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FESTIVAL PAPILLONS DE NUIT 2015 – Jour 2 (23/05/15)

À Saint-Laurent-De-Cuves, on n’est à l’abri de rien, et certainement pas de passer une bonne soirée pour la journée “rock” de cette 15ème édition. Le teaser, lancé par une voix grave et suave, se résumerait à ça : des averses, des guitares, des Américains, des Belges et des Anglais (le tiercé gagnant du rock), des déceptions et des découvertes. Émissions de télé-réalité, allez vous rhabiller ! (Non mais en vrai… rhabillez-vous, pitié).

 

 

On commence avec MALO’ sur la petite scène Érebia, et malgré sa dégaine de premier de la classe d’un collège privé anglais, on apprécie l’aisance toute naturelle de la jeune découverte du Cargö de Caen. Sa musique, à son image : fraiche et lumineuse, inspire immédiatement un élan de sympathie irrépressible. Sa voix rappelle un peu Adrien Gallo, et pourtant il n’est pas tête-à-claques pour deux sous. Sa musique est un agréable mélange de folk voyageuse et de sons ou samples plus électro et modernes. Ne nous y trompons pas, en dépit de son jeune âge, Malo’ sait s’y prendre avec un public vu qu’il a largement tourné, notamment en Australie. Une jolie découverte, à n’en pas douter.

 

 

Si Malo’ a ramené dans ses bagages le Serpent-Arc-en-Ciel aborigène, au moins l’a-t-il convaincu de ne pas faire tomber la pluie. Deuxième déception de la soirée, la pluie annoncée ne tombera pas, rangez vos bottes neuves, achetées pour l’occasion, Malo a ouvert une éclaircie pour nous mener jusqu’aux Californiens de SAINT MOTEL. Sans conteste l’une des plus belles surprises de la soirée, avec leurs tubesques “My Place” et “Puzzle Pieces”. Il n’y a certes pas plus cliché que de poser Saint Motel dans la case du “rock californien”, ni plus cliché que le rock californien. Oui mais voilà, n’en déplaise aux ironiques acides-amers, les pieds dans le gazon, la truffe au vent et un rayon de soleil doré dans les yeux, sur ces accords lumineux de guitares, ces personnages un peu déglingos mais joyeux, cette basse et ce sax funky, on pense “rock californien”. C’est cliché, mais c’est tellement bon. D’ailleurs, les festivaliers qui commencent à émerger arriver ne s’y trompent pas et se précipitent en masse pour danser au plus près de la scène.

 

 

Il valait mieux être échauffé en effet, car avec IZÏA qui déboule sur scène, pied au plancher, comme un boulet de canon, pas de rattrapage pour les retardataires ou les traînards ! Cette boule d’énergie, toute en sautillements, cheveux, cuisses et mini-jupe, on se la prend comme une claque en plein visage. Elle offre notamment un show particulier pour les premiers rangs avec cette mini-jupe qui n’en finit pas de remonter. Pendant tout le début du set, elle alterne judicieusement nouveaux et anciens morceaux, avec la même énergie, mais apportant une touche plus novatrice dans ses nouveaux morceaux de “La Vague“, plus travaillés et plus électro (on compte jusqu’à huit claviers sur scène !). Sa voix même est plus subtile en français, sans rien perdre en panache, et gagnant davantage en maîtrise. Se posant quelques micro-secondes, elle confesse avoir horriblement chaud et sans y penser, vide l’intégralité de sa bouteille d’eau sur sa tête, geste qu’elle réitèrera plusieurs fois. Son maquillage qui coule lui donne l’allure d’une guerrière qui lui va terriblement bien. À son image, les premiers rangs sont aspergés d’eau parce que, pour cause d’Izïa ou de soleil, il fait férocement chaud. Izïa est surexcitée, et elle nous entraîne dans cet état un peu cocaïné. “Vous êtes beau !”, elle se roule, se jette, crie et donne tout, sans calcul. Sa performance scénique prend tellement de place qu’au final elle finit par manger la musique. Izïa est une ogresse, qui se décuple et dévore ses musiciens, sa musique, ses chansons. Il ne reste qu’elle, mais c’est déjà pas mal.

 

 

Avec TRIGGERFINGER en revanche, place (et quelle place !) à la musique ! Peu connus du grand public, ils commencent devant une audience aussi clairsemée que le crâne d’un quadra. Pourtant, devant l’épaisseur du son de basse, la puissance de la batterie et l’énergie de la guitare, on ne peut qu’être aimanté vers la scène. Avec humour, élégance et force, ils donnent une belle leçon de virilité musicale, apportant ce qu’il faut de talent et de sens du jeu pour convaincre les indécis qui affluent vers la scène. Classieux et fous, le batteur Mario Goossens fait le pitre derrière son kit sans en mettre une à côté tandis que le chanteur/guitariste, Ruben Block, s’offre un petit slam sans s’arrêter de jouer. Il faut dire que l’assemblée est réellement chauffée par Triggerfinger : ça saute, ça siffle, ça crie pour demander un rappel, et ça fait les cornes du diable avec ses doigts. Rock rules. Le groupe esquisse un dernier au revoir et lance un élégant remerciement destiné à l’ensemble des acteurs du festival, pour qui nous avons également une pensée. Portons un toast à tous ces héros anonymes que sont les agents de sécurité, tentant de raisonner les déraisonnables, les équipes de nettoyage du site et des toilettes, levées dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne, pour une tâche qui n’a rien de très poétique.

