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IRON MAIDEN @ Studio Guillaume Tell (26/08/15)

Entre deux jours à Cardiff, l’avion piloté par Bruce Dickinson a fait un saut à Paris, au Studio Guillaume Tell où Iron Maiden a enregistré son dernier album “The Book Of Souls”, cinq ans après “The Final Frontier”. Bruce, qui nous introduisait le dernier effort, en profitera pour nous faire part de sa joie que ce dernier ne soit pas le dernier comme il était supposé l’être initialement, puisqu’ils se sont vraiment amusés à faire “The Book Of Souls”. Avant d’ajouter qu’il pensait déjà au suivant, et souhaitait l’enregistrer ici encore. Bien que la sortie de “The Book Of Souls” soit prévue pour le 4 septembre, c’est au sein du studio que le chanteur nous le fit écouter en avant première. Pas moins de quatre-vingt douze minutes, et onze titres dont une chanson de dix-huit minutes, et deux dépassant les dix minutes composent ce premier double album studio du groupe. Juste avant d’entamer l’écoute, un fan du fond de la salle demande s’il peut danser… à voir si l’album donne cette envie.

DISC 1

1. IF ETERNITY SHOULD FAIL (Dickinson) 8:28

L’album débute par l’une des deux chansons composées par Bruce Dickinson seul, ce qui est une première depuis “Powerslave” en 1984 que cela arrive dans un album studio. Les premières notes sont presque celles d’une corrida, étrange et mystérieuse, une sorte de tension naît et titille l’impatience de l’auditeur. Les notes tâtonnent, jusqu’à ce que survienne les paroles “Here’s the soul of a man”, d’une voix pleine d’effets. Pour l’instant, nous pourrions nous croire toujours dans un “The Final Frontier”, mais petit à petit, le rythme s’accélère, puis la guitare explose et tout s’accélère d’un coup. Le refrain est très nettement signé de la main de Dickinson, notamment sur le crescendo de la voix, et ce rythme facilement identifiable : beaucoup plus insisté et osé que les classiques des Maiden, mais typique du travail de Bruce. La basse, accompagnée de riffs efficaces et une batterie discrète, fera un pont délicat avant le dernier refrain, qui se fondra bientôt dans un court solo de guitare sèche. Très vite, des voix se superposent pour nous déclamer un texte surprenant, qui marquera la fin du morceau, à couper le souffle : “Good day. My name is Necropolis, I am formed of the dead. I am the harvester of the soul. And I suck the lives from my bed. I own two sons, I gave them breath, and I fill their living corpses with my bile. What humanity I knew I have long forgotten. For me, eternity is nothing but a short while…”.

2. SPEED OF LIGHT (Smith/Dickinson) 5:02

Premier single issu de ce nouvel opus, “Speed Of Light” est une piste déjà connue du public. Son clip retrace quarante années de jeu vidéo, à travers lesquels Eddie voyage. Lui, représente les quarante années de carrière de la formation. Le morceau démarre de façon presque arrogante, sur un solo qui nous nargue, souligné par un tempo marqué, et un cri de Dickinson, suivi immédiatement par le premier couplet, tout en hargne. La piste est punchy à souhait, elle nous embarque avant d’avoir eu le temps de dire “ouf”. Ce voyage à travers le temps et l’espace présent dans le clip est très significatif dans la chanson elle-même. En effet, tout s’enchaîne à une vitesse folle. Nous somme comme happés par une tornade, un tourbillon, au milieu des solos ronds, qui donnent presque le tournis, et le refrain qui se répète de façon presque aliénante. “Speed Of Light” en met plein la vue. Les guitaristes se cherchent, se trouvent, se démarquent, le tout pour notre plus grand plaisir, mais surtout sans jamais avoir la folie des grandeurs.

3. THE GREAT UNKNOWN (Smith/Harris) 6:38

Pour celle-ci, il faudrait être sourd ou ignorant des travaux précédents de la carrière de Maiden pour ne pas faire le rapprochement avec “Isle Of Avalon” sur l’introduction de cette chanson. Les musiciens nous font de nouveau patienter, nous cherchent avec un instrumental qui semble nous faire tourner la tête, la basse passe d’une oreille à l’autre, puis lorsque le mot “ground” frappe, le ton monte crescendo, comme pour nous narguer en allant à l’encontre des paroles. Non, Maiden ne sera pas prévisible sur cet effort. Lorsque nous pourrions nous attendre à des formules classiques, le groupe va toujours plus loin, de façon presque inquisitrice. La batterie fait tout exploser, la voix est de façon progressive, l’un et l’autre se soutiennent, jusqu’à l’explosion, et un enchaînement spectaculaire de solos, de distorsions, au milieu desquels la voix accompagnée de quelques simples notes ne semble plus qu’être un simple interlude de quelques secondes, avant de finir sur une simple phrase, qui pourrait presque nous laisser sur notre faim… mais laissera plutôt place aux applaudissements dans la salle, pour la première fois de la soirée. Premier soupir avant de se plonger dans la suite.

