InterviewsSlideshow

THE CRANBERRIES (28/03/19)

English version

Le batteur Fergal Lawler se livre, avec émotion et pudeur, sur le futur du groupe, le nouvel album “In The End” et la musique qui le fait vibrer.

Salut Fergal, comment vas-tu ?

Fergal Lawler (batterie) : Je vais bien. C’est difficile parce que nous parlons beaucoup du passé, de Dolores et de son décès. Cela fait partie de notre travail. Nous sommes très fiers des chansons de l’album et nous voulons que les gens les entendent.

Peux-tu nous parler du processus d’enregistrement de l’album ?

Fergal : Les chansons ont été écrites et enregistrées en demo en 2017. Nous avons fait une tournée acoustique avec l’album “Something Else” et avec un quatuor à cordes. Dolores avait des problèmes avec sa hernie discale et le médecin lui a recommandé six mois de repos. Durant cette période, elle a commencé à écrire des chansons et à envoyer des sons. Elle vivait à New York, alors elle y avait eu l’occasion d’en faire une bonne demo. Un mois après sa disparition, nous avons écouté ces démos. Nous avons réalisé qu’il y avait beaucoup de matériel que nous pourrions utiliser pour un EP ou un album. Nous avons parlé à sa famille et leur avons demandé s’ils étaient enclin à nous permettre de finir le travail qu’elle avait commencé.

Ils y étaient favorables parce qu’ils savaient qu’elle était enthousiaste, à l’idée de faire un nouvel album. Nous avons parlé à Stephen Street qui a dit qu’il aimerait faire l’album avec nous.

Nous sommes entrés en studio en avril dernier. Les premiers jours ont été très difficiles, si difficiles que nous pensions que nous ne pourrions pas le faire. C’était très émouvant. Ce n’était que quelques mois après le décès de Dolores, mais Stephen a déclaré qu’il serait préférable d’aller au studio à ce moment-là, car nous mettrions toute notre passion dans l’enregistrement.

Une fois que nous nous sommes mis à enregistrer ce n’était pas très différent de la façon dont nous travaillions d’habitude, car Dolores venait faire deux ou trois voix et partait ensuite travailler avec Stephen. Elle revenait le soir pour travailler de nouveau sur ses voix. En gros, nous enregistrions tous les instruments, ajoutions la voix et travaillions autour de cela.

As-tu douté avec ce projet ?

Fergal : Avant de commencer, nous avons parlé à sa famille et nous avons mis un message sur Facebook, destiné aux fans leur demandant ce qu’ils en pensaient. Nous étions sûrs que les chansons étaient assez solides, mais nous nous demandions quand même ce que ça pouvait donner. Passé la première semaine, nous nous sommes regardés et nous nous sommes dits : “OK, nous avons environ trois chansons et elles sont vraiment bien”, nous avons donc continué. Il y avait quelques autres idées qui figuraient sur des cassettes que Dolores avait faites et qui ne contenaient que des fredonnements, par exemple. Et puis sur d’autres il n’y avait qu’un couplet mais pas de refrain donc nous ne pouvions pas travailler dessus. La qualité n’était pas suffisante. Nous ne voulions pas avoir l’air d’essayer de gagner de l’argent sur son dos. Ce n’est pas ce dont il s’agit. Il s’agit d’un cadeau que Dolores a laissé et de finir ce qu’elle a commencé.

Comme tu l’as dit plus tôt dans la presse, il s’agit du dernier album des Cranberries. Était-ce quelque chose que tu avais à l’esprit avant ?

Fergal : Non non. Cet album était supposé être un autre album de Cranberries. Nous devions ensuite partir en tournée et en écrire un autre après. Dolores était dans un état d’esprit très positif avant son décès. Elle allait bien après son divorce, et elle mettait tout cela derrière elle. Cet album l’a également aidé parce qu’elle exprimait tous ses sentiments. Beaucoup de chansons sont sur le fait de clôturer quelque chose, comme “In The End” ou “All Over Now”. Elle avait l’impression que c’était derrière elle. Même des chansons comme “Got It” qui sont plus optimistes sur l’album évoquent davantage un avenir positif.

Comment s’est déroulé le travail avec Stephen Street ?

