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PORCUPINE TREE (10/05/22)

© Alex Lake
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2022 est l’année du grand retour de Porcupine Tree sur scène et sur les platines. Désormais trio, le groupe anglais sort dans quelques semaines son onzième album, Closure/Continuation, treize ans après The Incident (2009). RockUrLife a rencontré Steven Wilson et Richard Barbieri pour l’occasion dans une longue entrevue consacrée à l’album mais aussi à leurs parcours et à l’évolution de l’industrie musicale.

Le fait d’entendre de nouveaux morceaux de Porcupine Tree treize ans après les derniers est une sensation vraiment géniale. Félicitations pour le nouvel album ! Quel est votre état d’esprit à son propos ?

Steven Wilson (chant/guitare) : Habituellement, quand tu arrives à ce stade, tu en as assez de l’album. Tu as une espèce de relation ambivalente avec lui. Mais je suis toujours très enthousiasmé par celui-ci. Nous avons répété les morceaux avec les nouveaux membres de la formation live il y a quelques semaines, et c’était très agréable de jouer cette musique. Il y a en elle une forme de nouveauté.

Richard Barbieri (claviers) : Oui, cela a l’air simple mais ce n’est pas le cas. Rien qu’en la jouant, il y a quelque chose de différent. C’est difficile d’expliquer exactement quoi. L’album a été conçu sur une longue période de temps, sans aucune pression venant d’une maison de disques ou d’un quelconque programme. Il n’y a que nous trois. La musique est principalement co-écrite. Steven joue de la basse, c’est un gros changement. Et il n’y a pas de musicien supplémentaire ou d’orchestration. Nous avons également changé les personnes qui nous entourent : nous avons un label différent, une personne qui a travaillé sur l’artwork différente, donc tout semble nouveau.

Qu’est-ce qui a déclenché la décision de sortir un album de Porcupine Tree en 2022 ?

Steven : Nous y travaillons depuis presque dix ans. Honnêtement, s’il n’y avait pas eu le confinement, nous ne serions probablement pas assis ici maintenant. Nous serions plutôt encore en train de travailler dessus. (rires) Parce que nous n’étions pas pressés, personne ne savait que nous le faisions, personne n’était impliqué, personne ne nous mettait la pression. Nous n’avions pas d’échéances. Nous l’avons juste fait. Comme nos tournées à chacun ont été annulées, nous avons finalement eu l’occasion de le terminer, et nous avons rassemblé tous les éléments que nous avions développés pendant cette très longue période et nous avons réalisé que nous avions un excellent album qui ne ressemblait pas à un autre album. On avait l’impression que le son du groupe avait évolué mais il conservait encore tous les éléments que les gens peuvent considérer comme fondamentalement propres à Porcupine Tree. C’est pour cela que j’aime tellement l’album, parce qu’il ressemble exactement à Porcupine Tree, mais il sonne très nouveau et très original. Je ne sais pas vraiment comment on a fait cela, mais on l’a fait ! Il y a certaines choses qu’on peut mettre en avant : le fait que nous avons beaucoup collaboré sur l’écriture, le fait que je joue de la basse, mais je pense que cela se résume au fait que nous avons eu des expériences différentes, nous sommes plus âgés, le monde est très différent de celui que nous avons laissé en 2010, et tout cela se reflète dans le son de cet album.

En tant qu’auditrice, cet album est peut-être le disque le plus dynamique et le plus cohérent que vous ayez jamais fait.

Richard : Il y a du dynamisme dans cet album, même s’il y a moins d’instrumentation. Il n’y a pas les multi-couches de guitares.

Steven : C’est peut-être pour cela. Il y a plus d’espace. Quand c’est spacieux, c’est vraiment spacieux. Et quand c’est lourd, c’est pour un bref instant et ensuite cela redevient spacieux.

La production, les voix, les moments les plus lourds ainsi que les parties les plus “soft rock” et même ambiantes s’enchaînent très bien tout au long de l’album, et il n’y a pas de morceaux de remplissage. Y a-t-il une chanson de Closure/Continuation dont vous êtes particulièrement fiers ?

Steven : Je suis fier de tout l’album, mais pour moi il y a quelque chose dans “Harridan” qui résume tout ce qui est spécial à Porcupine Tree dans une chanson de huit minutes. Le groove, la patte sonore, les gros riffs de metal, les longs passages instrumentaux, l’équilibre, la coda. Il y a tout ce à quoi les gens peuvent penser quand ils pensent à Porcupine Tree. Si je devais faire écouter une chanson à quelqu’un qui ne sait pas qui nous sommes, je choisirais celle-là.

