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MAT BASTARD (21/06/17)

Sept mois après avoir annoncé la fin de Skip The Use, Mat Bastard revient chargé à bloc et plus engagé que jamais avec son premier album solo, “LOOV”. Quelques jours après sa sortie, RockUrLife s’est entretenu avec le Lillois délocalisé à Los Angeles pour en savoir plus sur ce nouveau projet et parler au passage de la fin de son ancien groupe, de ses retrouvailles avec Carving, de famille et de féminisme.
 

Qu’est-ce que ça fait d’avoir son propre nom sur un album et de l’assumer pleinement tout seul quand on a passé toute sa vie à jouer dans des groupes ?

Mat Bastard : Ça ne me dérange pas. Je ne le défends absolument pas tout seul, c’est peut-être pour ça que ça ne me pèse pas. Je suis avec toute l’équipe avec laquelle je bosse depuis des années en prod et en studio et avec qui je fais de la musique depuis que j’ai treize ans. Les potes de mon groupe Carving, Mike et Olive, j’ai toujours été avec eux. C’était plus difficile pour moi de faire Skip The Use sans eux puisque j’ai tout fait dans ma vie avec eux. Je ne vais pas rentrer dans les trucs “Amour, Gloire Et Beauté” mais Enzo, à la batterie, c’est le fils de l’ingé son de mon groupe de punk, et Nelson c’est un super bon pote à Olive, donc je suis vraiment en famille.

C’est un album solo, mais tu es bien entouré. Peut-on dire que c’est toi qui mène, mais qu’il s’agit d’une sorte de projet collaboratif ?

Mat Bastard : C’est mon projet, ce sont mes chansons mais je suis vraiment porté par tous les autres. Mike surtout, avec qui j’ai tout fait dans ma vie. Le fait qu’il soit de nouveau là, c’est génial. C’est lui qui fait toute l’image, il a vraiment une place très importante.

Faire un album solo, ou du moins rejouer avec tes anciens potes, était-ce un truc que tu avais en tête depuis longtemps ?

Mat Bastard : J’avais vraiment envie de retourner avec eux. On avait déjà fait quelques dates avec Carving et on avait vraiment envie de remonter sur scène ensemble. Ça me fait du bien d’être avec mes potes, je suis bien avec eux, ils me rendent vraiment meilleur.

Sur “LOOV“, il y a quand même quatorze chansons. Tu le sors seulement sept mois après avoir officiellement annoncé la fin de Skip The Use. As-tu écrit tous ces morceaux entre la séparation et maintenant, ou as-tu aussi récupéré d’anciens embryons de morceaux que tu avais écrits auparavant ?

Mat Bastard : Le premier morceau, j’ai dû l’écrire en 2014. À la base, je voulais sortir mon album, puis continuer Skip. C’est juste que dans Skip, ils ont préféré bosser avec quelqu’un d’autre et qu’on arrête de travailler ensemble. Du coup, je n’ai sorti que ça. Mais j’avais même commencé à travailler sur le troisième album de Skip, pour moi ce n’était pas deux choses incompatibles.

Y avait-il des morceaux que tu avais commencé à écrire, mais qui n’auraient jamais pu finir sur un album de Skip et que tu avais gardé sous le coude ?

Mat Bastard : Plutôt des sujets ou des thèmes qui étaient peut-être plus incisifs. L’album est aussi plus rock que ce qu’on faisait avant. Ça explore des univers qu’on n’explorait pas non plus avec Skip. Je suis très content d’avoir écrit “Ghost” ou “Cup Of Coffee” et toutes ces chansons-là, en musique ou en paroles. C’est aussi ma musique mais quand j’écrivais pour Skip The Use, j’écrivais aussi pour un groupe. Là, j’avais envie de me mettre aucune barrière.

A la base, tu viens du punk, après avec Skip The Use, tu as pris une direction plus légère. Avais-tu une volonté, comme tu viens de le dire, de revenir à quelque chose de plus incisif, à un son plus énervé ?

