Reports

ARCADE FIRE @ Zénith (03-04/06/14)

Après un concert surprise au Pavillon Baltard sous le nom de The Reflektors en novembre dernier, Arcade Fire était sur la scène du Zénith De Paris les 3 et 4 juin pour promouvoir leur nouvel opus, “Reflektor”. A trois reprises, des salles combles attendaient les canadiens. Pourtant, le débat fait rage sur les réseaux sociaux : Arcade Fire mérite-t-il l’engouement dont il fait l’objet ou est-ce un groupe prétentieux au leader caractériel ?

ANTIBALAS ouvre le bal. Le groupe d’afrobeat avec cuivres et tam-tams est soutenu par les deux saxophonistes d’Arcade Fire. Devant un rideau noir, vêtements et instruments traditionnels africains se mêlent aux pantalons/vestes occidentaux. Flot musical continu, pas de danse répétitifs et final à fond de train, la joyeuse petite bande est plutôt bien accueillie par les fans des montréalais.

Depuis quelques minutes, la disco dance mixée dans l’antre du Zénith restée dans le noir en fait danser quelques-uns; malgré la proposition écrite sur le billet, très peu de monde s’est costumé. Dans une idée de concept global, ARCADE FIRE a imaginé un before et une after où ceux qui le désirent puissent danser comme à un bal populaire. A 21h15 le rideau qui masquait la scène s’ouvre et laisse apparaître les canadiens, en ligne, devant un rideau de chaines dorées. C’est le carnaval ! Les frères Butler, Régine Chassagne, le rouquin Richard Parry, Owen Pallett (qui mène sa barque en solo), sa comparse violoniste Sarah Neufeld, Jeremy Gara derrière ses fûts, Tim Kingsbury, et les saxophonistes : tous sont vêtus de vestes bariolées, d’or, de paillettes, de fluo. Les setlists, très différentes d’un jour à l’autre, les font démarrer avec le disco “Reflektor” le premier soir ou l’enflammé “Normal Person” le lendemain et chaque jour aura ses pépites : “Headlights Look Like Diamonds” interprété pour la première fois en 2014, des versions spéciales de “Body In A Cage” et de “Rococo”, ou des reprises espiègles comme “Get Lucky” (Daft Punk), “Controversy (Prince), et “Entertainment” (Phoenix). La malice du groupe transparait dans ces choix puisque Prince était en concert surprise dans cette même salle deux jours avant, et les autres titres sont des clins d’œil à la french touch au pays des prophètes. Signature du groupe, défilent des instruments hétéroclites et originaux : accordéon, vielle à roue, steel drum, ou cloches de vache mêlées de sons intergalactiques. La machine est rodée mais l’énergie et l’émotion diffèrent : l’habituel mais percutant enchainement de “Power Out” avec “Rebellion” dans un maelström sonore avec Wim Butler qui domine la salle grimpé sur les amplis un jour, ou le mélancolique “The Suburbs” au piano le lendemain. Comme au mardi gras de la Nouvelle Orléans, Wim porte un masque de squelette, et les rythmes caraïbes sont à l’honneur : “Flashbulb Eyes” au steel drum, accompagné par les tam tams d’Antibalas donne le ton samba, et même l’ancien “Haïti” gagne une basse groovy appuyée. Dommage que le son ait été par moments si cacophonique, en particulier sur les premiers titres du second soir. D’un jour sur l’autre, la communication avec la salle est différente : un soir plutôt en réserve, où Win, visiblement agacé par un caméraman lui fait un doigt d’honneur, puis clôt la soirée avec une remarque sur le manque de déguisements dont certains se vexeront (“not to be mean but you are surely the most under dressed in Europe!”). Évidemment, les concerts étant en semaine, certains sortant directement du boulot, il pouvait être difficile de venir déguisé; n’empêche qu’avec quelques accessoires, il y aurait peut-être eu moyen de jouer le jeu… Et le soir suivant, le revoici souriant et offrant un tambourin à une petite pom pom girl. Régine de son côté, est plus constante et toujours charmante, elle n’oubliera pas de remercier pour Haïti (un euro de chaque billet est un don au pays). En petite robe de patineuse artistique, elle apparaît entourée par deux squelettes sur la scène du fond pour un dialogue avec Win d’un bout à l’autre du public sur “It’s Never Over”. Arcade Fire est devenu grand, tout le backdrop n’est qu’une projection géante, la scène est sous un toit d’éclairages et de réflecteurs hexagonaux ; si, par certains aspects, la formation approchait la tragédie grecque grandiloquente, elle a désormais les moyens de l’ampleur de sa scénographie. Les visuels sont soignés, la mise en scène s’occupe de tout l’espace avec une scène B placée au fond de la fosse, des lasers partants du plafond de la salle façon boite de nuit, ou des canons envoyant des tombereaux de confettis (pour “Here Comes The Night Time”). Nouvel album nouvelle ambiance. Le show embarque une recherche visuelle spécifique à la tournée. Apparaissent à différents moments mille petites trouvailles dont les deux réflecteurs manuels de Régine, ses rubans, son chapeau claque à paillettes, ou les rayons psychés et les carreaux disco. Des jeux scéniques avec des figurants : le reflektor man (sorte d’ours boule à facettes) dansant sur “Afterlife”, l’homme à tête de cube (formant quatre écrans et émettant des images en relation avec les titres), les faux Daft Punk, les personnages à têtes en papier mâché à l’effigie des membres du groupe, ou de celle du Pape François (sur “Controversy”). D’aucuns penseront que la représentation du pape est une provocation facile, mais une dimension essentielle est à prendre en compte et c’est celle de l’humour. Pied de micro trop court pour Will et duel habituel avec Richard sur “Rebellion”, énorme casque pailleté pour Régine, road en pyjama, ou vidéo de chorégraphies ridicules accompagnant la rengaine disco de “We Exist”… Et pour finir ces deux soirs, un “Wake Up” toujours très efficace, avant le retour du bal où les plus assidus remarqueront que c’est Win en personne qui mixe incognito du Elton John.

Arcade Fire fait l’objet de polémiques quant à son rapport aux fans, des déclarations ambigües prêtées à son leader Wim Butler, quand ce n’est sa pop taillée pour les stades qui est mise en cause. Pourtant, le groupe a manifestement su garder une notion essentielle qui la préserve de tous les maux : l’humour.