 

 

Si les spectateurs ne se sont pas trompés sur la qualité et la générosité de la prestation de Triggerfinger, il n’est pas dupe non plus de celle délivrée par CARL BARÂT AND THE JACKALS. Peu de monde reste devant le concert, et les rares devant sont peu captivés et plus occupés à tenter de pogoter (à mi-chemin entre un circle pit slow motion et la “chenille”) ou slamer (peu et mal, l’intérêt du slam, on le rappelle, n’étant pas de porter son pote à travers la foule). Le flegme et le détachement légèrement je-m’en-foutiste du punk à l’anglaise de Carl Barât sont difficiles à décrypter pour un auditoire en mal de références, et bien plus, sa présence scénique de dilettante ne suffit pas pour convaincre l’assistance qui ne connaît pas ses morceaux, reconnaissant à peine un titre des Libertines parmi le pot-pourri des morceaux originaux, des reprises des Libertines ou de son album solo éponyme. Et pourtant ! Une présence magnétique à défaut d’être exubérante, un répertoire d’une subtilité féline et une voix qui sent bon le perf’ en cuir perforé de badges et de patchs. Comment ne pas aimer ! Mais voilà, en festival on ne se débarrasse pas du contexte comme on rentre dans une salle en claquant la porte derrière soi. Carl Barât And The Jackals ne font pas de rappel, et d’ailleurs le public n’en a pas demandé. Il est parfois des rencontres qui ne se font pas.

 

 

Et il en est d’autres pour lesquelles on en cherche encore la raison. C’est le grand mystère CARBON AIRWAYS. Pour nous, on peut résumer la performance à des beats grotesques et ennuyeux, des chants faux et des effets sonores cheaps. D’ailleurs, on pourrait s’arrêter là et dire qu’on est allés choper une bière et une galette-saucisse au bar, se serait tout aussi intéressant. Et pourtant, la foule est folle, hystérique, transcendée devant Carbon Airways. Mais qu’est-ce qu’il nous manque pour adhérer ? Deux litres d’alcool fort et quinze ans de moins, probablement. Voilà le souci avec les phénomènes : si vous n’avez pas été embarqués, vous restez comme un con sur le quai, à chercher pourquoi.

 

 

Imaginez vos parents se posant les mêmes questions, à l’époque de PLACEBO. Qu’est-ce qu’on pouvait bien lui trouver à ce Brian Molko, avec son look de professeur Rogue avant l’heure et sa voix nasillarde ? La même chose qu’aujourd’hui en fait, Placebo n’a pas tellement changé. Plus nombreux sur scène, on compte jusqu’à six musiciens, dont trois guitares, une violoniste/claviériste, un batteur, et un bassiste/claviériste. Placebo, c’est touchant comme un vol de corbeaux. Ils jouent aussi bien des mélodies aériennes, subtiles et belles que des morceaux comme des charognes, plus fétides. Les ados mal à l’aise sont devenus des adultes maladroits qui ont quelque part oublié leur rébellion teenage. De manière assez naturelle, Placebo enchaîne les nouveaux et anciens morceaux. On réalise vite qu’il y a pas mal de tubes et que la formation a connu plusieurs vies, peut être neuf comme les chats. On sent tout de même une certaine sérénité, ou est-ce du détachement, une forme de langueur ? Mais la démence n’est jamais bien loin, et telle une araignée elle se faufile sous ces lumières froides, dans ces guitares stridentes, lancinantes, dans ce Stefan Olsdal lascif à la basse sur “Special Needs”. Peut-être qu’on est juste nostalgique, mais voilà un concert qui nous aura donné envie de réécouter Placebo, notamment leurs nouveaux titres et de se réconcilier avec notre ado boutonneux intérieur parce que, oui, il a des choses intéressantes à dire.

 

 

On ne lancera pas immédiatement après Placebo le riot en mettant le feu aux poubelles (ça tombe bien, on n’en a pas trouvées beaucoup sur le site) parce que voilà FAKEAR un Uber version tapis volant, prêt à vous faire voyager les oreilles. Nouveauté cette année, il tourne avec trois musiciens, et c’est vraiment la petite touche qui manquait pour apprécier pleinement sa musique en live. Même si la présence des musiciens reste subtile, elle fait le lien, sert de prétexte pour s’adresser un peu au public et ramène de l’humanité dans un set de DJ, merci. Le son de qualité sert la dextérité du jeune Caennais qui aime nous transporter dans des univers oniriques et exotiques. Il nous peint, avec ses morceaux, autant de paysages en relief et en couleur si bien que sans y penser, on a déjà la tête sur l’oreiller.

 

 

L’une des plus belles journées aux Papillons de Nuit.

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Anthony Bé
Fondateur - Rédacteur en chef du webzine RockUrLife