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JACK WHITE @ Studio 104 (20/04/12)

John Anthony Gillis est l’un des musiciens les plus emblématiques du revival rock. Mais il n’aurait pas marqué les années 2000 s’il n’avait pas troqué son véritable nom contre le pseudonyme de Jack White (III), les récits foireux et les vestes excentriques. Vendredi dernier, l’ex-deuxième moitié du duo indie rock The White Stripes a présenté son premier album dans le studio 104 de la chaine cryptée. Après de nombreuses collaborations (The Raconteurs, The Dead Weather et pas mal de production artistique), Jack revient en solo… mais entouré d’un double band et de tourers amish. En pleine campagne de promo, deux jours avant son concert- (plus ou moins) surprise à La Cigale, il enfile une veste bleu électrique et joue pour le “Live De La Semaine”, le curieux et tant attendu “Blunderbuss”.


Le chauffeur de Canal+ veille à ce que tous les spectateurs soient bien installés et les briefe. Ce soir, Jack White jouera près d’une quinzaine de morceaux et sera accompagné d’un groupe masculin, puis d’un groupe féminin. Concept zarbi. Surélevé sur ses bottines à talons, Jack White traverse la salle et prend place derrière le micro, tandis que les Buzzardos, dans leurs tenues classiques inspirées de l’imagerie blues, prennent possession de leurs instruments. Le set commence avec le premier titre de l’album, “Freedom At 21”. Sur scène, White et son band réunissent décontraction, générosité, spontanéité et rigueur. En gros : comme d’hab, et comme sur la version studio, c’est carré, sale et lourd à la fois. Et la chimie opère à 100%. Parfaitement maître de la situation, White s’installe derrière l’un des pianos pour interpréter “Weep Themselves To Sleep” et sa structure très classique. Lorsqu’il se lève pour exécuter un solo de guitare à la fin du morceau, les spectateurs intimidés s’excitent. La dextérité de Jack White lui a fait acquérir un statut de guitar hero, alors on s’attend bien évidemment à ce qu’il fasse sortir des sons hallucinants de ses guitares. Dans un registre un peu différent, on associe aisément la rythmique quasi-hip hop de “Missing Pieces”, marquée par les notes du piano, au style de White. Pour faire plaisir à aux fans, le groupe reprend “Top Yourself” des Raconteurs et “I Cut Like A Buffalo” de Dead Weather. Bref, cette performance est l’opportunité pour Jack White de montrer toute l’étendue de son talent. Lorsque le groupe masculin quitte la scène, on se demande ce que White peut encore proposer.

 


Les tourers amish déboulent sur scène pour changer le matériel. Ces personnages font forcément penser à des références culturelles proches des clichés. En tous cas, on réalise que White se balade avec une grande communauté assez hétéroclite. Pas si zarbi. Lorsqu’ils ont terminé, le band féminin, les Peacocks, fait son entrée : six nanas vêtues de bleu pâle/bleu rêve s’installent. Pour bien commencer cette seconde partie, White balance le riff de “Sixtines Saltines”. Sur ce single crade estampillé White, les filles sont à fond : la percussionniste perd ses baguettes et dégonde la cymbale gauche à plusieurs reprises, la joueuse de lap steel surfe au-dessus de sa guitare… et dans un coin, au fond à droite, juste à côté de la violoniste rousse qui semble peiner à trouver sa place sur la scène du studio 104, une poupée noire se meut avec grâce tout en agitant un tambourin. Hors du temps, elle accompagne Jack au chant sur “Love Interruption” de sa voix chevrotante et sucrée. Dans le clip, elle paraît avoir fait un bond dans le temps de cinquante ans. Dans la vraie vie, on a le même sentiment qu’elle appartient à une dimension spatio-temporelle différente. Cette balade passionnelle (“I want love to roll me over slowly, stick a knife inside me and twist it all around” / Je veux que l’amour me retourne lentement, enfonce un couteau en moi et le tourne autour de mon corps) a de quoi séduire, avec son rythme lent et sa texture sensuelle. Du côté du public, tout baigne. Les spectateurs qui ont déjà écouté The White Stripes et/ou possédaient un poste de radio en 2005 reconnaissent “My Doorbell”, sur lequel la batteuse s’en donne (encore) à coeur joie. Cette good vibe qui traverse tous les musiciens semble atteindre l’assistance. Sous le charme et impressionné par la richesse des compositions de White, le public gratifie l’ensemble d’applaudissements à la fin de ce live étonnant.

 


Avec “Blunderbuss”, la musique de Jack White accède à un niveau de qualité impressionnant. D’autres titres que ceux repris vendredi soir valent la peine d’être écoutés, comme “Hip (Eponymous) Poor Boy”. En plus de susciter la curiosité, le dispositif du live met en valeur la couleur de ces titres et l’image publique de leur auteur. Après le concert, et au moment où l’on écoute la version studio de cet étonnant album, on réalise que l’on a fait une expérience inédite avec un grand artiste étrangement pâle et toute une troupe de musicos et assistants véhiculant les fantasmes de l’Amérique old school. Troublant, artificiel peut-être, efficace sans doute, ce spectacle renforce la conviction que l’on a fait une rencontre stimulante avec tout ce qui émane directement du blues et que, de ce fait, “Blunderbuss” est un album essentiel. Jack White peut donc poursuivre ses lumineuses aventures musicales avec constance, et continuer d’éviter les coups de soleil.

 

Le concert privé de Jack White sera diffusé mercredi 2 mai à 00H00 sur Canal+. Le 5 mai, “L’Album De La Semaine” consacre sa 300ème émission à Jack White. Rendez-vous à 11H30, en clair sur Canal+.

 

 

Crédit photos : Philippe Mazzoni/Canal+.