Mat Bastard : Ce n’est pas tout le temps énervé, mais même quand c’est calme, c’est très tranché au niveau du discours. C’est plus à l’image de ce que je suis et de ce que j’étais en concert. Dans Skip The Use, les gens étaient souvent déstabilisés parce qu’entre ce qu’ils voyaient en concert et ce qu’ils écoutaient en disque, il y avait un monde. Là, c’est beaucoup plus cohérent, c’est vraiment du Mat Bastard comme je suis sur scène. Tu peux l’avoir chez toi et c’était ça aussi le but.

Au moment de la fin de Skip The Use, tu as écrit sur Facebook “on fait de la musique pour exprimer sans filtre nos émotions et on doit passer à autre chose pour pouvoir le faire sincèrement”. Ce n’était plus sincère, ce que tu faisais avec Skip The Use sur la fin ?

Mat Bastard : Ça fait un peu Calimero de dire ça, mais quand tu fais un projet et que tu te rends compte qu’en fait les gens qui sont avec toi, ils n’ont pas envie que tu sois là… Je pense qu’ils avaient vraiment envie de faire des choses avec quelqu’un d’autre. Il faut aussi se remettre en question, je ne me mets pas forcément dans le rang, j’en ai rien à foutre de beaucoup de choses, mais par contre il y a des choses qui me tiennent vraiment à cœur, comme l’engagement. Sur l’aventure “Être Heureux”, j’étais assez seul à porter ce titre alors que pour moi, c’était extrêmement important au niveau éthique. Je pense que c’était un message qu’un groupe de rock devait donner dans notre pays. Mais comme je me suis retrouvé un peu tout seul pour faire ça, je me suis dit, “ces choses-là, il faut que tu les fasses seul”. Et c’est surtout là où je me suis dit que j’allais faire un disque et y aller à fond. Mis à part ça, quand tu sens que tu ne peux plus le faire dans ton projet parce que tu as des histoires à la con ou que tu n’as plus le même objectif tout simplement, forcément ce n’est plus sincère. Tu peux y aller pour l’argent ou des trucs comme ça, mais ça ne m’intéresse pas.

Le rock, la pop, le punk, le ska, le funk, ce sont des choses auxquelles nous étions habitués avec toi, mais sur l’album, tu empreintes aussi des directions plus surprenantes, comme sur “Shout”, où tu pars sur un trip metal progressif, avec un gros riff. D’où sort ce morceau ?

Mat Bastard : J’ai toujours été fan de cette musique-là. Je suis ultra fan de Gojira. Les gens savent qu’on est potes mais mis à part ça, ce sont des artistes super talentueux. J’adore leur musique, le côté imagé dans leur musique, c’est progressif, puissant, intense. J’adore aussi Queens Of The Stone Age et pleins d’autres projets. “Shout”, c’est une chanson que j’ai écrite et qu’on a produite à Los Angeles. Pour aller au studio, je passais toujours par la Pacific Coast Highway, une longue route au bord de la mer et j’écoutais les rushs de musique en rentrant chez moi le soir. À un moment, j’écoutais juste la musique, il n’y avait pas de paroles. Je me suis dit “s’il y a une chanson où il y a un passage instrumental un peu visuel, c’est celle-là”. Je trouvais hyper intéressant de laisser un long passage qui donne des images sonores. Et puis avec un gros riff. L’album est très riffé, j’ai toujours aimé les riffs de grattes. Il y a certains riffs avec cette dynamique là qui me plaisaient mais que je n’avais pas beaucoup utilisés auparavant et là, ça m’a permis de le faire.

 

Ton album est assez éclectique, riche d’influences diverses, il part un peu dans tous les sens, et même dans la musique en général, les frontières entre les genres sont de plus en plus floues. Trouves-tu que ça a encore un sens de classer les artistes par genre ?

Mat Bastard : Je n’ai jamais trouvé que ça avait un sens de classer la musique par style. The Hives, Phoenix, Shaka Ponk, Marilyn Manson et Blink, c’est tous marqué rock, mais ça ne veut rien dire au final. Vu que j’aime tous ces projets-là, on va dire que je fais une musique très dispersée. Non, j’aime le rock, avec un R majuscule, j’aime autant tous les groupes que je t’ai cités, ou même Radiohead, Massive Attack. En Angleterre, le rock c’est quand tu as de la guitare, c’est tout. David Bowie, c’est du rock. Moi je vais utiliser toutes les palettes que cette musique me permet d’avoir.