Richard : Nous avions l’habitude de choisir “Blackest Eyes”, de In Absentia, qui selon nous résumait ce qu’était le groupe, mais maintenant c’est le meilleur exemple.

Steven : C’est aussi pourquoi c’est la première chanson de l’album.


Quel a été le rôle de chacun dans la réalisation de cet album ? L’écriture, l’enregistrement, les arrangements. Comment tout cela a-t-il fonctionné ?

Steven : C’est un peu difficile à séparer. Nous avons tous été impliqués dans tous les domaines. Il y a trois personnes qui ont fait l’album, et seulement trois. Elles représentent les trois points du triangle qui constitue le noyau créatif du groupe. Vous avez l’intérêt de Gavin (Harrison, batterie) pour les rythmes complexes et la polyrythmie, celui de Richard pour l’esthétique sonore et les textures, et tout cela s’exprime à travers mes compositions et leur sensibilité. Ces trois éléments ont toujours été, en quelque sorte, le noyau dur du groupe. Donc, en grande partie, il a été écrit en collaboration, bien que tu puisses probablement dire quelles chansons ont été composées par qui, juste par leur nature : celles qui sont les plus portées par les rythmes complexes sont probablement celles de Gavin, celles qui le sont plus par les textures et le travail du son seraient celles écrites par Richard. Et cela semble créer un très bel équilibre sur le disque. Mais c’est difficile à analyser.

Richard : Le mixage est en quelque sorte établi au fur et à mesure qu’on avance dans le processus. Une fois que tu as trouvé deux ou trois éléments qui fonctionnent ensemble d’une certaine manière, puis que tu trouves l’élément suivant, sa position et son niveau, cela influence l’overdub suivant. Donc on ne part jamais de zéro.

Steven : Nous avons écrit la musique, nous l’avons enregistrée et nous l’avons jouée, donc nous avons tous les trois produit l’album.

Richard : Nous n’y avons pas introduit d’autres personnalités ou d’autres sonorités, comme les orchestrations que nous avions sur les albums précédents.

Steven : C’est un album magnifiquement enregistré. Je pense que c’est parce que nous sommes très expérimentés maintenant, à faire de la musique ensemble. Je me souviens que vers la fin du processus, nous avons enlevé beaucoup d’overdubs de guitare pour qu’il n’y ait plus qu’une seule guitare qui joue. Nous n’aurions jamais fait ce genre de choses il y a douze ou treize ans. Je pense que c’est quelque chose que j’ai appris au cours de cette dizaine d’années passée. Parfois, une seule performance a plus de personnalité. Elle n’est peut-être pas aussi impressionnante, mais elle est plus organique. C’est quelque chose qui se retrouve dans tout l’album en fait. Chaque chose est à sa place.

Y-a-t-il des thèmes particuliers qui traversent l’album ?

Steven : Il y en a, mais si tu me demandes s’il y a un thème qui unit toutes les chansons, pas vraiment pour la simple raison qu’il a été écrit sur une très longue période de temps. Habituellement, dans les premiers albums, j’écrivais les paroles sur une période de six mois à propos de ce qui m’obsédait à ce moment-là : les tueurs en série, les enfants accros aux réseaux sociaux. Mais dans le nouvel album, il n’y a que des sujets différents en lien avec ce qui s’est passé dans le monde. Au Royaume-Uni, nous avons eu le Brexit, Trump, COVID, et je me suis marié et j’ai des enfants maintenant. Ma vie a donc complètement changé plusieurs fois, et le monde a changé. Cela dit, je reviens aux mêmes choses dans tous mes textes. Les regrets, le pathos d’une vie qui n’a pas été menée de la manière dont on le souhaitait. Je pense que ces sujets ont toujours été les plus fascinants et les plus beaux sur lesquels écrire. “Dignity”, par exemple, parle d’un sans-abri qui est constamment ignoré dans la rue alors qu’il a été quelqu’un de très important, une pop star, une star de cinéma, un homme d’affaires important et de la souffrance qu’implique cette sorte de déchéance, de passer de si haut à si bas, et de garder cette dignité. Cette histoire m’est venue rien qu’en écoutant la musique de Richard.

En parlant d’inspiration, qu’est-ce qui vous a inspiré spécifiquement pour ce disque ?

Steven : C’est notre son nous a inspiré. Je pense que notre plus grande influence sur ce disque a été les uns et les autres, nous trois, et le modèle que nous avons créé au cours de ces trente dernières années.

Richard : C’était de trouver ce qui fonctionnait entre nous. Je n’écoutais rien d’autre et je n’essayais pas d’apporter d’autres influences. Nous gardions les choses très ouvertes entre nous. Cela semblait naturel et facile.