Fergal : C’était fantastique. Personne d’autre n’aurait pu faire cet album. Stephen connaissait si bien Dolores, et travaillait intimement avec elle au chant. Il était devenu un ami au fil des ans parce que nous travaillons ensemble depuis longtemps. Il est la personne idéale pour faire ce travail. Il a vraiment bien compris le groupe. Il est excellent pour nous pousser à donner notre meilleure performance.

Aurais-tu fait cet album sans Stephen ?

Fergal : Cela aurait été très difficile. Je ne sais pas si nous l’aurions fait. Stephen est presque comme un cinquième membre, nous pouvons nous échanger des idées. Comme je l’ai dit, il connaissait si bien Dolores. Je pense que si quelqu’un qui ne la connaissait pas si bien était venu pour enregistrer, ça n’aurait pas marché du tout.

La réponse des fans après le décès de Dolores a été incroyable. As-tu été surpris par tout l’amour que vous avez reçu ?

Fergal : C’était incroyable parce que nous ne nous y attendions pas. Surtout maintenant que nous ne sommes plus si populaires en Irlande. Il y a eu des hommages incroyables. C’est fantastique de voir ça. Je pense qu’elle aurait été très fière.

Qu’en est-il de jouer l’album sur scène ?

Fergal : Nous ne le pouvons pas. C’est quelque chose auquel nous avons pensé lorsque nous jouions les chansons en studio. C’était la première fois que nous les jouions ensemble, mais aussi la dernière fois. La voix de Dolores est si distinctive et si unique que personne ne peut lui rendre justice. Ce ne serait pas juste. Les gens disent : “Tu vas prendre une autre chanteuse comme Queen”. Pas du tout. Ce n’est pas quelque chose pour nous. Nous avons eu une très longue et fructueuse carrière, et nous sommes très heureux de pouvoir dire : “OK, c’est fini.”

Certains évoquaient même l’idée de l’hologramme pour les concerts.

Fergal : (rires) Pour des gens comme Roy Orbison d’accord. Les gens ont déjà suggéré des choses comme ça et… non.

Ce doit être frustrant.

Fergal : Oui. Lorsque vous créez un album, vous enregistrez les chansons et vous les reproduisez d’une certaine manière en studio. Quand vous les jouez sur scène les morceaux deviennent différents, comme si le son de Mike devenait plus agressif ou le mien aussi. C’est naturel : lorsque vous jouez les chansons tous les soirs, vous commencez à les jouer d’une manière différente de celle que vous aviez en studio. Les gens disent toujours que nous sonnons différents en live, que nous sommes plus dynamiques. C’est dommage. Cela aurait été bien de jouer ces nouvelles chansons en live. Nous ne pouvons pas le faire, nous devons l’accepter. C’est ainsi et il n’est pas possible que nous fassions appel à un artiste pour le faire car la voix de Dolores est unique. Il n’y a aucun moyen que d’autres chanteurs lui rendent justice.

Le décès d’une de tes meilleures amies a-t-il eu une influence sur toi en tant que musicien ?

Fergal : Non, c’est plus personnel. Même si Dolores faisait partie de notre groupe, elle était notre amie et presque une sœur. J’essaie encore de comprendre ce qui se passe. Faire toute la promotion nous ramène à nouveau tout ça. Il va falloir un certain temps pour que je réalise.

Y a-t-il un thème dans l’album ?

Fergal : Comme je l’ai dit, beaucoup de paroles parlent de “fin”. Au moment de l’enregistrement, après avoir divorcé et lutté avec sa santé mentale pendant un certain temps, elle commençait à se sentir mieux. C’est comme la fin de cette période de sa vie, mais aussi un nouveau départ. Elle se sentait heureuse et impatiente pour l’avenir. Elle venait d’acheter une maison à Limerick, elle achetait des meubles et elle était excitée par tout cela.

Que penses-tu des gens qui lisent entre les lignes des paroles ?

Fergal : Je pense que si elle n’était pas décédée, les gens ne chercheraient même pas à faire ça. C’est presque comme une prémonition, comme les chansons “All Over Now” ou “In The End”. Comme je l’ai dit, elle écrivait en se disant : “Cette partie de ma vie est terminée, je passe à autre chose”. Avant son décès, c’était supposé être un autre album de Cranberries et ensuite, nous aurions pu en faire un autre. Personne ne savait que c’était le dernier album. Bien sûr, maintenant qu’elle est partie, les gens vont s’y pencher un peu plus que d’habitude.

