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RADIO ELVIS (02/04/15)

Peu de temps après une prestation généreuse et maîtrisée au Festival Chorus Des Hauts-De-Seine 2015, RockUrLife a eu l’opportunité de s’entretenir avec les talentueux et sympathiques newcomers de Radio Elvis, véritable découverte de l’année passée.

On vous connait une réputation grandissante et un avenir prometteur. Vous êtes de plus en plus soutenus par les médias ou les structures musicales. Mais néanmoins, qu’il y avait-il avant Radio Elvis ?

Pierre Guénard (chant/guitare) : Le néant.

Colin Russeil (batterie/claviers) : Je faisais déjà de la musique,  dans d’autres groupes. Je connaissais déjà quelque peu Pierre que j’ai rencontré au lycée.

P : Et moi, c’est mon premier groupe. J’avais ce même nom de scène avant, à l’époque où je jouais en solo. On en a fait un groupe et on a gardé le nom.

Manu Ralambo (basse/guitare) : De mon côté, je fais de la musique depuis tout petit. J’ai joué dans une multitude de groupes auparavant. Radio Elvis est un énième projet dans ma vie, mais c’est le plus enthousiasmant.

P : C’est évident que c’est le meilleur projet. (rires)

On remarque un certain engouement pour votre groupe depuis quelques temps de la part de la presse. D’après vous, qu’est-ce qui rend Radio Elvis aussi attrayant pour les médias ?

P : On a quand même un batteur qui est hyper beau.

C : C’est sûrement ça.

P : Je n’en sais rien, en fait. Les tremplins que l’on a fait sont en partenariat avec plusieurs médias, notamment “Les Inrocks”, ce qui nous a ouvert les portes. C’est aussi et surtout l’équipe qui nous entoure qui fait un travail sur les médias. Je pense que ce ne sont pas tout le temps eux qui viennent vers nous, c’est aussi nous qui allons les chercher, qui les mettons au courant de ce que l’on fait. Par conséquent, ceux que ça intéresse en parlent.

 

 

Du coup, Radio Elvis, est-ce toujours un hobby ou à présent un job à plein temps ?

P : C’est à la fois un métier et un hobby. On commence à en vivre tout doucement, on arrive à vivre uniquement avec ce projet pour le moment, ce qui est chouette. Avant, Colin et Manu continuaient à bosser dans d’autres groupes, Manu faisait aussi un peu de son, et moi je travaillais de mon côté dans un bar.

C : On a tous pu abandonner ce que l’on avait à côté professionnellement parlant pour s’investir dans Radio Elvis.

P : On a la chance d’avoir beaucoup de dates, et d’en vivre.

Il s’est écoulé quelques mois depuis la sortie de la version remastérisée de “Juste Avant La Ruée”. Comment votre projet a-t-il avancé depuis ?

P : Un album est en préparation. On a fait nos premiers tests ce weekend et on va l’enregistrer prochainement.

Dans une carrière, le premier album est toujours le plus délicat. Comment l’abordez-vous ?

P : Je trouve qu’un premier EP est une bonne alternative. Cela relève plus d’un acte de naissance que d’un vrai premier album, une réelle première sortie. Pour l’instant, c’est en quelque sorte l’état de grâce pour nous, dans le sens où tout se passe bien. On a beaucoup de dates avec quatre titres, mais il va falloir confirmer tout ça avec le premier album, pour que tous les bons échos se confirment, ce qui est évidemment le plus angoissant, pour moi en tout cas. Ensuite, il y aura le deuxième album qui, si le premier album était convaincant, risque d’être encore plus angoissant car il faudra maintenir la barre. (rires) Il ne faut pas trop y penser.

 

 

Vos ambiances sont souvent mélancoliques, tant au niveau des textes que de la musique. Est-ce que cela correspond à vos personnalités ?

M : Malheureusement, oui. (rires)

P : C’est bien d’être mélancolique !

C : Je trouve ça chouette. C’est plutôt modéré en plus.

P : Je ne nous considère pas comme des mélancoliques profonds, au dernier stade. Je pense à Thiéfaine par exemple. (rires) Chacun est mélancolique à sa manière. Je le dis dans les textes, mais ça se ressent également dans la musique. On s’exprime vraiment dans nos morceaux, et ce qui s’en dégage correspond logiquement à qui nous sommes.

Justement, si l’on prend en compte le succès phénoménal des chansons commerciales sans vrai contenu lyrique, quel est d’après vous l’importance des paroles de nos jours ?

