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ROCK EN SEINE 2017 – Jour 1 (25/08/17)

Rachat, multiplication des festivals en Ile-de-France, surenchères des têtes d’affiches chez les concurrents, le défi était de taille pour cette nouvelle édition de Rock En Seine. Sans afficher complet, le festival, posant ses valises au Domaine National De Saint-Cloud chaque fin d’été, a tout de même tenu bon puisque 110 000 festivaliers sont venus souffler ses quinze bougies, égalisant le chiffre de l’année dernière. Moins clinquante que celle du nouveau venu Lollapalooza Paris, la programmation éclectique de haut niveau de cette 15ème édition a une fois encore permis au festival francilien de jouer son rôle de défricheur de jeunes talents, tout en offrant à ses fidèles festivaliers des incontournables de la scène actuelle.

 

 

FRANK CARTER & THE RATTLESNAKES (Grande Scène) – Si Rock En Seine est depuis toujours synonyme de clôture de saison estivale, l’automne semble avoir fait une arrivée prématurée cette année puisque, loin des températures caniculaires de l’année précédente, c’est sous une averse et un ciel maussade que les premiers festivaliers, drapés dans des capes de pluie et parapluie à la main, pénètrent sur le Domaine National De Saint-Cloud. Mais heureusement, quand Frank Carter & The Rattlesnakes débarquent à 15h30 pour donner un surpuissant coup d’envoi à cette 15ème édition, ils en profitent pour chasser la pluie. Lunettes de soleil sur le nez, slim panthère et cheveux roux flamboyant transparaissant sous une teinture rose délavée, l’explosif frontman et ses quatre serpents à sonnette font déferler leur punk incendiaire sur la foule, relativement conséquente pour un concert d’ouverture. Pas guéri de son incapacité à rester plus de cinq minutes d’affilée loin de son public, Frank Carter prend un bain de foule dès le second morceau, le détonnant “Lullaby”. Porté debout à bout de bras par une masse rebondissante, le frontman finit même la tête en bas, les pieds tendus vers le ciel. Quand il remonte sur scène, c’est pour donner un cours de circle pit “gros comme la Tour Eiffel” sur “Jackals” à une foule qui s’y reprend à plusieurs reprises pour le satisfaire ou encore pour filmer les gens rebondir d’un bloc après s’être baissés sur “Devil Inside Me”.

 

 

Festival oblige, la setlist se cantonne aux morceaux les plus accessibles de “Modern Ruin” (2017) et de “Blossom” (2015), excepté l’incisif “Paradise”, introduit par un hommage aux victimes du Bataclan et de Manchester. C’est peut-être toujours trop agressif pour certains non avertis, mais le charisme et la sincérité des Anglais collent un sourire sur la majorité des visages. Et si le leader semble prendre un malin plaisir à écouter le public lui scander le refrain venimeux de “I Hate You” au visage, c’est sur un message d’amour et de remerciement envers l’audience, les bénévoles, les équipes techniques et de sécurité et l’organisation qu’il clôturera ce set survolté.

 

 

CABBAGE (Scène Cascade) – Figure montante de la scène mancunienne, la bande co-leadée par les chanteurs Lee Broadbent et Joe Martin envoie son post punk crasseux sur la seconde plus grande scène du Domaine. Sous une posture légèrement surjouée de rockers british je-m’en-foutistes, le groupe cache une urgence palpable et un discours politique tranché. Portés par des riffs tranchants et des coups de batteries effrénés, les deux chanteurs se succèdent pour déclamer avec cynisme leur position anti-austérité. Le plus charismatique Joe Martin, torse nu, flâne sur le devant de la scène en déblatérant les paroles de “Terrorist Synthesizer” et “Dinner Lady” tel un storyteller, puis laisse place à Lee Broadbent qui se roule par terre et part au contact de son auditoire sur les tout aussi chargé politiquement “Kevin” et “Uber Capitalist Death Trade”. Bordélique à souhait, brut et redoutablement efficace, le premier concert de la bande à Paris est un succès.

 

 

THE PRETTY RECKLESS (Grande Scène) – Retour sur la Grande Scène pour l’un des sets les plus attendus de la journée. Les fans se pressent aux premiers rangs tandis que des festivaliers, intrigués par les gémissements féminins retentissant dans tout le site, remplissent peu à peu l’espace. Passé cette intro désormais incontournable avant chaque concert de The Pretty Reckless, le quatuor embraye sur le détonnant “Follow Me Down”. En noir de la tête aux pieds et cachée derrière d’épaisses lunettes de soleil, Taylor Momsen déambule sur la scène et prend la pose mais elle semble distante et chaque geste paraît calculé. En enchaînant “Prisoner”, “Oh My God” et “Hangman”, la formation fait la part belle à son nouvel album, “Who You Selling For” (2016), déjà défendu au Bataclan en janvier dernier.