Comment peux-tu décrire le son de cet album ?

Fergal : Ce que nous avons remarqué dans les démos, c’est que la voix de Dolores était plus fragile, plus douce qu’elle ne l’avait été ces dernières années. Dans le dernier album “Roses” que Stephen a produit, il lui a dit : “Tu jouais beaucoup en concert, ta voix est donc devenue plus agressive, mais maintenant tu es en studio et tu dois la rendre plus intime”. En studio, tu es dans un environnement où tu peux chanter très doucement. Je pense que cela l’a influencée. Les démos qu’elle a faites sont assez frêles en particulier sur la chanson “Lost”. J’ai remarqué au tout début que sa voix était assez fragile mais elle prend de plus en plus de puissance jusqu’à la fin et cet énorme crescendo. C’est l’inverse de la chanson “In The End”, la dernière chanson de l’album, où on dirait presque qu’elle chuchote à notre oreille.

Quelle était l’idée derrière le clip de “All Over Now” ?

Fergal : Nous avons eu des difficultés avec la vidéo et l’artwork car nous ne voulions pas avoir une photo de Dolores au premier plan. Nous ne voulions pas, non plus, utiliser une photo de nous trois car cela n’aurait aucun sens. Nous avons donc parlé à notre directeur artistique avec lequel nous avons travaillé sur les trois premiers albums. Il a évoqué l’idée d’utiliser une photo d’enfants sur la pochette. C’est génial parce que c’est comme quatre mini Cranberries.

Pour la vidéo idem : nous ne voulions pas utiliser d’images plus anciennes que nous avions car c’était quelque chose de nouveau. C’était soit une vidéo d’animation, soit une avec des acteurs. Même chose pour “Wake Me When It’s Over” qui sera le prochain single. Nous avons parlé aux étudiants en art de Limerick et leur avons suggéré de faire des propositions pour la vidéo. Ce sera aussi une vidéo d’animation.

Il y a toujours eu une forte implication des fans au cours de votre carrière. Penses-tu que les fans vous suivront toujours même après la fin de The Cranberries ?

Fergal : Des chansons comme “Linger” sont toujours diffusées à la radio. De nouveaux fans nous découvrent tout le temps. Nous avons fait une interview à Dublin juste avant notre arrivée et la nana de la radio avait une stagiaire de seize ans à ses côtés. Elle lui a dit d’écouter un nouveau groupe qu’elle avait découvert et c’était The Cranberries. Elle lui a dit qu’elle avait grandi avec The Cranberries ! C’est formidable d’entendre des histoires de gens qui découvrent le groupe pour la première fois. J’ai pris l’habitude de voir des jeunes et des moins jeunes à nos concerts. C’est bien de voir nos chansons être toujours aussi pertinentes trente ans plus tard. Espérons que de nouveaux fans découvriront notre musique au fil du temps.

Il y a beaucoup de diffusions à la radio et de nouvelles personnes découvrent encore votre musique.

Fergal : Les paroles sont tellement personnelles que les gens peuvent les comprendre comme écrites pour eux et leur vie. Les gens le prennent très personnellement.

En tant que musicien, as-tu expérimenté ou essayé de nouvelles techniques sur l’album ?

Fergal : J’essaie toujours d’évoluer en tant que musicien. Avec cet album, nous avons en quelque sorte vraiment travaillé sur la voix de Dolores. Quand c’était doux, nous avons joué plus doucement; plus dynamique quand sa voix l’était aussi. Ce n’était pas tellement un processus différent de celui des précédents albums. Émotionnellement ce fut souvent difficile. Personnellement, je luttais pour avoir une bonne prise. Je voulais la rendre fière parce que sa performance est vraiment bonne. Je voulais tout donner. Après avoir terminé l’enregistrement, environ trois semaines plus tard, j’étais complètement vidé. Je n’ai pas pu écouter l’album pendant un moment. J’ai attendu un mois avant de l’écouter.

Aimerais-tu continuer en tant que musicien indépendant ou à nouveau travailler avec les gars ?

