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ROCK EN SEINE 2017 – Jour 3 (27/08/17)

Dernier retour sur le Domaine National De Saint-Cloud pour l’ultime date de cette 15ème édition. Au programme, une journée à l’image de la météo radieuse de ce dimanche : une envie générale de faire la fête, pas de prise au sérieux, une grosse dose d’extravagance et des tas d’excellents concerts.

 

 

KING KHAN & THE SHRINES (Grande Scène) – Le Canadien King Khan et ses neuf musiciens donnent le ton de cette journée. Ça avait pourtant commencé plutôt tranquillement. Annoncé par son groupe à la manière d’une légende de la soul, le chanteur arrive dans un clinquant costume blanc, portant de sa voix rocailleuse un savant mélange de soul et de garage rock saupoudré de jazz. Sa section de cuivres, enveloppée dans des capes argentées, aurait dû nous mettre la puce à l’oreille. Après quelques morceaux, King Khan invite sa fille sur scène pour interpréter une chanson et s’éclipse en coulisses. Quand il revient, le costume blanc a été troqué par une combinaison noire ultra moulante du meilleur effet, avec des ouvertures placées stratégiquement sur chacune de ses fesses et ornée d’un col en fourrure. Face à la foule mi consternée mi hilare, le farfelu leader et son groupe déjanté plongent plus profondément dans l’extravagance, multipliant pas de danse, poses théâtrales, jeux entre eux et avec le public. Entre chacune de ses pitreries, King Khan glisse des messages politiques, dédiant notamment des morceaux aux féministes, aux transsexuels, au Black Power, et fredonne “La jeunesse emmerde le Front National”. Équivalant en richesse musicale sa folie scénique, le groupe offre un lancement aussi festif que techniquement irréprochable.

 

 

 

AMBER RUN (Scène Du Bosquet) – Pas de combinaisons moulantes pour ces beaucoup plus sages garçons de Nottingham. Pour l’instant l’un des secrets les mieux gardés d’Angleterre, le nom d’Amber Run commence peu à peu à se divulguer en France, où le quatuor joue aujourd’hui son premier concert. Face à quelques fans et beaucoup de curieux, la bande fait résonner son pop rock teinté de folk, poétisé par des claviers prédominants mais surtout par la voix de Joe Keogh. Aussi claire sur les douces “Spark” et “Fickle Game” que perçante sur les tempétueuses “Just My Soul Responding” et “Noah”, la voix du chanteur nous fait frissonner par son intensité. Amber Run déverse une avalanche d’harmonies lumineuses (“Good Morning”, “Heaven”) avec une simplicité rafraîchissante. D’une légèreté initiale, les morceaux gagnent peu un peu en gravité et en profondeur, à l’image du concert. On pensait avoir atteint des sommets avec “I Found”, leur tube tout en retenue, mais c’est finalement la déchirante “No Answers”, tirée du second album “For A Moment, I Was Lost” (2017), qui fera éclater en morceaux le calme du groupe dans un final explosif. Avec un petit sourire timide, le chanteur annonce que, suite à ce premier concert parisien réussi, Amber Run sera de passage le 26 octobre à La Maroquinerie. Vu les sourires dans le public, il ne devrait pas avoir de mal à la remplir.

 

 

DELUXE (Grande Scène) – Un vent de folie souffle toujours sur la Grande Scène. Draperies rouges, estrades pour batterie et percussions de la même couleur, costumes extravagants rouges et dorés et, en géant au fond de la scène, au-dessus des lèvres des musiciens, et même déclinée en jupe pour la chanteuse, la moustache, symbole fétiche des Français de Deluxe, omniprésente. L’inclassable musique de ces émetteurs de bonnes vibes (un mix rafraîchissant d’électro, de pop, de soul, de funk), conjuguée par leur énergie, communicative instaure une atmosphère terriblement festive et quand les musiciens s’écrient “Faites un putain de bordel !”, la foule, venue nombreuse, ne se fait pas prier. L’explosive chanteuse Liliboy envoûte de sa voix groovy et mène le public à la baguette sans en faire trop. Il fait les choeurs sur “Wait A Minute”, répond au “jump jump jump jump” de “Tall Ground” en sautillant joyeusement, brandit son poing vers le ciel sur “Superman”. Chorégraphies synchronisées, battle de danse avec quelqu’un de l’assemblée, punchline de clôture (“Si ça vous a plu, revenez moustachu !”), le show de ces six bêtes de scène est extrêmement bien rodé et ultra efficace.