Notre morceau préféré de l’album, c’est le dernier, “Tamachute”. Quelle est l’histoire derrière ce morceau ?

Mat Bastard : C’est un disque assez personnel. Dedans, pour la première fois, j’aborde des sujets de ma vie privée, j’ai même une chanson avec ma femme. Quand Skip The Use, ça s’est arrêté, dans les premiers temps, je pensais honnêtement ne plus faire de concerts. Je me suis dit, voilà c’est tout, c’est fini. Et puis, ma femme et son frère, Mike et tous ceux qui sont dans le disque m’ont beaucoup poussé à remonter sur scène. Il y a eu une période assez difficile où tu dois complètement te remettre en question. J’ai beaucoup donné aux gens, aux fans, tous les gens qui nous ont soutenus avec le groupe, que j’ai toujours considéré comme une grande famille donc quand ça s’est terminé, c’était assez difficile. “Tamachute” parle de ça. Ce n’est pas uniquement moi, je l’ai imagée, romancée un peu. Mais c’est l’histoire de quelqu’un qui descend aux enfers de plus en plus bas, et qu’il n’y a pas de solution. J’ai essayé de mettre ça en musique. Je rassure tout le monde, je suis pas en dépression, mais ça m’a donné envie de faire ce sujet-là. Il y a aussi énormément de gens en ce moment pour qui le quotidien est dur et je me suis demandé : comment ça se passe quand on essaye par tous les moyens d’être quelqu’un et qu’on est forcé de constater qu’on ne l’est pas.

Si tu devais choisir un morceau sur l’album, ce serait lequel ?

Mat Bastard : C’est un tout. Il y a beaucoup d’autobiographie dans chaque chanson. Il y a mes amis, la politique, le féminisme, ma famille, mes enfants aussi, et ma femme, Anthéa, qui est très présente dans le disque. J’aime bien “No Remedy” parce que c’est quelque chose par rapport à elle au départ, donc elle me touche beaucoup. Mais honnêtement, toutes les chansons me touchent. “Stand As One”, ça me touche particulièrement parce que ça me fait penser à mes enfants.

Dans le style un peu énervé sur l’album, il y a “Wild” et “Rosemary”, qui envoient bien tout en gardant un côté solaire, ensoleillé. Est-ce l’influence de la Californie ?

Mat Bastard : C’est deux chansons qu’on a produites aux Etats-Unis, je pense que c’est surtout très Carving.

Donc plus Nord de la France que Californie ?

Mat Bastard : Les deux, puisque j’ai pris les mecs de Carving et je les ai emmenés en Californie ! Ces chansons, c’est l’association des deux. C’est la musique que je kiffe, j’ai toujours été fan du rock des années 90. J’aime bien rire, j’aime bien la lumière. Même si “Tamachute” par exemple, c’est une chanson avec une ambiance assez sombre, à la fin, le cataclysme, il peut y avoir une vision lumineuse. Même si on n’y est pas, ça s’ouvre vers quelque chose. J’ai toujours été dans ce délire-là.

Une des raisons pour lesquelles tu t’es exilé aux États-Unis, c’est parce que tu es producteur là-bas.

Mat Bastard : J’ai mon studio là-bas, où je produis et réalise des albums et écris pour d’autres et pour le cinéma. Et puis, j’ai mon équipe ici aussi, dans un studio qui s’appelle le Hangar à Sons à Cambrai, où j’ai produit la moitié de mon album.

Ce nouveau rôle de producteur a-t-il modifié et influencé ta manière de travailler, d’écrire, de composer pour ton album ?