Fergal : Nous en avons discuté. Si nous travaillons à nouveau tous les trois, cela ressemblera à The Cranberries même avec un chanteur différent. Lorsque nous jouons, il y a ce son distinctif. Nous nous connaissons si bien que nous sommes presque télépathes lorsque nous jouons. Mais jouer à nouveau ensemble, nous n’y avons pas vraiment pensé. C’est encore trop tôt. Nous avons été tellement concentrés sur l’enregistrement et la promotion que je ne l’ai pas trop fait pour le moment.

Après la promotion, nous nous poserons et aurons du temps pour penser à l’avenir. Nous pourrons commencer à avancer.

Qu’en est-il de la production ?

Fergal : Je l’ai fait pendant un moment mais je n’ai pas trop apprécié. J’adore les bandes originales, j’ai toujours attiré par ça, alors peut-être que je vais poursuivre dans ce domaine.

Quelle est ta bande originale préférée en ce moment ?

Fergal : J’aime les deux gars qui ont travaillé sur la bande originale du film “Annihilation” et “Ex Machina”, Ben Salisbury et Geoff Barrow. Il est membre de Portishead. J’aime aussi celle de la série Netflix “Dark”. C’est une série allemande se déroulant dans deux dimensions et dans le temps. C’est fantastique. La bande originale est signée Ben Frost.

Y a-t-il des groupes qui tu aimes en Irlande ?

Fergal : Honnêtement, rien en Irlande ne m’épate vraiment. Il y a un groupe de Limerick appelé PowPig qui sonne comme les Pixies. Ils ont seize ou dix-sept ans, ils sont vraiment bien. Hozier a pas mal de succès, il a l’air d’un gars vraiment sympa. Ce n’est pas vraiment ma tasse de thé niveau musique car c’est très gospel. C’est bien mais je n’en suis pas fou, je préfère la musique alternative. Il y a en Irlande de nombreux groupes de pop, genre deux mecs et une guitare, mais on l’a déjà entendu des millions de fois. Il n’y a rien de très novateur en ce moment.

Il faut bien commencer par quelque chose.

Fergal : Oui, mais il n’y a rien d’original. La musique sonne pareille que celle des années précédentes.

La musique fait partie de la culture irlandaise, n’est-ce pas ?

Fergal : Il y a beaucoup de musique traditionnelle, c’est très bien, mais en ce qui concerne la musique pop c’est par vague : il y a beaucoup de bons groupes d’un seul coup et ensuite plus du tout.

En dehors de la musique irlandaise, y a-t-il des groupes ou des artistes que tu aimes écouter en ce moment ?

Fergal : J’ai vu Arctic Monkeys à Dublin, ils étaient fantastiques. J’écoute aussi The Cure, Tool. C’est un groupe très heavy et c’est le son le plus lourd que je puisse écouter ! En ce qui concerne les nouveaux groupes, il est difficile de trouver de nouveaux artistes qui me passionnent.

Retour à la base : The Cure et c’est tout.

Fergal : Oui !

Comment te vois-tu dans quelques années après cette période trouble ?

Fergal : Je ne sais pas. Je ne pense pas trop à l’avenir. C’est quelque chose que j’ai appris en vieillissant : on ne peut pas trop planifier l’avenir car on ne sait pas ce qui va se passer. La mort de Dolores m’a fait apprécier davantage tout ce que j’ai maintenant. Je vis juste pour l’instant présent.

Dernière question : nous sommes “RockUrLife”, donc qu’est-ce qui te rock Fergal ?

Fergal : J’aime beaucoup être à la maison, me détendre en famille et regarder Netflix. J’ai hâte de voir la nouvelle saison de “Game Of Thrones”.

C’est pour très bientôt !

Fergal : Oui, et je vais rater le début de la série. J’ai demandé à ma femme de ne pas la regarder pour qu’on puisse la visionner ensemble, quand je rentrerai à la maison. C’est vraiment agréable de rester chez soi et de se détendre avec mes trois enfants. C’est génial de passer du temps avec eux même s’ils sont adolescents maintenant. En vieillissant, vous pouvez mieux les comprendre. S’ils galèrent avec quelque chose, je me souviens que la même situation m’est arrivée. Vous pouvez leur dire de ne pas paniquer. Mon fils est à la fac et il panique à propos de ses examens. Il n’en dort plus. Je lui ai dit de ne pas s’en faire. Ca va bien se passer.

Site web : cranberries.com

Laura Navarre
J'ai annoncé à mes parents à 16 ans que mon objectif professionnel était de produire la prochaine tournée de U2.