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DEAFHEAVEN / MYRKUR @ Le Trabendo (08/03/16)

Voilà quelques années que les Américains ne s’étaient pas rendus en France, leur dernier passage remontant au Pitchfork Festival en 2013, où ils étaient venus défendre l’excellent et très remarqué “Sunbather”. Presque trois ans et un album plus tard, il est l’heure de voir si Deafheaven n’a rien perdu de sa fougue légendaire.

20h. Les Danois de MYRKUR ouvrent le bal devant un Trabendo timide et peu rempli. La formation propose un savant mélange de pop et black folklorique sur lequel il est difficile d’avoir un avis tranché. Présenté comme le one man band de la jeune Danoise dont la silhouette a pu être aperçue cet été sur de nombreuses couvertures de magazines à l’occasion de la sortie de son premier méfait, “M”, ici le groupe passe à un quatuor pour les besoins du live. Si le manque d’expérience flagrant n’échappe pas à l’auditoire, le manque de présence scénique des musiciens n’arrange en rien la qualité de la performance. Myrkur n’a de black metal que les invités de son album (membres de Mayhem, Dødheimsgard et le producteur, Kristoffer Rygg d’Ulver) et malgré quelques timides envolées à la guitare bien senties, il ne se passe pas grand-chose. Les morceaux présentés ce soir comportent uniquement du chant clair, de bonne facture certes, mais qui semble hors propos ici. D’ailleurs, avant de fonder Myrkur, Amalie Bruun faisait de la pop, un style dans lequel elle excellait. A trop vouloir jouer sur deux tableaux, on finit par se faire mal et c’est ce qui s’est passé pour Myrkur pendant cette demie heure de set.

Dix minutes se passent et l’affluence de la salle – remplie aux trois-quarts – fait maintenant plus honneur à DEAFHEAVEN. Les musiciens investissent la scène, menés par George Clarke, leader charismatique et possédé. La foule se fait happer par les premières notes de “Brought To The Water” ouvrant le nouvel album, “New Bermuda“. Le son rend justice aux compositions complexes et chargées d’émotion du groupe. Il y a, dès les premières notes, quelque chose d’intimement physique, une sorte d’appel au corps qui passe par la gestuelle très spécifique du chanteur : le public se sent engagé dans cette transe auditive. Pus que sur disque, Deafheaven hypnotise et nous embarque dans des eaux troubles pour nous livrer sa nouvelle interprétation du Triangle des Bermudes car oui, dès “Luna”, on comprend que les Américains s’apprêtent à exécuter ce nouvel opus dans son intégralité.

A l’image de la musique, ce concert est plein de contrastes : si les Californiens font preuve d’une rigueur et d’un professionnalisme qui fait froid dans le dos, les riffs oscillent eux, entre murs sonores ultra rapides et beaux arpèges cristallins, où le temps semble parfois se suspendre. Comme si Deafheaven essayait de nous étouffer violemment tout en nous laissant respirer lorsque l’air venait à nous manquer. Vous l’aurez compris, le show des Américains est parfaitement équilibré. Le froid se mêle au chaud, la glace à la lave, pour véhiculer un sentiment, une émotion dont seule l’authenticité est palpable. “Gift Of The Earth”, final de l’ensemble, refait peau neuve avec des arpèges cleans bien plus en avant que sur la version studio. La formation est ici au paroxysme de son art : la voix qui habite Deafheaven n’a jamais semblé aussi possédée, la sueur perle abondamment le visage de son “exécutant” qui semble avoir perdu le contrôle de son corps il y a presque cinquante minutes déjà. Le quintette s’éclipse pour revenir presque aussitôt.

Car il aurait été dommage de se priver de morceaux issus de “Sunbather”, le fameux ovni à la pochette rose qui a fait exploser la bande à la face du monde. C’est sous des lights vertes que George et sa bande écrasent la salle avec les premiers riffs de la chanson titre. Ce qu’on croyait être un bel engagement de l’assemblée jusqu’ici se transforme en une véritable euphorie où les slams aboutissent à du stage diving. Le frontman encourage même les slameurs à venir partager le micro pour un cri ou deux. Cette symbiose, cette unité, cette transe collective tire ses dernières forces sur “Dream House”, qui ponctue un concert hypnotique d’1h10.

On aurait voulu plus que ces sept titres mais l’effort physique et la technicité du style étant particulièrement élevés, on ne peut en vouloir à Deafheaven. Car la performance sonore et physique hors norme des Californiens, laissera, à n’en pas douter, une trace indélébile dans nos esprits. Jusqu’à la prochaine fois.

Setlist :

Brought To The Water
Luna
Baby Blue
Come Back
Gifts For The Earth
—-
Sunbather
Dream House