 

 

Mais la voix de la chanteuse, couverte sous les tonitruants riffs de ses bandmates et desservie par un son médiocre, peine à se faire entendre et les morceaux se confondent les uns avec les autres. Il faudra attendre la ballade “Who You Selling For” pour inverser la tendance. Glissant un commentaire sur la situation du monde avant “Living In The Storm”, la frontwoman retrouve son charisme habituel et entraîne avec elle un public jusque-là relativement passif. Les tubes “Heaven Knows” et “Going To Hell”, repris en choeur par les premiers rangs, viennent réveiller un set long à démarrer et globalement décevant, sans pour autant conquérir les festivaliers de passage.

 

 

BEACH FOSSILS (Scène du Bosquet) – Après un slalom entre les flaques de boue, on arrive à l’autre bout du festival. Parmi tous les groupes à guitares furibondes de la journée, la pop atmosphérique des New-Yorkais de Beach Fossils fait figure de halte apaisante. Menée par Dustin Payseur, la formation flotte entre ses anciennes compositions dream pop qui ont façonné son son et les sonorités plus expérimentales, à l’image de “This Year” et de l’enivrante “Sugar”, empruntées à “Somersault”, son album publié en juin dernier. Scéniquement, la bande opte pour la sobriété et glisse des déclarations d’amour à son public entre chaque morceau. Comme pour illustrer cette douceur, des bulles de savon errent tranquillement au-dessus de la foule, définitivement charmée quand résonne pour finir le final tumultueux de “Closer Everywhere”.

 

 

AT THE DRIVE-IN (Grande Scène) – Sur la Grande Scène, guitares saturées et leader démonstratif sont une nouvelle fois au programme. Exclusivité française de cette saison, les chaotiques Texans d’At The Drive-In sont venus défendre “In·ter a·li·a” (2017), leur tout nouvel album publié dix-sept ans après le dernier et mythique “Relationship Of Command”. À moins que l’on assiste en fait au concert de The Blue Men Group de Las Vegas, la bande étant présentée comme tel par son perché chanteur Cedric Bixler-Zavala, en référence aux tenues entièrement bleues portées par chacun des membres. Fidèle à sa réputation, le leader fait le pitre et sillonne la scène sans relâche, évoque Bernie Sanders, se roule par terre, fracasse son micro sur le sol, se cache sous une boîte, grimpe sur la batterie de Tony Hajjar et s’improvise même caméraman. Le tout, sous le regard impassible de ses acolytes, trop occupés à faire exploser les tympans des festivaliers en balançant des riffs acérés et des rythmiques enragées. Le nouveau “Governed By Contagions” et le culte “One Armed Scissor” déclenche quelques réactions excitées dans une foule majoritairement calme, et c’est avec quinze minutes d’avance qu’At The Drive-In met fin à un set survolté mais un poil bâclé.

 

 

THE JESUS AND MARY CHAIN (Scène Cascade) – Les deux frères Reid viennent fêter les dix ans de leur premier passage à Rock En Seine en revenant au festival avec une discographie -enfin- étoffée d’un nouvel opus, “Damage And Joy”. Mais sans surprise, c’est plutôt le reste de leurs albums qui a attiré la foule devant la scène Cascade. Essentiellement composé de nostalgiques quadras et quinquas, l’assemblée plonge dans l’atmosphère ténébreuse du groupe de Glasgow. Assagi et semblant un peu éteint, Jim Reid, au micro (qu’il partage sur certains moments avec la douce voix de Bernadette Denning, la petite amie de son frère William), communique rarement, laissant sa voix suave envoûter son auditoire sur les indémodables “April Skies” et “Just Like Honey”. Sublimé par un très bon son, le groupe écossais signe un concert techniquement impeccable mais un peu trop sur la réserve.

