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AMENRA @ Elysée Montmartre (15/05/25)

Amenra a choisi l’Élysée Montmartre pour orchestrer la dernière cérémonie française de sa tournée. Accompagné de deux projets tout aussi singuliers, Divide And Dissolve et Treha Sektori, le groupe flamand a plongé le public dans une transe sensorielle où la musique est devenu langage sacré. Une expérience aussi radicale qu’intime, d’autant plus que la captation était interdite. Mais après tout, à la messe, on ne filme pas.

Divide And Dissolve : le cri tellurique

Originaire de Melbourne, DIVIDE AND DISSOLVE ouvre le bal dès 19h20. Composé de la guitariste Takiaya Reed et de la batteuse Sylvie Nehill, le duo délivre un doom instrumental aussi massif que militant. Aucun mot, aucune lumière superflue : tout passe par les fréquences. Leur dernier album, Insatiable, sorti en avril 2025, structure le set. Les compositions sont portées par des riffs lourds et écrasants, des tempos lents et une batterie qui claque comme un totem qui s’effondre. La scénographie est minimale, mais la tension est maximale. Le public, stoïque, semble absorbé par la densité et l’originalité du propos. Une performance frontale et viscérale qui ouvre la soirée comme un premier vortex sonore, et laisse présager le meilleur pour la suite.


Treha Sektori : et la lumière ne fut plus

Une demi-heure plus tard, le logo de TREHA SEKTORI, projet de dark ambient parisien incarné par Dehn Sora, prend forme. Dans l’ombre, l’homme s’avance lentement derrière son autel d’ossements pour convoquer une cérémonie visuelle et sonore. Les images en noir et blanc défilent : corps déformés, visages mutilés, silhouettes en suspension s’imposent à nous. Que Dehn Sora frotte un archet sur sa guitare, frappe des percussions ou grogne près de son micro, l’effet recherché semble identique : celui d’entretenir un malaise. L’ensemble est successivement mystique, industriel, tribal, mais jamais ennuyeux. Treha Sektori explore un langage inventé, conçu pour communiquer avec l’invisible, une sorte de grammaire de l’absolu. Le set s’achève par une séquence fulgurante où toutes les images projetées redéfilent à grande vitesse, telle la pellicule d’une vie remontée à l’envers. Un moment hors du temps, où l’intensité monte d’un cran et prépare le public pour le dernier acte.


Amenra : une scénographie ascétique

20h tapantes. Des volutes de fumée émanent de la scène de l’Élysée Montmartre. Et puis, projeté à son tour, le logo bien connu d’AMENRA. Les musiciens prennent place en silence, dont la nouvelle bassiste Amy Tung Barrysmith (Year Of The Cobra). Colin H. van Eeckhout entre en dernier, accroupi et dos tourné au public, attendant le début du rite qui s’ouvre sur “Silver Needle. Golden Nail”, dernier titre joué sur les autres dates. Mais la fin a souvent été synonyme de début pour Amenra. Le son est fort, glacial, précis, et fait honneur à la réputation scénique des Belges. Comme pour Treha Sektori, les projections sur l’écran mélangent noirceur abstraite, paysages désertiques et silhouettes encapuchonnées, complétant le son pour offrir une œuvre totale. Paradoxe : le silence est parfois plus pesant pendant les accalmies, laissant poindre une tension sous-jacente, parfois ponctué d’un “pscht” rappelant aux quelques “esprits libres” la solennité et le caractère sacré de l’instant. Car ce soir, on ne vient pas applaudir, on vient communier.

Une douleur sculptée

Pendant 1h20, Amenra livre un set sans concession. Pas un seul instant le poids des années ne se fait ressentir, malgré l’ombre des vingt-cinq années de carrière. La setlist puise dans la deuxième partie de sa discographie, dont les récents EP De Toorn / With Fang and Claw, sortis en mars 2025. Ils s’intègrent parfaitement au set en offrant des respirations nécessaires, comme avec “Heden” (treize minutes !) et son long spoken word en flamand. À lui seul, ce titre cristallise la capacité des Flamands à bâtir des climax hors norme qui tiennent ensuite toutes leurs promesses. Mais c’est bien Mass VI qui vole la vedette avec “Au Plus Près de Toi” et “A Solitary Reign”. Souvent dos tourné, Colin alterne cris d’une douleur viscérale et murmures désarmants, tandis que les frappes de Bjorn Lebon martèlent comme un glas. C’est une douleur sculptée que nous offre Amenra : chaque passage est millimétré, chaque crescendo maîtrisé.

La messe est dite

Deux titres avant la fin, Colin retire son T-shirt. Dans le halo blafard, son dos apparaît barré d’une large croix noire verticale, tracée le long de la colonne vertébrale. L’enchaînement final, “Am Kreuz” puis “Aorte-Ritual”, agit comme un ultime rouleau compresseur émotionnel. Les stroboscopes crépitent, l’ombre et la lumière s’affronte une dernière fois dans un fracas toujours aussi maîtrisé. Tout culmine, d’un côté comme de l’autre, sur scène comme dans le public, avant de décliner pour enfin se taire. Mais le silence ne dure pas car les musiciens quittent la scène sous les applaudissements. Quel contraste ! Comme à son habitude, Amenra ne fera pas de rappel. Le rituel est accompli. Est-ce de la pudeur, ou une forme d’ascèse comportementale poussée à l’extrême ? Peu importe. Du studio à la scène, le groupe de Courtrai ne s’est jamais perdu en chemin.

Une soirée, trois rituels

Ce soir, l’Élysée Montmartre s’est transformée en nef, où la douleur est devenue lumière et le silence un langage commun. À travers trois formes de radicalité artistique, le public a vécu bien plus qu’un enchaînement de performances : un voyage intérieur, personnel, aussi intense qu’éprouvant. Amenra, plus que jamais, incarne cette idée d’un art total, où chaque note, chaque image, chaque geste est porteur de sens. Et où la scène devient à la fois autel et réceptacle d’une douleur qui, une fois transcendée, n’a d’autre prétention que de devenir belle.

Amenra Setlist Élysée Montmartre, Paris, France, EU Tour 2025

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