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AMENRA @ La Cigale (18/09/21)

Comme concert de reprise après près de deux ans de blackout musical total, un set acoustique d’Amenra n’est pas forcément la forme de célébration la plus joyeuse qui soit. Voyons-le plutôt comme une forme de catharsis, une douleur nécessaire. La Cigale n’affiche pas complet et c’est une demi-surprise de trouver la salle en configuration assise. Une audience attentive, prête à recevoir l’absolution, quoi de plus logique et cohérent dans le cadre d’une messe ?

Sur scène trône une croix de crucifixion, seul élément notable, mis en lumière, afin de souligner le pourquoi de notre présence. A 21h pétantes, les maigres lumières s’éteignent, le groupe entre en scène dans un silence…religieux. Au-delà de l’aspect solennel de la configuration et de l’aura de la formation qui travestie probablement le comportement viscéral du public, on sent une forme de pudeur à ce retour en salle.


Si les personnes présentes ce soir semblent heureuses de retrouver le live, ces deux années ont probablement provoqué des inhibitions qui provoquent, ce soir, un calme total. “Aorte. Nous Sommes Du Même Sang” ouvre la nuit. Le son est clair, les moindres frottements sont perceptibles par un mix qui met les deux guitares et la basse en avant. La voix de Colin H. van Eeckhout, pourtant fraichement remis d’une opération l’empêchant de pousser ses habituels hurlements, apparait comme un rayon solaire au milieu des harmoniques. La musique d’AMENRA, toujours aussi hypnotique se dévoile petit à petit, à mesure que l’écran géant derrière la formation s’ouvre. Assez tôt dans le set, “Plus Près De Toi” et ses sublimes paroles, écrites et chantées en français apparait et on sent une émotion particulière gagner la salle, même si celle-ci est toujours aussi silencieuse.

Dans cette première moitié de concert, la basse tient un rôle central, celui de pilier qui permet aux guitares moduler l’ambiance des chansons, passant d’inquiétants râles à des mélodies mélancoliques. Les quelques irruptions du violon par le seul membre féminin présent sur scène ajoutent une dimension encore plus cérémonieuse à l’ensemble.

A mesure que le concert semble avancer, les images nous emmènent loin et en même temps si proche. Ces paysages de plages, de forêts, d’églises, sont suffisamment connotés pour que l’on comprenne là où le groupe souhaite nous amener. Mais ils sont aussi parfaitement génériques, permettant à chaque personne présente dans la salle de s’y projeter en fonction de ses propres souvenirs, de ses propres expériences. En observant les réactions d’un auditoire relativement stoïque, on comprend que la musique jouée par Amenra ce soir sert de canevas. Un écrin dans lequel chacun explore son propre esprit, sa propre douleur ou ses propres espoirs.

Concert particulier, donc setlist particulière puisque nous aurons la chance d’entendre pas moins de trois reprises, dont la sublime “Roads” de Portishead. Ces chansons extérieures au répertoire d’Amenra offrent des respirations. Notamment lorsqu’elles viennent s’immiscer au milieu des titres du petit dernier De Doorn. Pour l’occasion, l’écran nous emmène dans un dédale d’aubépine métallique. Une plongée que l’on imagine insupportable de douleur et qui pourtant nous obsède. Le format acoustique permet de contrer cet argument qui revient souvent que la musique d’Amenra n’évolue pas. Le mur sonore habituel s’étiole et le fait de pouvoir apprécier très distinctement tous les instruments nous permet d’entrevoir la qualité de composition des Belges. Les progressions sont sublimes, toujours bien dosées et ne se répètent jamais pour le simple plaisir de faire durer une chanson. Il n’est pas question de cahier des charges, juste d’expression.

La dernière partie du concert nous lessive puisqu’elle est introduite par la bouleversante “De Evenmens”. Sur les derniers titres, la jeune femme qui joue du violon sur quelques titres prend plus de place au chant, et sa voix se mêlant à celle de Colin nous tire les frissons habituellement provoqués par les cris de ce dernier. Les visuels évoquent toujours ces paysages mais également la fameuse Église de Ra, collectif créé autour d’Amenra et dont la puissance de l’union n’est jamais loin. Les musiciens quittent petit à petit la scène, laissant une boucle de guitare clôturer la nuit, s’estompant progressivement dans la fumée. Lorsque les dernières notes résonnent, les applaudissements émergent enfin.

L’ultime libération d’un concert résumé par cette phrase qui s’inscrit en grand sur l’écran : “La tristesse durera toujours“. Plus vite on l’accepte, plus vite on s’en accommode et plus vite on se sort du noir. Rendez-vous le 2 avril 2022 à l’Elysée Montmartre, pour la date électrique initialement prévue. Car c’est encore sous cette forme que l’expiation se savoure le mieux.

Nathan Le Solliec
LE MONDE OU RIEN