Steven : Quand tu arrives à un certain stade dans ta carrière, je pense que ta plus grande influence devient ton propre catalogue, dans le sens où tu ne veux pas te répéter. C’est un peu une chose négative en un sens : tu écoutes ta propre musique et tu te dis “Je ne veux pas refaire cela“. Mais en même temps, on ne peut pas cacher sa personnalité musicale, elle transparaît, qu’on le veuille ou non. On essaie donc de faire quelque chose de différent à chaque fois. Mais là ce n’était même pas conscient. Je ne me souviens pas avoir été influencé par quoi que ce soit. Il s’agissait juste de créer de la musique et d’être inspiré par ce que les autres partageaient.

Étant artistes depuis si longtemps, quel est votre rapport à la créativité aujourd’hui et comment a-t-il évolué au fil des ans ?

Steven : C’est une question à laquelle il est difficile de répondre. Pour moi, c’est toujours ce que je peux faire de différent, qui va me stimuler, et ce que je peux faire qui va donner à un nouvel album une raison d’exister, car quel est l’intérêt de faire toujours la même chose ? Je dis cela parce que les fans veulent parfois plus de ce qu’ils connaissent déjà. En tant qu’artiste, il est presque de ta responsabilité de faire face à leurs attentes. Ils disent : “Donnez-nous toujours plus de ce qu’on aime“, et tu es presque obligé de dire : “Je sais que vous voulez encore la même chose, mais vous ne l’aurez pas, vous allez avoir quelque chose d’un peu différent. Mais vous reconnaîtrez assez de ce que vous aimez ou espérez, et vous apprendrez à l’aimer de toute façon“. Je ne sais pas si c’est ce qu’il va se passer avec ce disque, mais c’est en tout cas ce que les gens semblent nous dire.

Vous avez parlé récemment de cet album, en disant qu’il pourrait être soit une conclusion, soit une continuation pour le groupe. Cela a-t-il été libérateur d’aborder les choses de cette façon ?

Richard : Oui, complètement, parce que nous ne sommes plus obligés vis-à-vis de quoi que ce soit maintenant. Nous pouvons juste prendre une décision quand nous voulons prendre une décision, ou pas. Cela nous a aidé à faire l’album, donc nous ne nous mettrons certainement pas cette pression maintenant en nous demandant s’il y aura un autre album ou une autre tournée. Nous considérons que c’est peut-être la dernière fois que nous le faisons, et nous en sommes vraiment heureux, parce que nous sommes très satisfaits de l’album. Il est toujours important de pouvoir dire que la dernière chose que tu as faite est ce dont tu es vraiment fier.

Steven : Oui, c’est déprimant si tu dois dire : “Voici quelque chose que j’ai fait il y a trente ans, c’est la meilleure chose que j’ai jamais faite“. Comme Richard l’a dit, je pense que nous ne savons vraiment pas et qu’il y a une sorte de point d’interrogation implicite dans le titre : est-ce la fin ou la suite ? Nous ne le savons pas. Si c’était la fin, je pense que ce serait une belle façon de s’arrêter avec ce disque. Mon intuition est que nous pourrions, dans quelques années, faire un autre album si nous avons quelque chose d’autre à explorer. Je suis moins sûr que nous ferons une nouvelle tournée. Personnellement, je suis moins enthousiaste à l’idée de partir en tournée maintenant, j’ai une famille, des enfants et tout le reste. Donc cette tournée pourrait être la dernière… mais peut-être pas ! Mais si tu y réfléchis, cela devrait être comme cela pour chaque groupe, à chaque fois. Cela devrait toujours être : “Avons-nous quelque chose à dire ? Allons-nous aimer repartir en tournée ?“, mais bien sûr, ce n’est pas la réalité. La réalité, c’est qu’on entre dans un cycle. Nous avons de la chance dans le sens où nous en sommes sortis et où nous sommes maintenant capables de prendre nos propres décisions, ce qui est incroyable.

© Alex Lake


Était-ce un objectif plus tôt dans votre carrière d’arriver à ce stade ?

Steven : Je pense que j’ai toujours eu l’impression de faire ce que je voulais.

Richard : Tu apprends en cours de route la façon dont tout cela fonctionne, et puis tu finis par réaliser que c’est la meilleure façon de faire de la musique. Même maintenant, nous sommes avec Sony, un gros label, mais nous avons signé un contrat qui nous permet de ne plus faire de musique si nous le voulons, et ils nous soutiendront si nous ne le faisons pas.