P : J’ai envie de dire “sans contenu” tout court. (rires)

C : Ca dépend, pas toutes.

P : Oui, ça dépend, c’est vrai. Je pense qu’une chanson n’a pas forcément besoin d’un bon texte pour dégager quelque chose. On retrouve beaucoup de chansons extrêmement populaires contenants des textes finalement très simples, pas forcément très littéraires, qui dégagent des émotions fortes, dans la mélancolie ou dans la joie. Je trouve que cela suffit. Ce qui compte dans une chanson, c’est l’énergie, le point de départ. S’il y a un point de départ très vivant dans un titre, c’est qu’il est réussi. Forcément, on apprécie ou non. Il se trouve que dans Radio Elvis, nous faisons des chansons avec des textes. C’est ce sur quoi l’on se base principalement, mais pas que : on essaie de faire aussi très attention aux arrangements. Certains artistes se concentrent beaucoup plus sur la musique. Dans la scène pop par exemple, la musique compte plus que le texte par moments. Je pense que les deux se valent.

C : Il faut que les mots sonnent dans une chanson, et je sais que Pierre accorde pas mal d’importance à cela. Que la mélodie soit très élaborée ou simple d’accès, si les mots résonnent, l’ensemble fonctionne. C’est sûrement pour cette raison que l’on finit toujours par reprendre à tue-tête les chansons “populaires” avec des textes quelconques. Les mots s’assemblent et la mélodie s’imbrique parfaitement.

P : “L’Imprudence” de Bashung est un exemple probant. Je n’ai rien saisi du texte pendant les vingt premières écoutes. Je n’ai jamais fait très attention au sens des mots de la plupart de ses chansons, car ce qui m’intéressait, c’est que ça sonnait incroyablement bien, comme dans tout ce que j’écoutais. On s’intéresse au sens ensuite. Cela me touche aussi : lorsque j’écris, je ne m’intéresse pas tant au sens, mais surtout à l’image que ça évoque, l’effet que ça produit sur moi. Si une phrase me trotte dans la tête et que je me mets dans un état incroyable chaque fois que je la prononce, c’est qu’elle est, à mon sens, une bonne phrase, qu’il faut mettre en musique.

 

 

On constate un certain minimalisme quant à la musique. Serait-ce pour mettre en évidence les textes ?

C : Etant donné que l’on part souvent du texte pour faire la musique, c’est peut-être lié. Faire une musique épurée n’est pas une volonté directe cependant.

P : On a quand même voulu que Colin fasse la batterie et le clavier-basse, pour garder un esprit assez brut. On s’est dit que si on prenait une quatrième personne, il allait forcément beaucoup plus jouer de batterie et il y avait le risque de s’y perdre.

C : On a commencé tous les deux, puis Manu nous a rejoint. Il est vrai qu’au début, on avait cette volonté de garder un aspect minimaliste; intention que l’on a conservé lorsque Manu est arrivé.

P : On pourrait comparer ça avec les films de Werner Herzog. Il laisse beaucoup de place au spectateur dans ses films. Il balance des métaphores avec une trame. Il y a beaucoup de silence, peu de dialogue, même la musique dans ses films est très silencieuse. C’est finalement au spectateur de fabriquer le film. C’est ce qu’on aime faire avec notre musique. Que le spectateur y prenne part, qu’il interprète les paroles comme il le souhaite. Beaucoup d’interprétations sont possibles, et dans les textes, et dans la musique. On essaie de donner un peu de place au silence.

On relève dans les textes une fascination pour l’aventure, les voyages, la conquête. Pouvez-vous l’expliquer ?

P : Ca découle d’une envie de voyage, de conquête. C’est une littérature que j’ai lu. Ce que j’aime dans cette littérature, c’est qu’elle n’évoque pas tant la mer, mais la vie. On entre dans l’intimité, dans une vision introspective de la vie d’un homme. C’est cette thématique qui m’intéresse. Je ne veux pas en faire un concept dans mes chansons, néanmoins. C’est simplement la manière dont j’écris à l’heure actuelle, c’est à travers ce moyen que je m’exprime le plus facilement. Je trouve que c’est une métaphore qui permet d’exprimer une multitude de choses très intimes sans utiliser le vocabulaire attendu. Ecrire sur la thématique du voyage, ça permet de créer des choses très introspectives.

 

 

Pour être musicien, est-ce qu’il faut être honnête avec soi-même et avec les autres ?

