
Presque quatre décennies après avoir électrisé la scène indus, Nine Inch Nails reste un maître incontesté de l’expérimentation scénique. À l’Accor Arena, Trent Reznor et sa bande ont livré un show total, où chaque détail visuel sublime la puissance brute d’une musique qui ne cesse de se réinventer. Retour sur une soirée qui rappelle à tous pourquoi NIN est, encore et toujours, un groupe à part.
Un prologue industriel mitigé
Les lumières s’éteignent un peu en avance et c’est le trouble dans le public lorsque les spectateurs réalisent que le son vient de derrière. Une petite scène est en effet installée au fond de la salle pour accueillir BOYS NOIZE, chargé d’assurer le tour de chauffe. La musique électro indus peine à convaincre : un peu trop répétitive, un peu trop monotone, c’est longuet. Cela laisse le temps d’observer plus attentivement le dispositif de ce soir. La grande scène, recouverte d’un voile, se présente comme un cube géant. Au milieu de l’Arena, une petite scène centrale intrigue. Au plafond, un couloir de lumière rouge relie le tout.
L’émotion à fleur de peau
Après plus d’une heure de set, Trent apparaît seul sur la scène centrale. Installé derrière son piano, il entame “Right Where It Belongs”. C’est magique. Tout simplement magique. Dans le silence presque total de l’Arena, on entend presque le souffle du public se retenir, comme si chacun mesurait le privilège de voir Trent Reznor si vulnérable, seul face à son piano.
Au fur et à mesure, chaque musicien fait son entrée, suscitant toujours plus d’émotion dans l’auditoire et faisant grimper l’intensité d’un cran sur scène. La voix de Trent Reznor porte chaque nuance des morceaux. L’éclairage reste sobre, tout est centré sur l’artiste. Les poils se dressent, quelques yeux s’humidifient. Le premier acte se conclut sur un excellent “Piggy (Nothing Can Stop Me Now)”, révélant le batteur seul sur la grande scène. Les images le projettent sur les voiles : l’effet est saisissant.
Une mise en scène captivante
L’acte 2 ouvre sur une mise en scène tout simplement hallucinante. Les images ondulent sur les voiles, créant une atmosphère hypnotique. “March Of The Pigs” retourne l’Arena avec sa violence maîtrisée. Brutal, chaotique, c’est l’un des titres les plus explosifs de NIN. Véritable symbole de la rage à l’état pur qui anime le projet depuis ses débuts. Mais c’est “Reptile” qui offre la première grande claque de la soirée. Le son est massif, lourd, chaque battement résonne dans tous les corps. C’est toute la noirceur rampante de NIN qui éclate. Les basses écrasent la poitrine, les lumières semblent mordre l’air, et pour un instant, on se sent piégé dans une cathédrale de metal et de sueur. Visuellement, le jeu de lumières vert et bleu captive. Du grand art.
La sobriété revient pour “Copy Of A”. L’homme en noir, dans son décor noir, joue sur l’idée de répétition, d’identité et de perte de singularité. C’est juste parfait. Ces dernières années, Nine Inch Nails a ralenti le rythme des tournées, préférant se concentrer sur ses projets studio et ses incursions dans la musique de film. Un domaine où Trent Reznor et Atticus Ross ont cueilli un Oscar et un Golden Globe pour leurs partitions en clair-obscur. Voir NIN remonter sur scène aujourd’hui, c’est assister à un moment rare où l’angoisse industrielle côtoie la grâce.
Une cage de lumière pour capturer le chaos
Pour l’acte 3, retour sur la scène centrale, tout en fluidité. Tout est soigneusement millimétré. C’est du Nine Inch Nails pur jus. Le remix avec Boys Noize de “The Warning” et “Vessel”, issus de Year Zero, fonctionne à merveille. Musicalement, cela donne un relief nouveau à ces titres moins connus du registre du groupe. Mais ce qui bluffe surtout, c’est la scénographie. Un cadre carré de projecteurs encadre la scène, créant un nouveau tableau à chaque titre. Une cage lumineuse se forme, avant que les faisceaux ne virent au bleu-vert, évoquant presque des méduses flottantes. Du jamais vu, et exactement ce qu’on attend d’un concert de Nine Inch Nails.
NIN, c’est plus de 35 ans d’expérimentations, de recherche sur les ambiances, les textures sonores. Une soif constante de repousser les limites pour retranscrire une palette d’émotions toujours plus vaste. Ce souci se retrouve non seulement dans la musique mais aussi dans cette volonté de transformer chaque tournée en expérience unique. Ce soir à l’Accor Arena, le pari est gagné. Les jeux de voiles, d’images, d’effets d’ombres ou la projection de lumières vives, tout est savamment orchestré pour produire un effet quasi irréel.
L’illusion scénique comme prolongement du son
Retour sur la grande scène pour la dernière ligne droite. Le groupe envoie du lourd, du lourd et encore du lourd. L’enchaînement “Heresy” et “Closer” est tout simplement imparable. Les passages les plus indus, les plus lourds prennent une ampleur folle, tandis que les parties plus électro gagnent une nouvelle jeunesse. Le déferlement de hits se poursuit jusqu’au cultissime “Head Like A Hole”. Un moment de communion où l’audience s’incline devant celui qu’elle vénère. Quelle classe, quel panache, à plus de 60 ans. Et bien sûr, un concert de Nine Inch Nails ne peut se clore sans “Hurt”. Le titre conserve une puissance intacte lorsqu’il est repris par 16 000 voix à l’unisson.
Nine Inch Nails a rappelé ce soir qu’il reste le maître de la mise en scène. Un show époustouflant, riche de modernité et d’audace.