Interviews

HUNDREDTH (20/04/15)

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Quelques heures avant le concert, l’équipe de RockUrLife a eu l’opportunité de s’entretenir avec le frontman. C’est alors avec un Chadwick Johnson en retard mais extrêmement chaleureux et ouvert que nous nous installons sur le toit du Petit Bain, pour une entrevue sans tabou.

Premièrement, comment vas-tu ?

Chadwick Johnson (chant) : Ca va ! J’étais à la Tour Eiffel.

Tellement prévisible.

C : Et oui. On était dans le métro quand tu m’as appelé.

Vous ne vous êtes même pas perdus ?

C : Même pas. On a sauté dans le wagon, on a passé un peu de temps là-bas puis on est revenus. C’était facile !

Vous avez réussi à contourner le labyrinthe, bravo. Votre nouvel album est prévu pour juin. Pourquoi l’avoir nommé “Free” ?

C : Les paroles résultent du fait que je me suis affranchi de certaines choses qui m’handicapaient dans ma vie. Des situations complexes, des problèmes dont je n’arrivais pas à me défaire. De plus, le titre coïncide en toute logique avec l’état d’esprit du groupe, être aussi libre que possible, dans ta tête et en toutes circonstances. C’était presque organique de l’appeler “Free”, de rester dans la simplicité. Ce n’est pas un album concept, mais chaque chanson a malgré tout un lien étroit avec la liberté.

La musique possède toujours une dimension réflectrice de la personne qui se cache derrière l’artiste tel qu’on le connait, et on suppose que c’est la raison pour laquelle tant de musiciens expliquent qu’un dénommé album est une carte postale d’une certaine période de leur vie. Avec le titre du nouveau disque en tête, peut-on en déduire que pas mal de choses ont changé dans ta manière de vivre et de voir le monde ?

C : Exactement, surtout depuis le premier et deuxième disque. A chaque fois que je les réécoute, c’est un peu la honte. Je suppose que pas mal d’artistes ont le même sentiment par rapport à leurs débuts. Cependant, je pense définitivement que “Free” est un compte rendu beaucoup plus fidèle de ce que ma vie a été ces dernières années, celui-ci plus que les précédents.

Ecris-tu seulement à propos de tes expériences personnelles ou également de ce qui arrive aux personnes qui t’entourent ?

C : Non, pas vraiment. En fait, j’écris tout simplement ce qui me passe par la tête. Parfois c’est à propos de moi, parfois c’est à propos des autres. Ca part du regard que je porte sur la manière dont les gens se traitent entre eux, ou sur le monde et la façon dont on le fait fonctionner. Je suppose que cet album se veut plus personnel et introspectif que n’importe quel autre, mais il est aussi un peu plus vague. Je ne rentre pas beaucoup dans les détails. J’expose des situations grâce à des métaphores, par exemple.

 

 

Justement, dans “Demons”, tiré de “Resist”, on retrouve la ligne “The strongest are seared with scars”. Souvent, être fort est communément interprété comme laisser ses sentiments et émotions de côté afin d’être en mesure d’affronter tous les obstacles. Est-ce la vraie définition de la force pour toi ?

C : Je pense qu’à un certain moment de ma vie, j’aurais été d’accord avec cette définition. A présent, je vois la force comme un équilibre parfait entre savoir quand être sensible et quand ne pas l’être. Je suis très franchement insensible parfois, parce que tout ce que je vois, c’est le futur. Ca revient à dire “peu importe comment je me sens à l’heure actuelle, l’important c’est d’atteindre mon objectif”. La ligne que tu évoques est en réalité tirée d’une citation d’un auteur nommé Khalil Gilbran. C’était une référence que je voulais incorporer dans mes écrits pour exprimer le fait qu’aucun être ne peut prouver qu’il est fort jusqu’à ce qu’il soit mis à l’épreuve. Voilà ce que signifie cette phrase à mes yeux. On est fort parce qu’on a été testé, blessé et qu’on a appris à se relever.

Dans le même titre, tu chantes “Some may say I’ve lost my faith / I just got up off my knees / Stopped staring into the sky / And started looking inside of me”. Penses-tu que trop de gens se cachent derrière Dieu ?