4. THE RED AND THE BLACK (Harris) 13:34

La piste débute sur un solo de basse très lent, chose qui n’était pas arrivée chez Maiden depuis de nombreuses années, avant que n’intervienne la batterie qui casse le rythme, accompagnée de guitares, qui font monter la tension. Dès que Dickinson entre en scène, sa voix est pincée comme jamais, sur le fil de rasoir, sans pour autant être déstabilisé par un instrumental cavalier, au galop, qui fait fortement penser à “The Rime Of The Ancient Mariner”. La chanson a quelque chose d’épique, et est rythmée par des “oh oh oh oh”, que l’on envisagerait très bien dans une salle de concert, voire un stade, tant ils donnent envie de les reprendre en choeur. Ou mieux encore, ils semblent tellement raisonner en nous que nous voudrions presque les chanter lors d’un départ pour le champ de bataille, pour représenter notre union pour protéger ce qui nous est cher, pour notre destin. “The Red And The Black” a quelque chose d’aventureux, et porte une dualité entre elle, entre le rouge et le noir, qui est très bien signifiée par la dualité qui semble résider entre les guitares qui enchainent les solos, mais aussi face à la batterie, qui s’alterne avec les cordes. Les solos n’en terminent pas, avant que les “oh oh oh oh oh” ne reprennent, pour achever la piste sur une phrase et la reprise du solo de basse du début. La piste est circulaire, comme si l’histoire se répétait. La piste est taillée pour le live, et même le studio dans lequel nous étions semblait trop petit pour contenir tout ce qu’elle avait à donner.

5. WHEN THE RIVER RUNS DEEP (Smith/Harris) 5:53

Il n’y a pas le temps de reprendre ses esprits, avec “When The River Runs Deep”, qui débute à fond avec des guitares qui explosent de tous les côtés, pleines d’effets, de distorsions, avec des riffs enjoués à souhaits, et la voix de Dickinson pleine d’arrogance, et en pleine forme. En entendant ce morceau, on ne pourrait jamais croire qu’il était sur le point de découvrir qu’il avait une tumeur. Le rythme est distordu, la voix accélère puis ralentie, la batterie suit le tempo. Finalement, cela rappelle le cours d’une rivière, mais aussi de la vie, avec ses hauts et ses bas. Et d’une certaine façon, c’est ce à quoi font référence les paroles “take my chances or stand by the side”. Les guitaristes prennent encore une fois beaucoup de plaisir sur les solos, cela ne fait nul doute. La batterie termine la piste en apothéose. C’est la deuxième fois de la soirée qu’une chanson se termine sur des applaudissements. Cela pourrait être la fin de la première partie, mais ce n’est pas le cas. Il nous en reste une : la chanson titre.

6. THE BOOK OF SOULS (Gers/Harris) 10:28

Après ces premières émotions, et surtout cet arrêt brutal, la piste démarre en douceur, très délicatement, par un solo de guitare, aux rythmes encore très espagnols. La dernière note du solo est tenue par un violon, avant que nous n’explose en riffs et batterie. La voix arrive, et le tout, surtout les cordes, ont quelque chose de lassif. Sur le mot “Sacrifice”, Bruce tient la note, et chante ensuite dans les hyper aigus comme il sait si bien le faire. Un boum inattendu, surprenant, et survient alors un solo tout en distorsions. Un bouquet de riffs. La chanson est gourmande à souhaits. Tout semble se superposer, mais comme le dit l’adage populaire “du chaos naît l’harmonie”, et c’est précisément ce qu’il se passe ici : pas une note en trop. La chanson se termine sur les paroles “The Book Of Souls” au moment de l’outro, puis une ligne de guitare sèche, et les applaudissements prendront la relève. Une première partie magistrale. Cette dernière piste réussit et signe tout ce en quoi le groupe a évolué, et tout ce qu’ils ont réussi dans sa carrière. Un livre de tous ses états d’âme durant quarante ans.