 

 

TY SEGALL (Scène Cascade) – Le rouge est également de rigueur du côté de Ty Segall et ses musiciens. On l’avait croisé au même endroit en 2015, aux côtés des bandmates de son side project Fuzz, à l’époque caché derrière sa batterie. Deux ans plus tard et trois albums en plus, le Californien s’est, pour notre plus grand plaisir, remis à la guitare. Avec son air de Jack White peroxydé, il triture ses cordes, la fait hurler sur des riffs monstrueux et répondre à son fidèle acolyte guitariste, Emmett Kelly. Entre ces déflagrations brutes, la voix rocailleuse du chanteur aux boucles blondes se transforme parfois en éclats de rire. La bande est visiblement heureuse d’être là. Mais, à la moitié du set, en plein riff ravageur de “Finger”, un bout volant d’une des baguettes de son batteur lui arrive droit dans l’oeil. Il s’esclaffe : “Depuis tout à l’heure, tout va mal sur scène ! À partir de maintenant, ça va être un tout nouveau concert !’. Pour marquer le coup, la bande part sur le tortueux “Warm Hands (Freedom Returned)”, excellent morceau de dix minutes tiré du dernier album, le sobrement nommé “Ty Segall” (2017). Le garage stoner aux accents psychédéliques des cinq musiciens déclenche quelques pogos en fin de set, et c’est en lançant une pédale d’effet dans la foule que Ty Segall quitte la scène.

 

 

MAC DEMARCO (Grande Scène) Sur la Grande Scène, toujours aucun signe de sérieux. Quoi de plus parfait pour se prélasser un dimanche ensoleillé que de passer une heure avec le roi du cool et du chill, Mac DeMarco ? Beaucoup de monde semble s’être dit la même chose : la pelouse devant la scène est recouverte de monde. À peine commencé le premier titre, le voluptueux “On The Level”, deux fans s’incrustent sur scène pour danser et chanter avec Mac DeMarco, pour le plus grand amusement du loustic Canadien. Il les invite même à s’installer à son “bistrot”, un coin VIP fait de chaises et table de jardin installé dans un coin de la scène, où sirote notamment Car Seat Headrest. Clope au bec et bouteille à la main quand il ne joue pas de guitare, Mac DeMarco enchaîne avec son chill légendaire et une fausse désinvolture ses morceaux les plus connus (“Ode To Viceroy”, “Freaking Out The Neighborhood”, “Chamber Of Reflection”), ponctués parfois de teintes plus mélancoliques tirées de son dernier album, “This Old Dog“.

 

 

Le chanteur et ses tout autant loufoques musiciens nous gratifient aussi d’une reprise du tube des années 2000 “A Thousand Miles” de Vanessa Carlton. Plot twist : l’apprentissage des paroles n’est visiblement pas allé très loin, Mac DeMarco se contente donc de répéter en boucle la première phrase “making my way downtown”. Après cette improbable reprise, il plaisante “Devinez quoi ? Maintenant on est downtown !” Dresser une liste exhaustive de toutes les pitreries de ce joyeux luron serait interminable, mais on peut au moins citer : jouer avec un hand spinner, fourrer sa langue dans la bouche de son claviériste dont c’est l’anniversaire, grimper un fan sur ses épaules sur “One More Love Song” et clôturer son set avec un slam tout en douceur. Mac DeMarco, c’est tout un personnage, façonné autant par son talent que par son énorme capital sympathie.

 

 

GEORGE EZRA (Scène Cascade) – Moins déglingué, mais tout aussi attachant, George Ezra fait résonner sa voix sourde sur la scène Cascade. S’excusant d’avoir mis si longtemps à revenir en France, le jeune Anglais, entouré de ses six musiciens, embarque l’assemblée dans son univers folk pop. Parmi les tubes insouciant de son premier album, “Wanted On Voyage” (2014) (“Cassy O'”, “Listen To The Man”, “Barcelona”, “Blame It On Me”), George Ezra intercale une majorité de nouveaux titres. Même son univers ensoleillé et insouciant n’est pas imperméable aux tempêtes et le chanteur raconte que plusieurs chansons ont été influencées par l’actualité. Expliquant que ses nouvelles chansons ont été écrites lors de voyages dans sa bien aimée Barcelone, le Britannique confie qu’elles traitent toutes de rêve et d’escapade. De “Hold My Girl”, sublimée par des violons, au single ultra catchy “Don’t Matter Now” et à “Pretty Shining People”, qui ne devrait pas tarder à arriver sur les ondes et fait déjà chanter les gens, toutes ces nouvelles compositions nous donnent hâte de voir ce que va donner ce second album. Il en profite aussi pour réinventer ses anciens morceaux, offrant notamment une version beaucoup plus sombre et réussie de son tout premier tube, “Did You Hear The Rain?” et finit hilare à la vue de l’audience reprenant en choeur les paroles de l’incontournable “Budapest”.