C : Absolument. C’est exactement ce que signifie cette phrase. Lorsque j’ai écrit cette partie, elle ne concernait personne d’autre que moi. J’avais pour habitude de remettre tous mes problèmes à une entité invisible, un Dieu dont j’essayais de me convaincre de l’existence. Et puis, j’ai décidé d’assumer publiquement mon changement d’opinion. Les gens me disaient que j’étais à présent faible parce que je ne croyais plus en Dieu. C’était le contraire. Je n’avais plus de chaînes. C’est souvent le cas pour beaucoup de personnes, et c’est peut-être ce dont ils doivent se débarrasser. Je ne condamne pas cette manière de penser, nous sommes tous différents et avons par extension tous besoin de choses différentes. Seulement, dans mon cas, j’avais l’impression de faire semblant, comme si je vivais une fausse vie. De là où je viens géographiquement, la croyance se veut très populaire et primordiale. Je me sentais naïf, maintenant je suis libre. Si je suis seul avec l’univers et que Dieu n’existe pas, ça me va. Tout ce dont j’ai besoin est d’une vie, et pas d’une vie après la mort. Je suis d’accord avec toi lorsque tu dis que beaucoup lèvent la tête au ciel dans l’espoir de trouver une réponse au lieu de résoudre leurs soucis eux-mêmes.

Qu’est-ce qui t’as fait réaliser que tu n’avais plus besoin d’un Dieu dans ta vie ?

C : Les gens s’y perdent. Tu en vois les différentes facettes au quotidien. Honnêtement, je dirais que voyager m’a beaucoup aidé. Voir comment les autres font, comment ils vivent leurs vies, à quel point le Christianisme peut être fermé d’esprit. Je respecte les croyances et bien sûr, tout cela relève de mon propre point de vue, mais j’ai réalisé que je n’étais pas aussi ouvert d’esprit que je le voulais. Tu deviens un esclave de la doctrine, de ce qui est écrit dans ce vieux livre. J’avais le sentiment de ne pas être vrai, je doutais de la présence d’un homme invisible dans le ciel. Je ne suis pas en train d’affirmer que cet homme ne se trouve pas dans cet endroit spécial où tu t’abandonnes, parce que je crois en la spiritualité, mais lorsqu’on en vient à réduire l’humanité à une liste de règles à suivre, je ne me sens plus en phase avec cette manière de penser. Je ressentais le besoin de m’éloigner de tout ça.

La religion peut être bénéfique si elle te pousse à devenir meilleur chaque jour, avec chaque être human qui croise ton chemin. Seulement, lorsque tu laisses la Bible te dicter ce que tu devrais ou ne devrais pas faire, ça devient dangereux et malsain. On ne sait pas si tu as entendu parler de ce qu’il s’est passé à “Charlie Hebdo” en janvier dernier, mais voilà un exemple concret de ce que la religion peut pousser à faire.

C : Oui, j’en ai entendu parler, et je rejoints ce que tu dis. Il y a tant de haine dans ces vieux textes. Je ne pense pas qu’ils soient fidèles à qui nous sommes maintenant. Je suis à 100% d’accord.

 

 

Puisque l’on conversait au sujet de l’écriture, tu sembles être motivé par la colère, ce qui est une bonne chose. Cependant, on confond souvent colère et négativité. Zack De La Rocha pense que la colère est un don, tandis que Buddha aurait dit que l’on ne sera pas puni pour notre colère, mais par notre colère. D’après toi, la colère est-elle un don ou un fardeau ?

C : Je pense que ça dépend des circonstances, de ce contre quoi tu t’énerves. Certaines personnes très spirituelles peuvent prendre du recul et réaliser que leur passivité est un don envers eux-mêmes. Dans mon cas, si je suis dans la rue et deux hommes sont violents envers une personne en position de faiblesse, ma colère va me faire réagir et je vais régler la situation. Donc, ma colère est bénéfique car sans elle, je n’aurais pas ressenti cet élan nécessaire à me faire réagir. Dans ce cas, c’est de la défense. Mais j’en vois aussi le revers : sans cette colère, je n’aurais pas eu à être violent envers eux. Je dirais que d’un point de vue personnel, s’il est question de défendre les opprimés, je choisirais de loin la colère parce qu’elle me fera ressentir le besoin de me lever pour les défendre. J’utilise la phrase de Zack De La Rocha, “Anger is a gift”, sur notre nouvel album d’ailleurs. C’est marrant !

