cacophonie qui résonne dans la nuit, sont arrivés un peu par hasard et se sont retrouvés devant un spectacle tellement fascinant qu’ils ne sont jamais repartis. Sur scène, les deux punks anglais de Sleaford Mods, venus défendre le nouvel album “English Tapes”, offrent une vision saisissante. Devant, il y a Jason Williamson et son accent des Midlands à couper au couteau qui, de son flow ravageur, harangue la foule et crache les maux de la société anglaise. Derrière lui, son acolyte Andrew Fearn envoie des bandes sons répétitives et ultra entêtantes, puis se balance de manière robotique, une bière dans la main, la seconde dans la poche, en attendant de lancer le prochain morceau. Trempé et courbé, le chanteur-rappeur fait des bruits d’animaux et des blagues entre les morceaux, puis repart d’un ton grondeur sur ses cinglantes diatribes, mais il est malheureusement difficile de saisir toutes les paroles tellement son débit est incendiaire. Le mix turbulent de punk, hip hop et électro de ce duo tapageur ajoute une couleur inattendue à la palette déjà bien éclectique de cette deuxième journée.

 

 

Rock En Seine fait le pari de l’éclectisme pour son deuxième jour et ça marche : c’est le seul à afficher complet. Si les retours de têtes connues du festival (PJ Harvey, The Kills) furent à la hauteur des attentes, le concert des français de Her reste pour nous le grand moment de ce samedi.

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