Steven : Mais l’industrie musicale a également changé. Entre le moment où nous tournions en 2010 et maintenant, toute l’industrie de la musique a changé en quelque chose de complètement différent.

Richard : Il y a juste trois entreprises qui contrôlent tout.

Steven : Et Spotify domine complètement.

Richard : Les écoutes sont plus importantes que le disque.

Comment voyez-vous cette évolution ?

Steven : C’est une évolution, et je pense qu’il est important que l’industrie de la musique continue à évoluer, même si nous n’aimons pas personnellement ce qu’elle est devenue. Mais elle évoluera toujours. C’est une époque intéressante qui devrait rendre la musique plus créative, mais ça ne semble pas encore être le cas.

Richard : Je n’ai jamais pensé que je dirais cela, mais dans les décennies passées, l’industrie du disque était meilleure parce que même si les contrats et les conditions étaient terriblement mauvais, les maisons de disque investissaient dans les gens. Elles donnaient au moins une plateforme aux artistes pour qu’ils puissent faire de la musique et sortir un album, parfois deux ou trois. Et maintenant, c’est fini. Maintenant, tu n’as qu’une chance pour une chanson. Le public ne veut pas investir de l’argent là-dedans. La musique est accessoire pour eux, comme quelque chose qui doit être là comme un divertissement.

Steven : Les gens connaissent une chanson, et ils ne savent même pas qui est l’artiste et ils s’en fichent. Ils n’ont aucune loyauté envers l’artiste. Mes enfants sont comme cela. Alors certes, ils n’ont que neuf et dix ans, mais quand ils lancent une chanson et que je leur demande de quel artiste il s’agit, ils n’en ont aucune idée.

Richard : Nous ne le saurons probablement jamais mais il sera intéressant de voir la longévité de ces artistes, si cela va jusqu’à six, sept décennies.

Steven : Je pense qu’il y a des choses passionnantes qui se passent dans la musique, surtout dans la musique urbaine. Du point de vue de là d’où nous venons, c’est-à-dire le rock traditionnel, le rock traverse une période très difficile. Il est difficile d’intéresser les gens au rock. Le genre n’a probablement qu’à s’en prendre à lui-même, car il ne s’est pas vraiment réinventé.

Richard : Je pense que pour trouver de nouvelles formes d’art, il faut toujours mélanger des choses, deux genres ou sources sonores très différents, mis hors contexte. Cela ne sera pas nouveau, mais cela donnera une sensation nouvelle. Je ne sais pas quelle nouvelle musique pourrait être inventée, étant donné les outils dont nous disposons, mais il existe de nouvelles façons de combiner différentes formes d’art.

La plupart de vos disques sont conceptuellement et musicalement denses et longs. Dans quelle mesure pensez-vous que l’intention de l’artiste, dans ce cas, peut être préservée, avec les habitudes d’écoute d’aujourd’hui, le streaming et les playlists ?

Steven : C’est une bonne question que je me pose tout le temps et je n’ai pas de réponse. Comment vendre le format long à des gens qui sont maintenant habitués à des petits bouts de musique ? Comment représenter le monde de Porcupine Tree dans une chanson de trois minutes ? C’est impossible. Il n’y a pas de réponse évidente, sauf de dire qu’il y a toujours des gens qui aiment se plonger dans le format long, et c’est notre public.

A propos de l’artwork, que représente-t-il ?

Steven : Tu as besoin d’avoir le disque entre les mains. L’idée est une série d’images et il importe peu de savoir ce que c’est, cela peut être un paysage industriel, une photo de vacances, l’image de l’arbre sur la couverture. Chaque image a le même gros carré avec le même texte écrit dessus, il y a donc une uniformité dans la façon dont les images sont présentées, même si elles sont différentes. L’utilisation du texte est centrée sur le message, le logo, la marque. Les images en deviennent presque insignifiantes. C’est ce qui me fascinait déjà pour mon dernier album solo (The Future Bites), l’idée d’utiliser des techniques de marques et de design pour commercialiser un disque de pop. Dès que j’ai eu le titre Closure/Continuation, j’ai été très intéressé par cette idée que tout aurait ce logo “P/T, C/C“, cette chose très iconique que l’on pourrait apposer sur tout, quoi que ce soit. C’est une façon très moderne de vendre, de créer une marque, de concevoir des choses.


Dernière question : comme nous sommes RockUrLife, qu’est-ce qui rock votre life ?

Steven : Ma famille, mon chien, ma collection de disques.

Richard : Mon chat et jouer au golf.

© Alex Lake

Site web : porcupinetree.com

Gabrielle de Saint Leger
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