Sur une note plus légère, vous étiez récemment en tournée avec Enter Shikari, ce qui est une bonne excuse pour introduire cette prochaine question avec une phrase tirée du discours sur la musique et sa valeur sociale prononcé par Rou Reynolds, qui affirmait que “la musique est un instrument d’unité”. Fais-tu de la musique pour partager une connexion avec l’audience avant tout, ou es-tu dans une perspective beaucoup plus personnelle et introspective ? Ou les deux ?

C : Honnêtement, j’allais dire les deux. Quand tu écris une chanson, c’est un reflet de qui tu es, de ton art et de ce que tu veux créer. Tu peux le faire dans un style qui ne plait uniquement qu’à toi, mais le groupe et moi le faisons dans un style auquel les gens peuvent se connecter, donc à ce stade, ça devient de l’unité parce que quelqu’un s’identifie à ce que tu fais et ce que tu as vécu. Ca commence par toi puis ça s’étend, et évidemment c’est génial pour nous quand on voit le public reprendre les paroles en live. C’est ce qui me motive à accorder encore plus d’importance à la musique. Aux concerts où personne n’est là ou l’audience ne nous connait pas, ça devient une affaire personnelle, tu es seul avec toi-même sur scène et te rappelle pourquoi telle ou telle chanson représente autant pour toi. Mais quand la salle est pleine, tout se résume au partage. Je suis d’accord avec Rou. L’unité prime, partager une connexion est l’objectif. En passant, ils étaient hyper cool. On n’avait jamais tourné avec Enter Shikari. Je n’avais jamais écouté ce qu’ils faisaient !

Impossible !

C : Et si, jusqu’à ce que l’on parte en tournée avec eux. Je les ai vu sur scène et me suis dit “putain, c’est tellement fou !”. Ils étaient extrêmement sympathiques aussi, on a vraiment aimé faire leur connaissance.

Etre un musicien qui tourne a son lot d’inconvénients, dont la plupart se répercutent sur la vie familiale. Anita Pallenberg a dit une fois : “Vivre avec un rockeur, c’est vivre seule. Peu importe à quel point il t’aime, il aimera toujours plus sa musique”. Penses-tu qu’être musicien, c’est être égoïste ?

C : Oui. Tu l’es à certains moments. Ca serait probablement une meilleure question pour ma femme, mais je vais parler pour elle. Elle considère ce que je fais comme une carrière, un vrai métier. Lorsque je fais quelque chose en rapport avec le groupe, elle sait que je veux m’investir à 100% et que j’ai besoin de temps. Etre en tournée n’est pas nécessairement un problème, car je peux lui parler tout au long de la journée, je vais sur scène et une fois le set fini, on parle sur FaceTime. Mais lorsque l’on écrit un album, elle sait comment ça marche. C’est égoïste de lui dire “s’il te plait, j’ai absolument besoin de solitude pour écrire une chanson, sinon elle va être merdique”, mais elle comprend parce qu’elle est elle-même chef pâtissière et je ne la dérange pas pendant qu’elle créé un nouveau dessert. Je pense que c’est une affaire de respect pour ce que ton partenaire fait. Evidemment, je ne peux pas lui parler 24/24h, mais je ne pense pas que ce soit ce dont elle ait envie. C’est aussi une bonne chose de travailler de ton côté, puis retrouver ta compagne et lui parler de ce que tu as fait pendant tout ce temps. Alors oui, être musicien, c’est être égoïste d’une manière. J’adorerais savoir ce qu’elle en pense.

Fais un FaceTime !

C : (rires) Ouais, je le ferai. Genre “Salut, tu penses que partir en tournée fait de moi une égoïste ?”. Elle répondrait “Euh… ouais…” et moi : “Okay, cool ! Bisous”.