Mat Bastard : À la base, je suis allé aux Etats-Unis en toute humilité en me disant que là-bas, je rencontrerai les gens qui allaient m’apprendre ce métier qui me passionnait. Effectivement, j’ai rencontré PJ Bianco, Neff u, Gavin Brown. Ça ne va peut-être pas parler aux gens, mais Gavin Brown, c’est celui qui produit Metric et Billy Talent, Neff u produit 50 Cent, Jay Z et Dre, le dernier album de Michael Jackson, et PJ Bianco, c’est Demi Lovato et Jonas Brothers, Anders Bagge produit Santana. Bref, des mecs qui avaient dis mille fois plus d’expérience que moi et qui m’ont appris pleins de choses que j’ai utilisées dans le disque. D’ailleurs, il y a des titres que j’ai produits avec eux. “No Remedy” je l’ai produite avec Anders, “Grave Of Broken Dreams”, avec PJ Bianco, d’ailleurs elle sonne très ricain. Gavin Brown c’est une chanson qui n’est pas sur le disque mais qu’on sortira plus tard, qui sent un peu le Canada. Neff u, pareil ce sont des titres qui sortiront un peu plus tard.

Est-ce qu’il y a des oeuvres, musicales ou artistiques en général, qui t’ont particulièrement inspiré pendant l’écriture de l’album ?

Mat Bastard : Pleins de trucs. Le dernier album de David Bowie, que j’ai vraiment aimé. Travailler avec A-Vox, ça m’a beaucoup inspiré parce que je produis leur album. Toujours NOFX, le dernier album qui est sorti pendant que j’étais en train de produire. Et des trucs un peu plus électroniques.

 

Juste avant la sortie de “LOOV”, tu as écrit sur Facebook “je peux juste pas rester comme un con et regarder le monde tourner n’importe comment sans rien dire”. C’est ce climat de tension sociale, que tu ressens aussi bien, on imagine, aux États-Unis qu’ici, qui t’a redonné envie de reprendre un micro et de monter sur scène ?

Mat Bastard : Ça en a fait vraiment partie. Je n’allais pas passer mon temps à regarder BFM TV et à me dire “merde”. Pour moi le rock, c’est mettre le projecteur sur des idées qui te touchent et susciter la prise de position. Mes concerts ne sont pas des meetings mais j’aime bien mettre des sujets sur la table. Je respecte que chacun puisse avoir un avis, mais il faut parler. Sur un projet comme ça, avec une musique très incisive, ce n’est pas facile de se frayer un chemin avec tout ce qui est réseaux sociaux. Je n’ai pas pleins de followers, je ne fais pas les trucs cools parce que je veux mettre en avant des sujets qui pour moi sont plus importants, comme le féminisme. Aujourd’hui, tu as plus de chances de devenir quelqu’un en montrant ta chatte sur internet qu’en faisant des études. Moi ça me scandalise. J’ai deux petites filles, ça me fait flipper.

Ce qui me fait flipper aussi, ce sont les meufs qui sous couvert de féminisme, se disent “je suis libre de mon corps, je fais ce que je veux”, donc font un truc que tous les gros crevards attendent et leur donnent à manger, mais dans leurs têtes, elles font du féminisme. Les réseaux sociaux m’ont un peu sauté à la gueule, je me suis dit, mais putain, pourquoi tu te fous en string ? Parce que ça te fait cent mille followers et on te file des fringues et de la thune. C’est chaud. Pendant ce temps-là, les mecs continuent à cogner sur leurs femmes et elles n’ont rien fait pour que ça change. Je crache pas dans la soupe, je pense que ces nanas là ont vraiment envie de faire quelque chose pour le féminisme. C’est notre job de dire “viens à des concerts, reste comme tu es et milites sur des idées que tu défends”. Et viens, on va faire un concert en Iran, ou en Afrique du Sud pour Afropunk. Peut-être qu’on se fera caillasser, mais on y sera allés parce qu’on n’aura pas eu peur. Là, tu fais quelque chose qui fait avancer.

Il ne faut pas qu’on attende de se faire plomber sur une terrasse pour se mobiliser ensemble. On peut le faire avant et nous les artistes, on peut faire ça grâce à nos disques. Au Hellfest par exemple, il y a toute une scène de musique engagée et engageante, avec Suicidal Tendencies, Agnostic Front, les Ramoneurs de Menhirs, les Bérus, Kreator ou Prophets Of Rage, qui est vraiment soutenue par un public. C’est important que les gens soutiennent ça, c’est pour eux, c’est leur avenir. Avoir le bon discours, les mots justes, quitte à redémarrer à la base, c’est ce que j’ai voulu faire dans ce disque. Je fais confiance aux gens. On a fait quelques concerts, c’était super, on sentait que les gens adhéraient au truc. Mais forcément, sur un projet comme le mien, ça ne peut pas être immédiat. Je ne suis pas Maître Gims ou Kendji et je ne le serai jamais. Je ne suis pas là pour caresser dans le sens du poil.