P : Je pense que oui. Les concerts – de nous ou des autres – que je déteste sont ceux lors desquels je sens qu’un personnage est joué, généralement tout le temps le même. Tout n’est que tic : tics de scène, postures… Je trouve ça quelque peu malhonnête, pour le coup. On ne doit pas s’adresser au public de la même manière à chaque concert. Il est à chaque fois unique et ne correspond pas à celui de la veille, ou même à ta journée, ce qui reste le plus dur quand tu dois monter sur scène. Il faut faire en fonction de la journée de merde que tu viens de passer, comme ce matin. (rires) Le début du concert a été très difficile et il a vraiment fallu prendre sur nous, mettre certaines choses de côté. On a eu besoin de deux ou trois morceaux pour nous mettre dedans, mais on s’est rendu compte que le public était très réactif. Il y avait une belle écoute. Il a fallu s’adapter à cette situation là et en soi, c’est être honnête. Ce serait tellement plus simple de tous avoir un personnage avec une mise en scène prédéfinie, où le concert serait le même que la veille. Beaucoup de shows fonctionnent de cette manière. Ca a tué le live. Il y a peut-être le fait qu’en France et même ailleurs, on aime bien institutionnaliser les choses. On en parlait avec notre photographe, qui a fait le dernier concert de Nirvana sur nos terres. Il nous a dit que c’était le dernier meilleur concert auquel il ait assisté parce qu’à cette période, tu te rendais à un concert sans savoir ce qui allait se passer, et il pouvait se passer n’importe quoi. Et il s’est passé n’importe quoi, d’ailleurs. (rires) Je crois que la veille, ils tiraient un coup de flingue dans une pizzeria. Je trouve que cet aspect manque sur scène de nos jours. L’honnêteté de se planter, ou de faire n’importe quoi si tu en as envie.

Que pensez-vous de la sacralisation de l’artiste, de cette sorte de barrière qui le sépare de son public ? Quel est son rôle dans la société actuelle ?

P : Je pense que l’artiste ne doit pas avoir d’autre rôle que de monter sur scène. Il ne doit pas forcément avoir de rôle politique. Ce qui m’agace dans Noir Désir, c’est justement les chansons engagées.

C : Moi je ne déteste pas. Mais comme tu dis, c’est périssable. Ce n’est pas une obligation que d’avoir un devoir politique quand tu es artiste.

P : Cependant, je trouve ça très important de sacraliser l’artiste, de créer une barrière qui doit tomber après le concert. Il faut que le public s’imagine que la personne sur scène n’est pas un homme normal. Il y a tout un fantasme autour autour des tournées par exemple. Tu te dis que l’artiste est à un endroit un jour, puis à un autre le lendemain, et qu’il vit une vie de rêve. J’estime que l’on ne doit pas savoir qu’en sortant de scène, l’artiste a une vie normale. L’artiste sur scène n’est pas un humain. Pour prendre un exemple concret, Nick Cave me fait rêver. il est au-delà de tout lorsqu’il prend place devant son micro.

La limite que tu évoques n’est pourtant pas si bien respectée, et cette idéalisation s’étend à l’atteinte de la vie privée la plupart du temps.

C : Cet aspect-ci est un peu gênant, mais j’ai aussi l’impression que l’artiste lui-même provoque ça. S’il souhaite être sous la lumière tous les jours, le problème part de lui. Il y a beaucoup d’artistes discrets qui sont connus et reconnus, sans qu’ils ne se retrouvent en première page des magazines pour autant, comme Gaëtan Roussel ou même les Daft Punk. Ils sont mondialement connus mais on ne voit jamais leurs visages, par conséquent ils arrivent à garder le contrôle sur leur vie privée.

P : Je trouve que c’est la recette idéale.

C : Ca découle aussi de la personnalité des gens.

P : Un ami nous avait dit “quand tu sors de scène, tu ne reviens pas chercher ton matériel”. Il se trouve que nous devons le faire car nous n’avons pas de backliners, mais quand Nick Cave sort de scène, je ne le vois pas revenir ranger son matos. Quand il disparait, le spectacle disparait aussi. On ne sait pas où il est ni ce qu’il fait, et je trouve ça magique. Je n’ai pas envie de le voir revenir. A la limite, le voir remonter dans le bus, mais pas plus. Il faut qu’il s’en aille tout de suite pour laisser une impression incroyable. Par contre, supporter les inconvénients de cette idéalisation dans la vie de tous les jours est très pesant et handicapant. Je ne sais pas si tu es d’accord Manu ?

M : Oui !

P : Il est toujours d’accord, c’est chiant !

Ce sera le mot de la fin, merci pour votre temps. On espère vous revoir vite !

 

 

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