
À l’automne, Larkin Poe passera par la France avec cinq dates ! Retour sur Bloom, le nouvel album, évoqué lors de notre entretien au début de l’année.
C’est le premier disque que vous sortez après votre Grammy. Y avait-il une pression particulière en travaillant sur ce nouvel album, sachant que tant de choses s’étaient passées autour de cette victoire ?
Rebecca Lovell : C’est tellement agréable de gagner un Grammy. Et maintenant que nous en avons gagné un, nous n’avons plus l’impression qu’il faut absolument en gagner un autre. Donc je crois que, heureusement, cela a fait disparaître beaucoup de pression. Nous l’avons décrit comme un coup de pouce à la confiance, et je pense que c’est exactement ce que ça a été. Ça a semblé comme un signe cosmique d’approbation, un signal que nous étions sur la bonne voie. Ça nous a donné plus de confiance pour continuer à suivre notre instinct en écrivant Bloom. Je suis reconnaissante pour ce Grammy, à bien des niveaux.
Qu’est-ce que cela a changé sur le plan business ? De nouvelles opportunités ? Vous êtes indépendantes, avec votre propre label, une petite équipe, etc. Par exemple, un gros label vous a-t-il approchées ?
Rebecca : Je pense que ça a eu un impact très positif. Pouvoir dire que tu es un groupe “Grammy Award-winning“, c’est formidable – c’est super de l’afficher sur les affiches de tournée et ça attire clairement l’attention.
Megan Lovell : Je crois qu’on s’est toutes engagées à rester indépendantes. Donc on ne sait même pas si des labels ont essayé de nous contacter. Ce n’est tout simplement pas dans notre champ de vision.

Y a-t-il quelque chose que vous aimeriez expérimenter dans votre musique – en écriture ou en collaboration ?
Rebecca : Avec Bloom, on a vraiment changé notre processus d’écriture. Historiquement, Megan et moi n’écrivions pas beaucoup ensemble. Chacune avait ses idées de son côté, qu’on rassemblait ensuite en studio. Mais pour Bloom, nous avons tout coécrit. Toutes les chansons ont été coécrites par Megan et moi, ou avec notre coproducteur Tyler Bryant. Et je crois que ça a été un énorme tournant pour nous, ça a débloqué beaucoup de croissance en tant que groupe. Je suis vraiment curieuse de voir où ça va nous mener. Et côté collaborations, on adore ça. Pour le prochain disque – après Bloom – ce serait vraiment excitant de collaborer avec plus d’artistes féminines.
Megan : Tu sais, on dit que la clé du bonheur c’est d’avoir toujours quelque chose à attendre par la poste. L’équivalent musical, c’est d’avoir toujours une idée dans la poche arrière qu’on brûle d’envie d’enregistrer. Et nous avons beaucoup d’idées pour l’avenir – du style “OK, quand le moment sera venu, on fera ça“. Donc on a plein de choses à attendre.
Vous parliez de coécriture : avez-vous vraiment ressenti une évolution ?
Rebecca : Oui. Énormément.
En quoi ? Les mélodies, la structure ?
Rebecca : Les deux. Je crois que notre écriture de chansons a vraiment franchi un cap sur ce disque par rapport aux précédents. Les mélodies sont plus uniques, plus mémorables. Les paroles sont aussi plus proches de notre propre vécu. On a essayé de dire la vérité du mieux possible avec cet album. Pas qu’on ne l’ait pas fait avant, mais cette fois, on a été beaucoup plus courageuses en partageant nos expériences personnelles.
Un mot sur “Easy Love Pt. 1”. En plus de la petite Tour Eiffel avec un chapeau, il y a aussi la “Part 2”, très différente, mais qui s’appelle quand même partie un et deux. Contrairement à Metallica avec “The Unforgiven” (par exemple), où les suites sont dans le même esprit. Pourquoi ?
Megan : Pourquoi pas ? Pourquoi pas ? (rires)
Rebecca : À l’origine, ce n’était que “Easy Love”. Mais pendant le processus d’écriture et d’enregistrement – comme on enregistrait à la maison, de façon très informelle dans le studio du sous-sol de Tyler et moi – il s’est passé quelque chose d’inattendu. Un matin, en travaillant sur “Easy Love Pt. 1”, on a commencé à jouer par accident une version alternative. On chantait les mêmes paroles mais avec une mélodie complètement différente, et ça sonnait super. Tyler et moi on s’est dit : “Wow, c’est magnifique, ça sonne comme une mélodie classique, intemporelle“. On l’a montré à Megan. Les couplets étaient très personnels pour moi, mais j’ai dit : “Il faut écrire un autre refrain, qu’est-ce qu’on fait ? On ne peut pas avoir deux “Easy Love” sur le disque.” Megan et moi avons essayé d’écrire d’autres paroles, mais rien ne sonnait aussi bien. Alors on s’est dit : “C’est le destin, l’univers nous pousse dans cette direction“.