Penses-tu que c’est le rôle d’artistes d’utiliser leur plateforme, leur micro, pour évoquer des questions de société, politiques ?

Mat Bastard : Ah non, c’est pour moi. C’est en toute humilité que je dis ça. Je ne dis pas que Maître Gims ou Kendji sont de mauvaises personnes, je dis juste que moi, je ne suis pas ça. Je pourrais aussi faire des chansons où il s’agit juste de danser sur une idée un peu fluette, mais ça ne m’intéresse pas. Ce qui m’intéresse c’est que tu puisses, toi, où n’importe qui, aller au bout de ce que tu as envie de faire dans ta vie et qu’on ne te dise pas “nan mais tu es une meuf, ferme ta gueule, déjà estimes-toi heureuse d’avoir un boulot, tu seras payée 30% de moins, quand tu seras enceinte, on te virera peut-être parce que ça fera chier et quand t’auras des gosses, ton mec te dira, moi je travaille à la BNP, tu crois pas qu’en rentrant à 5h, je vais aller chercher les enfants à l’école !” Tant qu’il y aura cette mentalité-là, je ferai des chansons sur le féminisme. Même si du coup, le prix à payer c’est d’avoir que cinq mille followers au lieu de cinq cent mille, je m’en bats les couilles. C’est beaucoup plus dur que si j’étais resté dans mon groupe d’avant, je parlerais à des centaines de milliers de personnes et je serais en radio partout, je ferais de la télé. Je ne me fais pas relayer par pleins de trucs, et je pense que c’est ça qui faisait chier aussi les mecs de Skip. Pour moi c’était important de ne pas faire que de l’entertainment, j’ai besoin de pouvoir me regarder dans la glace.

Te considères-tu comme un artiste engagé ?

Mat Bastard : Bien sûr. Sinon, je ne reprendrais pas les Bérus en live, j’aurai pas fait des chansons comme “Être Heureux”, “Girls” ou “Vivre Mieux”. Ce n’est pas anodin de faire ça, ça a des conséquences, je les assume. C’est ça les paroles de “Wild”, je suis comme ça, c’est tout et tant pis. Vouloir faire des disques comme ça et avoir ce discours là, c’est prendre des risques. Et je remercie d’autres personnes avant moi qui ont pris de bien plus gros risques que moi, qui ont mis en jeu leur vie pour l’égalité. Sinon, je m’assiérai encore à l’arrière d’un bus et j’irai pisser dans des chiottes dans un autre quartier.

Sur ton album, il y beaucoup de gros refrains fédérateurs, comme sur “Honestly” ou “Girls”. Tu parles beaucoup de peuple unis, tu dis souvent “nous”, sur “Stand As One” et “Dark Light” par exemple. En gros, le fil conducteur de cet album, c’est l’unité, la cohésion. N’as-tu pas l’impression d’aller complètement à contre courant dans une société qui encourage généralement l’égoïsme et l’individualisme ?

Mat Bastard : Et le communautarisme ? Bien sûr que si, c’est pour ça que ça sera plus long. Depuis des années, on me dit que le vivre ensemble c’est super bien. Au final, dans le concret, ce n’est pas du tout ce qui se passe. Alors si, quand il y a du terrorisme ou un truc ultra violent, là les gens s’unissent. Mais ils s’unissent pour deux semaines et après ils cherchent tous un responsable parmi leurs voisins. Personne ne cherche à se remettre en question, tout le monde estime avoir la vérité. Finalement, tu restreins ton tissu social, en ayant un tissu social énorme sur les réseaux sociaux. Ça te donne l’illusion de faire partie de quelque chose, alors que tu fais partie de rien, tu fais juste partie de ta chambre et de ta connexion internet. Les gens ont du mal avec le réel aujourd’hui. Je veux aller à l’encontre de ça parce que je sais que pendant un concert, à Solidays par exemple, ils seront 25 000 à faire quelque chose ensemble. Sans flipper les uns des autres, sans avoir peur que ça explose. Sans se dire “ah merde c’est un catholique, un musulman, une meuf, un noir, un Chinois, ah c’est une lesbienne, ah lui il a plein de thunes”. Pendant une heure trente, on s’en fout. Face à l’individualisme, faire un concert en rassemblant tout le monde, c’est hyper militant. Mais si tu ne le fais pas remarquer aux gens, les choses ne changent pas.