DISC 2
 

7. DEATH OR GLORY (Gers/Harris) 5:13

Après une courte pause, nous commençons l’écoute du deuxième disque, lequel débute par “Death Or Glory” qui semble, placé ici en début de second disque, vouloir dire “notre nouvelle direction, et cette tentative de double album, ça passe ou ça casse”. Le début est littéralement une explosion de batterie, magistralement soulignée par la basse, suivi d’un solo de guitare assez classique, mais efficace. La voix reprend le dessus, une fois encore aiguisée comme Dickinson sait le faire. Ironiquement, le titre associé à cet effort fait penser à sa situation : forcer sur la voix, pour le meilleur ou le pire. Heureusement, cela aura été pour le meilleur. La piste est pleine de joie, et donne très vite envie de la chanter, à tel point qu’elle en devient très vite, malheureusement, prévisible. Depuis le début de l’album, Iron Maiden ne cesse de nous surprendre, pour finalement nous offrir un refrain convenu, bien qu’efficace. Pour autant, le final sur la batterie remontera la note de la piste.

8. SHADOWS OF THE VALLEY (Gers/Harris) 7:32

Après la piste quelques peu convenue qui vient de nous être servie, le début de “Shadow Of The Valley” semble grandir pour ne demander qu’à exploser dès les premières notes. L’impatience se fait tout de suite sentir, grâce à un instrumental envoûtant, et une voix qui fait peu à peu monter la tension. Si le début est répétitif, il fat penser à une ombre qui dévale circulairement la vallée, et cela sert à merveille la mise sous tension. LA piste a quelque chose d’hyper généreux, de débordant que ce soit en riffs, en breaks, ou dans la voix de Dickinson qui semble chercher à toujours aller plus loin, plus haut. Les guitares nous offrent de splendides effets, qui nous emmènent à des kilomètres de la terre ferme. Nous sommes l’ombre qui, une fois avoir atteint le bas de la vallée, remonte sur les ailes des guitares ultra légères, qui nous offrent toujours plus. Nous sommes sur les ailes de l’avion de Dickinson. Les “oh oh oh oh” qui surviennent ici encore, différents de ceux de “The Red And The Black” semblent ici passer inaperçus, tant la piste nous obnubile. Il y a quelque chose de happant, d’obsédant, qui nous perd au milieu des guitares, avant de nous lâcher d’un coup sec, sur un coup de cymbale. Sans surprise, ce coup de coeur donnera lieu à des applaudissements de la salle entière.

9. TEARS OF A CLOWN (Smith/Harris) 4:59

Mais quand il n’y en a plus, il y en a encore. Après cet ascenseur émotionnel, Iron Maiden nous offre une cascade d’émotions dans un autre sens : celui de la sensibilité. “Tears Of A Clown” est un véritable hommage à l’acteur Robin Williams, décédé l’année passée. La piste répond à merveille au questionnement des membres du groupe, à savoir “comment quelqu’un offrant tant de bonheur, peut-il être aussi triste et déprimé ?”. Le morceau débute sur un instrumental guitare/batterie très marqué, a priori plein de joie et de vigueur. Mais lorsque survient la voix, le ton semble beaucoup plus triste, et ici apparaît la scission entre le bonheur procuré, et la tristesse.  La chanson semble toujours donner l’impression d’être sur le point d’exploser, mais quelque chose semble la retenir, de façon inexplicable, et file à la perfection le propos du sextette. Elle est lourde et punchy à la fois. Les paroles semblent souligner cette dualité, comme un espoir que tout s’arrange “tomorrow is another day”, “tomorrow comes, tomorrow goes”. Le solo est plein de distorsions et riffs qui se répètent, comme pour montrer le fait de ne pas pouvoir échapper à cette situation. Les effets apportent une impression de tristesse supplémentaire, qui prend aux tripes de façon surprenante, comme si elle nouait l’estomac, avant d’être appuyés par la répétition de “Tears Of A Clown” quatre fois d’affilée, de plus en plus lentement chaque fois.

10. THE MAN OF SORROWS (Murray/Harris) 6:28

La piste commence en beauté par un solo de guitare, pour finalement annoncer une ballade. La voix de Bruce Dickinson a quelque chose d’ineffablement belle, et touchante tant elle est pleine d’émotions. Les paroles “Watching people come and go / Catch the dream / I am feeling so alone again / Free the captain from the chains” n’aidant évidemment pas. Les guitares quant à elles nous offrent un jeu magnifique comme depuis le début de l’opus, en se renvoyant la balle des solos, des riffs accrocheurs, qui nous en mettent plein la vue, tout en sachant jouer assez avec les rythmes pour créer un sentiment touchant, qui nous donne davantage envie de fermer les yeux et de savourer, que de taper du pied. La note tenue de Dickinson fera toute la différence malgré tout, en se logeant au plus profond de nous, pour nous faire ressentir la peine dont il parle. Enfin, les solos passés, le morceau se termine tout en délicatesse, afin d’introduire le chef d’oeuvre de l’album.