Megan : Et puis ça a pris tout son sens. Parce que “Easy Love Pt. 1” parle du début d’une relation, alors que la “Pt. 2” raconte son approfondissement. C’est plus sérieux, plus grave. Ce n’est plus l’amour tout feu tout flamme, c’est un amour éprouvé, durable.
Il n’y a pas de titre éponyme dans l’album, mais le dernier morceau “Bloom Again” se rapproche clairement du titre. Or, c’est l’un des premiers titres que vous avez écrit, mais il se retrouve en fin d’album. Quand on écoute, on a l’impression que les premiers titres représentent une première floraison, et que celui-ci correspond à “refleurir“. Mais puisque c’était le premier morceau écrit, c’est un peu paradoxal. Qu’en pensez-vous ?
Rebecca : J’adore, c’est une très belle façon de le dire.
Megan : Parfois tu ne sais pas ce que tu as avant que tout l’album soit écrit. Et ce morceau de fin paraît à la fois incomplet et complet. C’est comme refleurir – il clôt l’album, mais il laisse entendre qu’il y a encore plus à venir. Donc thématiquement, ça fonctionne vraiment. Et le fait que ce soit la première chanson qu’on ait écrite donne l’impression que c’était… écrit d’avance. Avec du recul, tout semble prédestiné.
Rebecca : Et à l’origine, la chanson n’avait pas d’outro. Cette idée est venue plus tard. En studio, le morceau se terminait et Megan a dit : “Ce n’est pas fini“. Alors on l’a rejoué et ajouté l’outro. Il a vraiment grandi pour devenir le morceau parfait de clôture.
Et le titre “Bloom Again”, vous l’aviez déjà ?
Rebecca : Oui.
Et comment avez-vous trouvé Bloom alors que vous aviez aussi “Bloom Again” ? (rires)
Rebecca : Thématiquement, Bloom s’imposait. En écrivant, on n’avait pas forcément l’intention de créer un fil conducteur, mais toutes les conversations, tous les flux de conscience se sont reliés. Comme les chansons sont nées de conversations, un fil naturel les relie toutes. Avoir un titre comme Bloom décrit où nous en sommes dans nos vies et nos carrières – dans la trentaine. Aux États-Unis, on dit late bloomer, celui qui s’épanouit tard. Mieux vaut tard que jamais. Donc on est heureuses d’avoir fait cet album et des changements qu’il a provoqués en nous.
Les textes parlent autant de récits que de défis personnels. Comment avez-vous trouvé l’équilibre, tout en étant plus vulnérables dans votre écriture ?
Megan : C’était notre principale promesse : être plus vulnérables. Et ça s’est fait assez naturellement. Comme Rebecca l’a dit, beaucoup de chansons sont directement sorties de nos conversations. On s’asseyait avec un café, on parlait, et ça menait souvent à une chanson. Le lendemain, l’une de nous disait : “Tu te souviens de ce qu’on disait hier ?” et la conversation continuait – et ça donnait une autre chanson. Donc forcément, le mélange des thèmes reflétait nos émotions au fil du mois d’écriture.
Aujourd’hui, vous vous interdisez encore certaines choses en studio ? Pourrait-on imaginer un jour une évolution radicale de votre son ?
Rebecca : C’est possible. L’avenir est imprévisible. On est douées pour rester ouvertes au changement. On apprend à ne pas trop se projeter, parce que ça peut être écrasant, ou on manque d’imagination. Alors on essaie d’être dans le présent, d’attendre l’inspiration, et de faire confiance. C’est un vrai progrès pour nous. Donc peu importe ce qui viendra, ce sera spontané.
Megan : Je ne pense pas que Larkin Poe fera un album électro-pop. (rires) On est trop attachées à nos guitares. Il y aura toujours une terre dans ce qu’on fait.
Peut-être pas électro pop, mais plus heavy, plus saturé ?
Rebecca : Plus lourd, oui.
Megan : Peut-être. Mais je nous imagine aussi revenir à l’opposé – dépouiller et refaire un album bluegrass. Qui sait ?
Avec toutes ces nouvelles chansons et vos anciens disques, créer une setlist devient plus difficile.
Rebecca : Oui.