Au niveau des jeunes surtout, je pense qu’on est à un moment important. J’étais aux Etats-Unis quand je voyais les manifestations des jeunes étudiants pour le ni-ni, tu imagines ce que ça fait dans ma tête ? Quand on faisait des concerts avec Carving, il y avait des descentes de skins, des mecs du FN qui nous débranlaient la gueule. Et je voyais des jeunes de dix-huit ans qui étaient là “nan, ni-ni !”, mais les gars, de quoi on parle ? Attention, je suis pas un macroniste, je suis pour personne, je les emmerde tous, mais à un moment donné… Qu’est-ce qu’il faut faire, une page Facebook en disant “attention les gars, il y a eu une existence avant votre naissance” ? Il y a des gens qui sont morts quand même. Quand il y avait une manif du FN à Lille, ma mère ne me mettait pas à l’école, parce qu’elle ne voulait pas que je me fasse agresser. Tous ces jeunes-là, ils en sont là parce qu’on les a laissé tomber. C’est à nous d’éduquer. Je compte le faire, mais en me marrant, avec le sourire, en faisant des blagues. Les concerts qu’on fait, c’est loin d’être des meetings, on se fend la gueule, mais on se dit les choses.

Avant, le punk et le mouvement rock en général, étaient majoritairement politisés, contestataire et se faisait entendre, aujourd’hui, trente ans après sa sortie, on en est encore à reprendre “La Jeunesse Emmerde Le Front National”. Mais en terme de nouveaux artistes, il y a moins de contenus, de créations contestataires alors que le climat n’est pas vraiment plus détendu. As-tu l’impression que les artistes sont moins mobilisés qu’avant ?

Mat Bastard : Je pense qu’il y en a toujours autant, c’est juste qu’ils sont dans l’ombre. C’est très compliqué, ça va tellement vite. J’ai sorti deux albums en mode grand public avec une grosse maison de disque. Pour le deuxième, on a eu une Victoire de la Musique, ce n’est pas pour autant qu’aujourd’hui quand je sors un disque, c’est l’événement. Qui relaye d’abord, c’est la presse alternative, des gens comme vous. Je n’ai pas fait les grands médias. Quand est-ce que je les ferai ? Quand il y aura la pression sociale. C’est le jeu. Dimanche, aux Solidays, il y aura 30 000 personnes, ils vont se dire “ah merde”, après on ira au Garorock, il y aura 35 000 personnes, puis on ira à Argelès, il y aura 30 000 personnes et ils diront “bon bah on va le faire, ça fait quand même du monde”.

C’est pour ça que j’ai toujours cru aux fanzines. Tous les groupes de musique alternatifs ont pu exister grâce à ces gens-là, qui découvrent des groupes sur le terrain. Aujourd’hui, ils existent grâce aux sites internet, qui ont un rôle de précurseur. Je passerai par là pour faire passer mon message. Skip The Use a existé grâce aux gens comme vous. Notre première interview, c’était madmoiZelle.com, après on a fait des sites de concerts, comme RockUrLife. C’est eux qui ont créé une fanbase, underground, dans l’ombre. C’est pour ça que le premier EP, on l’avait appelé “Sound From The Shadow”. Il y avait toute une partie de la population qui savait très bien qui on était. Ceux qui disaient “c’est qui ?”, c’est ceux qui regardaient  juste de 1 à 20 sur le Top iTunes. Avec ce disque, j’ai un peu l’impression de revenir à ce stade. Pas autant, parce que les dates que je fais, je ne les ferais pas si je n’avais pas fait Skip, mais je trouve ça excitant.

 

Jusque-là, ton morceau le plus ouvertement politisé, c’était “Être Heureux”. Sur cet album, dans la même veine, avec un texte en français, il y a “Vivre Mieux”. Mais quand “Être Heureux” était un morceau acoustique avec violons, “Vivre Heureux” est le titre le plus énervé, le plus incisif de l’album. Penses-tu que c’est plus efficace pour faire passer un message ?