 

 

CYPRESS HILL (Grande Scène) – Changement d’ambiance avec les légendaires Cypress Hill. Prenant un court congé de ses nouveaux acolytes de Prophets Of Rage, qu’on avait croisés un peu plus tôt cet été au Download Festival France, B-Real revient aujourd’hui avec son collègue de toujours, Sen Dog. Les deux patrons du hip hop latino-américain enflamment le domaine de Saint-Cloud, envoyant les classiques et faisant rebondir la foule sur les beats enflammés de “How I Could Just Kill A Man” et “When The Shit Goes Down”, balancés par DJ Julio G et le percussionniste Eric Bobo. Icône du mouvement de légalisation du cannabis, B-Real allume finalement l’énorme splif qu’il tient depuis le début du show avant d’enchainer plusieurs odes à la fumette. Les deux MCs de Los Angeles se répartissent la foule en deux pour une battle d’ambiance, l’électrisant à coup de “Smells Like Teen Spirit” et “Jump Around”, avant de prêcher l’importance de l’unité. “Tequila Sunrise”, “Insane In The Brain”, “I Ain’t Goin’ Out Like That”, “(Rock) Superstar”, ce sont, comme le souligne B-Real, vingt-six ans de hip hop que la formation célèbre. Et vu comment les mythiques rappeurs de Los Angeles font trembler le domaine comme jamais, on a aucun mal à les croire quand ils clament “we ain’t goin’ out”.

 

 

THE LEMON TWIGS (Scène Industrie) – Du côté de la scène Industrie, c’est plutôt l’histoire de la pop des 60′ que l’ouragan The Lemon Twigs fait revivre. Du haut de leur vingt et dix-huit ans, les deux frères D’Addario impressionnent par leur maturité, la richesse des compositions de leur premier album, “Do Hollywood” (2016) et leur aisance scénique. Difficile de ne pas penser aux Beatles et aux Beach Boys sur la piste d’ouverture “I Wanna Prove To You”. Du look – ensemble bleu jean pour l’aîné Brian, slim rose pétant pour Michael – aux harmonies, les deux Américains accomplissent l’exploit de rappeler fortement une époque révolue, tout en ajoutant leur touche personnelle. Les deux multi-instrumentistes s’entourent d’une bassiste et d’un claviériste, mais s’ils pouvaient se dédoubler ou se faire pousser une autre paire de bras, ils occuperaient sans problème tous les postes. À la moitié du set, Michael quitte sa batterie pour aller faire les choeurs sur le devant de la scène, pendant que son frère s’installe au clavier sur la ballade “How Lucky Am I”. Le petit frère, plus démonstratif, prend ensuite les reines et la guitare et fait prendre un tournant plus rock au concert, multipliant sauts et levers de jambes. Leur fougue prend parfois le pas sur la justesse, mais leur fraîcheur et leur énergie débordante – un peu à l’étroit sur cette petite scène – compensent amplement.

 

 

SLOWDIVE (Scène Du Bosquet) – On traverse une dernière fois les allées bordées de guirlandes lumineuses du domaine, on passe devant le signe lumineux multicolore Rock En Seine et son reflet sur l’eau, fidèle au poste comme chaque année, puis on atteint l’intimiste Scène Du Bosquet. Loin des fantaisies et extravagances de cette journée, les Britanniques de Slowdive offrent un concert tout en douceur et en sobriété. Passés les premiers morceaux, sur lesquels les voix étaient complètement inaudibles, le groupe dresse son univers rêveur et planant. Le jeu de lumières est travaillé et même le ciel, qui prend d’étonnantes teintes roses et violettes, semble faire partie de la scénographie. De ses premières compositions (“Catch The Breeze”, “When The Sun Hits”, “Alison”) aux morceaux de son dernier album (“Slomo”, “Sugar For The Pill”), Slowdive envoûte la foule (parmi laquelle on aperçoit Jehnny Beth, la chanteuse de Savages) de son shoegaze vaporeux, porté par les voix entremêlées de Neil Halstead et Rachel Goswell. On pardonne même à la frontwoman la version miniature de la bouée flamant rose qui a envahi plages et piscines cet été trônant sur son clavier. S’il est difficile pour les non-initiés de rentrer dans le show, les fans de la formation vivent un moment de grâce.