11. EMPIRE OF THE CLOUDS (Dickinson) 18:01

Le second morceau signé par Dickinson seul, et dernier morceau de l’album est introduit par quelques notes jouées par Bruce lui-même, qui nous avouera “avoir été contraint de s’améliorer considérablement dans un instrument qui n’a pas l’habitude d’être utilisé par eux”. Les touches semblent bien frappées, d’un doigté plein de sentiments et impliqué dans ce qu’il joue. Le violon vient s’ajouter à la danse, laquelle est hyper mélancolique. Vient enfin les premières paroles, et il faut dire qu’après quarante années, et une tumeur sur la langue, Bruce a réussi à encore progresser et n’a jamais chanté aussi bien. Ses notes vont chercher plus loin que jamais, et son vibrato est juste celui qu’il faut pour faire ressentir la rage et la peine qui peut résider dans les paroles de cette chanson, qui est un hommage au crash aérien du R101 en 1930, qui a eu lieu à Allonne en Picardie, faisant près d’une cinquantaine de morts. Les fans d’Iron Maiden sauront à quel point Bruce est attaché à l’aviation, et dans la salle ce soir, beaucoup sont venus accompagnés du chanteur, dans un avion justement. Alors ce morceaux aux airs d’opéra metal n’aura laissé personne indifférent. La piste, durant dix-huit minutes, semble se passer en une fraction de seconde, tant la mélodie est bien ficelée, et nous laisse le temps de prendre sur nous-mêmes pour penser à ce qu’il s’est passé, et dont le groupe nous dessine le portrait petit à petit. La batterie, presque guerrière, donne de petites accélérations avant d’exploser, et de laisser place au “we must go now” chanté par Bruce, et représente à la perfection la catastrophe, au moment de l’accident. La tension est de plus en plus forte, et rien n’est de trop. Nous pouvons nous imaginer sans trop de difficultés à bord de cet avion. La voix de Dickinson va chercher les aigus plus que jamais, et semblent percer le ciel au moins autant qu’elle nous transperce le coeur. Vient un moment où nous ne savons plus bien si nous sommes en train de regarder un film, ou d’écouter un disque, tant l’imagerie est forte. Le piano frétille, panique, l’instrumental disparait peu à peu, avant que la chanson reprenne de plus belle. Nous comprenons que l’accident a eu lieu, et que ce dernier couplet est un hommage de Dickinson aux victimes, face à l’accident. Nous contemplons les ruines, comme si nous étions en 2015 à Allonne, face à la stelle, en train de commémorer l’accident. Le piano termine en beauté le morceau, et l’ensemble. Les souffles et les applaudissements de tout le monde viennent faire revivre le studio qui semblait s’être arrêté de respirer, dans lequel le temps semblait s’être arrêté. Peu à peu, les “Maiden, Maiden, Maiden” acclamés surgissent, et même un “were you f*cking dancing?” adressé au fan du début.

En somme, “The Book Of Souls” est un réel chef d’oeuvre, délectable au plus haut point. Les conditions d’écoute ont, bien entendu, rajouter au délice qu’il a pu représenter pour les auditeurs, mais cela n’est pas non plus une condition sine qua none. Cet opus regroupe tout ce qu’il y a, et a eu, de mieux de fait chez Maiden, par le passé, ou par l’innovation qui a pu exister sur cette dernière création. Les musiciens ont pris des risques, beaucoup de risques, notamment sur les longueurs, ou encore sur le fait d’y introduire du violon, du piano, des effets, et des ballades. Malgré quarante années de carrières, Maiden arrive toujours à nous surprendre, et à offrir un best of Maiden en un nouvel album. Il est évident qu’ils sont loin d’être morts, et après s’être livrés corps et âmes dans cette production, maintenant qu’ils ont inscrit leur potentiel dans un livre, et que Dickinson a survécu à sa tumeur, nous pouvons dire que Iron Maiden a dépassé la mort, pour devenir éternel. Ou, du moins, c’est tout le mal que nous lui souhaitons.