Mat Bastard : C’est surtout parce que ce n’est pas le même message. “Être Heureux”, c’était un message de douceur. “Vivre Mieux”, c’est un concentré de rage, j’avoue que ce n’est pas très subtil ! J’en ai eu marre des gens qui disent moi je sais, toi tu ne sais pas. J’en ai croisé tellement depuis des années, même au sein de Skip, qui t’apprennent la vie, qui te disent il faut que tu fasse ça, que tu penses comme ça, arrête de dire ça, arrête de faire ça. Ça me casse les couilles. Les hommes politiques, les patrons du CAC40 et les patrons de petites entreprises, pas du tout du CAC40, mais qui sont de bons gros connards aussi. Tous ces gens qui empilent les cadavres pour arriver jusqu’au sommet, et finalement, les cadavres, c’est nous. C’est la dernière chanson que j’ai écrite. Je l’ai écrite en deux heures au Nouvel An, le soir du 31. Je me suis réveillé en pleine nuit, j’ai écrit le texte presque d’une traite parce que j’ai vu un énième truc qui m’a saoulé, pour dire putain, qu’ils aillent tous se faire enculer” et laissez-nous essayer, laissez-nous nous tromper, laissez-nous être ce qu’on est, mais laissez-nous tranquilles surtout. Comme disait NOFX “leave us the fuck alone. On va peut-être tomber, et alors ? Ce n’est pas grave, on se relèvera. Sous couvert de paternalisme, c’est surtout une manière de nous contrôler.

Quelle est la chose dont tu es le plus fier jusqu’à présent dans ta carrière ?

Mat Bastard : D’être encore avec Mike et Olive, et tous les autres, vingt-trois ans plus tard. Carving, c’est une vraie fierté, parce qu’on est toujours là.

Tu chantes, tu composes, tu produis, tu as réalisé le clip de “More Than Friends”, tu as fais du doublage au cinéma pour l’adaptation en film de la BD “Zombillénium”. Y-a t’il un rôle que tu n’as pas encore endossé que tu aimerais vraiment essayer ?

Mat Bastard : Je viens de présenter une émission de télé, au Hellfest pour Arte, j’ai bien aimé faire ça. Présenter un magazine sur la musique, ça m’intéresserait. Et sur cette chaîne là. J’aime beaucoup cette chaîne, j’ai adoré bosser avec eux au Hellfest. C’était chanmé !

Lors de la release party de l’album à La Maroquinerie, tu as joué des nouveaux morceaux, des morceaux de Skip The Use et de Carving. Est-ce à ça que va ressembler la suite de la tournée ?

Mat Bastard : Il y a beaucoup de gens qui croient que je n’étais que chanteur dans Skip, et c’est normal, je ne suis pas du genre à dire “non mais je fais ça aussi, j’écris de la musique. Ça permet de faire le lien. Je joue mes chansons, je joue “Ghost”, “Bastard Song”, il y en a pleins que je pourrais jouer mais ce n’est pas un concert de Skip The Use non plus. Je joue forcément beaucoup de titres de l’album, et puis, je suis avec les gars de Carving donc on a notre petit quart d’heure de branlette où on se fait plaisir. C’est Mat Bastard sous toutes ses formes. D’ailleurs, le 7 décembre, on fait une soirée spéciale, une grosse fête “We Are Bastards” à l’Aéronef de Lille. Il y aura pleins de surprises et d’invités, A-Vox jouera notamment, ça va être ouf ! 

Dernière question : nous sommes “RockUrLife”, alors qu’est-ce qui rock ta life ?

Mat Bastard : Ma femme et mes enfants. J’ai la chance d’avoir une femme qui est chanteuse et qui rock d’elle-même, et vu qu’on passe notre vie ensemble, je peux dire que c’est elle qui rock ma life. On a un couple très fusionnel, très artistique et très rock n’roll donc c’est parfait ! Et mes petites filles aussi. Je suis très famille. Sur scène, c’est toute ma famille et je suis très famille dans la vie.

 

 

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