Megan : Honnêtement, non. C’est notre mission au retour à la maison – préparer les répétitions. Il va falloir vraiment construire un show. C’est excitant mais stressant, parce que beaucoup de nos chansons sont spéciales pour le public. Mais c’est aussi notre responsabilité d’avancer. Le défi, c’est de choisir lesquelles garder et lesquelles laisser. La dernière fois, on avait demandé aux fans de voter pour leurs préférées. Et on les a écoutés : quand on a vu beaucoup d’amour pour des morceaux comme “Stubborn Love”, on a su qu’il fallait les jouer. Donc peut-être qu’on recommencera.
Certains groupes jouent leur nouvel album en entier sur scène. Vous pourriez imaginer ça ?
Rebecca : Je ne sais pas. J’adorerais jouer un maximum de ce disque. Je pense qu’on jouera beaucoup de Bloom en tournée – surtout que c’est The Bloom Tour. Donc on pourra se le permettre.
Vous avez collaboré avec Ringo Starr, Billy Gibbons… C’étaient des rêves, des buts, ou juste des occasions imprévues ?
Megan : Elles ont toutes été très bienvenues. On est toujours ouvertes, mais on n’a pas vraiment cherché nous-mêmes beaucoup de collaborations. La seule exception, c’était mon rêve de travailler avec Emmylou Harris. Je le disais tout le temps : “Je le mets dans l’univers, on fera quelque chose avec Emmylou“. Et maintenant ça devient réalité : on fait un concert avec elle en mars, juste nous deux et Emmylou. Pour moi, c’est énorme. Sinon, je préfère laisser les choses venir naturellement. Moins on a d’attentes, moins on est déçues.
Rebecca : N’écris pas ta liste de Noël – le Père Noël sait ce que tu veux.
Megan : Voilà. Le Père Noël apportera.
Alors le rêve ultime ?
Megan : Honnêtement ? Emmylou Harris. Vraiment. On verra bien.
Parlez-nous de votre émission radio American Girls. Qu’est-ce que vous y faites ?
Rebecca : C’est un vrai apprentissage de devenir DJ, c’est un format très différent. Mais on adore. Apprendre à construire une émission, doser le temps de parole, créer une thématique… c’est hyper enrichissant.
Megan : Au début, on parlait beaucoup trop ! On nous a dit : “Vous parlez trop !” (rires) Donc il a fallu apprendre à dire l’essentiel en peu de mots. Ce qu’on préfère, ce sont les thèmes. La dernière émission était fleurie, pour célébrer Bloom.
Rebecca : Oui, on a passé les Dead Roses, plein de Rolling Stones… c’était génial. Et on peut programmer tous les genres qu’on veut. Ils nous donnent une vraie liberté créative, exactement ce qu’il faut à Larkin Poe.
Avec le Grammy, l’exposition médiatique, radio, TV… comment vivez-vous ça par rapport à il y a quelques années ?
Rebecca : Honnêtement, je ne perçois pas une énorme différence. Mais je suis reconnaissante que notre parcours ait été si progressif. Ça nous a laissé le temps de nous adapter. Je n’utiliserais pas le mot “célébrité” pour nous. Ce n’est pas un but. Nos objectifs sont : vivre de notre musique, connecter avec les gens, faire la musique qu’on veut, et apprendre de tout ça. On veut continuer à grandir, personnellement et spirituellement. Bien sûr, il y a du stress, mais on gère. Et puis tout est temporaire : si tu passes un moment génial, profite-en car ça ne durera pas. Si c’est difficile, ça passera aussi. Cette dualité est une grande leçon. Même cette tournée promo : c’est dur, épuisant, mais c’est aussi un moment précieux.
Megan : Le plus gros changement, c’est d’apprendre à dire non. On ne peut plus tout accepter. C’est dur de choisir quoi refuser, mais on apprend.
Enfin : avez-vous un mantra de vie ?
Rebecca : Ces jours-ci, je répète souvent : “Tout compte moins que tu ne le crois“. Peu importe si c’est grave ou pas – respire, détends-toi, c’est moins important qu’on l’imagine. J’aime aussi penser au “555” : est-ce que ça comptera dans 5 secondes, 5 minutes, 5 heures, 5 jours, 5 mois, 5 ans ? En général, non. Alors lâche prise. Avance. Et rappelle-toi que tout est temporaire.
Megan : Le mien, c’est : “Tout passe“. Et pas seulement pour les moments difficiles – pour les bons aussi. Il faut pleinement savourer les bons instants, sinon ils passent sans qu’on s’en rende compte.
Site web : larkinpoe.com