 

 

FRANZ FERDINAND (Grande Scène) – Toujours en Écosse, place à la tête d’affiche de ce premier soir. Leur backdrop coloré trône sur la Grande Scène : après de multiples passages par le Domaine De Saint-Cloud, ces habitués du festival ont fini par se hisser en haut de l’affiche. Sans nouvel album depuis 2013 (en dehors de l’escapade FFS en 2015), Franz Ferdinand n’a pourtant rien perdu de sa réputation scénique et beaucoup de monde est venu se trémousser avec la bande d’Alex Kapranos. L’efficacité redoutable de ses pépites fun et accrocheuses frappe encore et tout le monde se déhanche sur “No You Girls”, “Do You Want To”, “Jacqueline” ou encore “Michael”. Très en forme vocalement, Alex Kapranos et sa chevelure désormais blanc neige multiplie les pas de danse et parle un français plus ou moins correct pendant tout le set. Nick McCarthy en moins, un nouveau guitariste et un claviériste en plus, le quintette tease aussi un probable album à venir avec plusieurs morceaux inédits prometteurs (“Lazy Boy”, “Papers Cages”, “Huck & Jim”, “Always Ascending”).

 

 

Les déhanchés intéressés que les musiciens déclenchent ne sont évidemment rien comparés à la rafale qu’entraînent l’incontournable “Take Me Out” ou l’irrésistible “This Fire”, sur lequel le public s’accroupit avant de sauter d’un seul homme sous la commande du leader. Franz Ferdinand a pris quelques rides mais pas leurs morceaux, et si sa présence en headliner pouvait laisser songeur puisque sans nouveau matériel officiel à présenter, les quelques inédits joués ce soir montrent que les Ecossais n’ont pas fini de nous faire danser.

 

 

ALLAH-LAS (Scène Du Bosquet) – Après avoir été forcé d’annuler un concert trois jours plus tôt à Rotterdam en raison de la présence d’une voiture piégée près de la salle dans laquelle il devait jouer, les Américains d’Allah-Las sont de retour sur scène avec leur surf rock aux accents psychédéliques. Faute à une programmation trop tardive (leur univers lumineux et poétique appelle plus à un après-midi ensoleillé qu’à une fraîche nuit parisienne), à une actualité pesant sur la formation et sur le public ou à une quelconque autre raison, le quatuor ne parvient pas complètement à nous extirper du parc de Boulogne-Billancourt pour nous embarquer dans sa solaire Californie, malgré sa vibe feel-good 60’s savoureuse.

 

 

(Scène Cascade) – L’ambiance est plus à la fête sur la Scène Cascade. Nouvelle reine du featuring, la danoise MØ, Karen Marie Ørsted de son vrai nom, est venue montrer qu’elle est bien plus que la voix féminine du méga tube “Lean On”. Entourée de trois musiciens (guitare, batterie, synthé), la charismatique jeune femme ondule sur les morceaux électro-pop de son premier album, ainsi que sur les deux récents singles “Kamikaze” et “Final Song”. Faire chanter du Justin Bieber aux festivaliers de Rock En Seine ? Défi relevé pour MØ, puisqu’elle offre une version épurée de “Cold Water”, son duo avec le chanteur canadien. Confettis, fumée, aisance scénique et proximité avec ses fans, toutes les cases d’un bon show pop sont cochées. Sur l’incontournable “Lean On”, elle finit même dans son public, faisant grimper une ambiance déjà électrique à un niveau rarement atteint dans la journée.

 

 

BLACK LIPS (Scène Du Bosquet) – Au DJ set du prodige de l’électro australien FLUME, on préfère les Américains mi-punk mi-hippies de Black Lips. Vestes en cuir, looks débraillés et bières un peu partout sur scène, la bande d’Atlanta joue à fond la carte du groupe de rock bordélique, à l’image de sa musique. Braillard et teinté 60’s, son rock garage est tantôt percutant (“Can’t Hold On”), tantôt traînant (“Boys In The Wood”, “Veni Vedi Vici”), parfois planant (“Crystal Night”). Des gens surgissent des coulisses pour slamer, quelques pogos éclatent, le chanteur Cole Alexander et le bassiste Jared Swilley échangent des blagues entre chaque morceau. Au milieu de ce joyeux bordel, le quintette s’attaque à Jacques Dutronc en tentant une reprise de “Hippie Hippie Hourrah”, foutraque, forcément.

 

 

Les premières notes des concerts d’ouverture ont suffi à chasser les nuages du Domaine National De Saint-Cloud. Loin d’afficher complet, cette première journée du festival fut pourtant d’un excellent niveau (malgré la petite déception The Pretty Reckless), entre retour de valeurs sûres (Franz Ferdinand, At The Drive-In, The Jesus & Mary Chain) et nouveaux venus à Rock En Seine très prometteurs (Frank Carter & The Rattlesnakes, Cabbage).

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