 

 

THE XX (Grande Scène) – Alors que THE SHOES fait danser les festivaliers qui boudent la tête d’affiche en fusionnant The White Stripes, MGMT, Kendrick Lamar et Philippe Katerine pour célébrer le lancement de la nouvelle formule des Inrocks, une foule nombreuse se presse devant la Grande Scène pour le concert de clôture de cette 15ème saison. Dix minutes après l’horaire prévu, la scène est illuminée de blanc et les premières notes de “Intro” résonnent. Comme lors de son dernier passage au Zénith, le trio de Londres évolue au milieu de miroirs en mouvement, Romy Ridley Scott et Oliver Stone sur le devant de la scène, Jamie Smith perché sur une estrade. S’éloignant rapidement de la pop minimaliste qui a façonné sa réputation, le trio enchaîne avec des morceaux de son dernier album, “I See You” (2017). “Say Something Loving” et “Dangerous”, aux sonorités électro plus affirmées, font danser la foule. Mais la mélancolie et la fragilité ne sont jamais très loin avec The Xx, qui passe d’une euphorie insouciante à une profonde émotion sur “Performance”, jouée en solo par une Romy auréolée d’un unique faisceau de lumière blanche.

 

 

Toujours aussi discrets, Romy et Oliver accordent avec grâce leurs voix et échangent quelques mots entre eux et avec le public tandis que Jamie, trop occupé à jongler entre ses synthés, est plus en retrait. Les lasers fusent, les éclairages vibrent au rythme des beats qu’il envoie. “Loud Places”, morceau de son projet solo Jamie xx, le propulse en avant. La Grande Scène se teinte de mille couleurs et se transforme en dancefloor, n’ayant rien à envier au set de The Shoes. Quand les dernières notes de l’électrique “On Hold” s’estompent, une longue ovation éclate, rendant tout timide le trio comme s’il n’était pas sûr de mériter autant d’acclamations. Après un touchant speech de remerciement de Romy, le trio retourne à ses premières amours et clôture avec délicatesse ces trois jours de festival sur “Angels”. Si l’on aurait préférait un set plus festif pour boucler cette 15ème édition, The Xx a parfaitement su adapter sa setlist pour donner un concert aussi émouvant qu’excitant, ce qui résume au final plutôt bien ces trois jours.

 

 

Alors que le domaine se vide peu à peu, “Until The Next Time” de Dropkick Murphys résonne. En entendant Al Bar brailler “we’ll meet again, don’t know where, don’t know when, we all had a good time and we’re sad to see it end”, on se dit que, si l’on est effectivement triste de voir cette 15ème édition se terminer, on peut sans trop prendre de risques s’imaginer qu’on se retrouvera fin août 2018, dans ce fief de la bonne musique et du bon temps que continue d’être le Domaine National De Saint-Cloud.

 

 

Si sur le papier, le manque de grosses locomotives et la similarité de la programmation avec d’autres festivals (La Route Du Rock notamment) nous faisait craindre une édition un peu fade, il n’en fut rien. Pour sa 15ème édition, Rock En Seine a joué les cartes des artistes mythiques (PJ Harvey, The Jesus & Mary Chain, Cypress Hill) des retours de valeurs sûres (The Kills, Mac DeMarco, Franz Ferdinand) et des figures montantes (The Lemon Twigs, Her, Frank Carter & The Rattlesnakes), avec une programmation toujours aussi riche et éclectique dans laquelle on peut picorer à sa guise. Les temps morts sont si rares que nos pieds et leurs plusieurs dizaines de kilomètres à leur actif après avoir traversé le site dans tous les sens en réclameraient presque plus ! Seul bémol : nombre important de groupes oblige, certains n’ont pas bénéficié des lieux/horaires qui leur auraient été les plus appropriés. On pense notamment à la programmation de The Lemon Twigs sur une scène sous-dimensionnée et à The Pretty Reckless et King Khan & The Shrines programmés un peu tôt dans la journée.

 

 

Annoncée par le directeur François Missonnier comme une année de transition (suite au rachat du festival par Matthieu Pigasse), cette édition a subi comme seul principal changement une diminution drastique du nombre de bénévoles et est parvenue à atteindre le chiffre de 110 000 festivaliers, comme l’année précédente, ne semblant pas trop pâtir de l’arrivée du géant Lollapalooza. Reste à voir ce que le festival réserve pour sa prochaine édition, quand des modifications plus importantes auront été effectuées. Mais pour l’instant, passer son dernier week-end d’août à Rock En Seine reste l’une des meilleurs manières de terminer son été, tant le cadre et l’ambiance sont agréables. Un grand merci à toute l’équipe et à l’année prochaine !

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