On parlait d’égoïsme, parlons d’égo maintenant. On a un égo, tu as un égo, tout le monde a un égo, mais je suppose que lorsqu’il est question de créer en collectif, composer de la musique ensemble, les égos finissent par se rencontrer et se battre en duel. Quelqu’un peut avoir une idée à laquelle le reste du groupe n’adhère pas forcément. D’après ton expérience, quelle place occupe l’égo au sein d’un processus créatif partagé ?

C : Une grande place. L’égo est omniprésent quand tu composes de la musique, tu dois te faire un opinion de tout. Mais même s’il est toujours là, si tu collabores avec d’autres personnes et que tu es prêt à écouter ce qu’ils ont à dire, donner une chance à leurs idées et faire des compromis, alors ça se passe sans grand souci. L’égo est présent mais il est gérable, du moment que tu fais preuve d’ouverture d’esprit, que tu peux penser clairement et raisonnablement sans que les mauvaises émotions s’en mêlent. C’est comme ça qu’on compose. On donne une chance aux idées de chaque membre et décidons de ce qui serait le mieux pour l’ensemble du groupe.

 

 

Vous avez d’ailleurs un projet humanitaire appelé “Hope Into Humanity”, mais la dernière publication sur la page Facebook remonte à deux ans. Qu’en est-il depuis ? Avez-vous arrêté le projet ?

C : Je suppose que tout le monde pensait que ce serait un projet à durée indéterminée. En fait, on l’a juste fait pour notre deuxième album. On souhaitait vraiment faire de l’humanitaire, alors on a mis en place le “Water Project”. On a fini par sponsoriser deux villages en Inde et leur donner accès à l’eau potable pour toujours. On voulait le faire pour “Let Go”, parce que les sujets abordés sur cet album étaient principalement d’ordre social. Et puis, on a approfondi sur la politique avec “Revolve”, avant que ne naisse “Resist”, qui concernant plus la notion de soi et d’égo. L’humanitaire nous intéresse toujours, mais j’aurais du préciser que ce n’était qu’un projet éphémère. On voulait que “Hope Into Humanity” soit officiel et crédible, alors on a créé une association à but non-lucratif pour qu’il n’y ait pas d’ambiguité. On retentera peut-être l’aventure avec d’autres projets dans le futur.

Une question qui n’a rien à voir avec les villages en Inde maintenant. Quel est ton opinion au sujet de la sacralisation de l’artiste et de cette barrière séparant un artiste de ses fans, causée par sentiment de supériorité qui en découle ?

C : Je pense qu’aucun artiste ne devrait être idéalisé. L’art est une chose merveilleuse, mais idéaliser quelqu’un au point de le diviniser est malsain, aussi bien pour l’artiste que pour son fan. J’apprécie et respecte l’intimité d’un artiste. Chaque être humain mérite d’avoir une vie privée. Je connais beaucoup de membres de groupes qui agissent comme des Dieu, alors qu’ils ne sont rien d’autre que des mecs normaux avec leurs problèmes. Ils ne sont pas plus spéciaux que quiconque sur cette Terre. Adopter un tel comportement est ridicule, mais malgré ça, s’ils consacrent du temps au partage et à l’échange avec leurs fans, j’estime qu’ils se rattrapent déjà un peu. Se penser au dessus de tout le monde, d’autant plus dans notre scène, est vomitif. Cela vaut aussi pour Kanye West par exemple, qui, je trouve, n’est pourtant pas le meilleur artiste au monde. Il pense qu’il l’est, ce qui est en soi un problème. L’humilité d’un artiste est extrêmement importante. Quiconque se croit supérieur à un autre être humain à cause de ce qu’il a créé est une merde sans nom et peut aller se faire foutre. Pour toujours.

 

 

Une belle conclusion comme on les aime.

C : (rires)

On arrive maintenant à la dernière question, et promis, elle est moins philosophique. Notre site s’appelle “RockUrLife”. Qu’est-ce qui rock ta vie ?

C : Qu’est-ce qui rock ma vie ? (longue pause)

C’était censé être la question la plus facile.

C : Je dirais ma femme. Ouais.

Ca fonctionne. On a fini. Merci pour le temps que tu nous as accordé.

C : Merci ! On se voit au concert.

 

 

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