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HOOVERPHONIC (27/03/24)

English version

À la veille du concert à l’Alhambra à Paris, RockUrLife s’est entretenu avec Hooverphonic, et en particulier son expansif compositeur, Alex Callier, pour parler de style, de tournée, d’intelligence artificielle et surtout du nouvel album Fake Is The New Dope sorti le 23 mars.

Bonjour à tous les trois ! Votre nouvel album Fake Is The New Dope vient juste de sortir. Êtes-vous satisfaits de sa réception jusqu’à présent ?

Geike Arnaert (chant) : C’est très positif, oui.

Alex Callier (basse, compositeur principal) : Oui, toutes les critiques en Belgique sont vraiment bonnes. Donc nous sommes très heureux, en fait. Même après toutes ces années, c’est toujours un peu excitant de sortir un album. Mais aussi effrayant, vous savez. Je le compare toujours à envoyer son enfant à l’école pour la première fois. C’est comme si vous veniez de sortir quelque chose sur lequel vous avez vraiment beaucoup travaillé, et qu’ensuite vous devez juste attendre de voir ce qui se passe. Mais jusqu’à présent, oui, ça a été vraiment bien.


Est-ce que la mauvaise réception est quelque chose qui vous angoisse ?

Alex : Je ne pense pas qu’il y ait de mauvaise réception. Parfois, les gens comprennent ce que vous faites, et peut-être parfois ils ne comprennent pas. Au final, c’est très subjectif. C’est aussi être en phase avec le temps ou être en phase avec ce qui vous entoure. Je pense que cet album fonctionne vraiment bien parce que nous sommes en phase avec ce qui se passe maintenant. Vous savez, il y a des influences des années 90 [sur l’album] et de nos jours les années 90 sont partout. Mais pour nous, bien sûr, c’est très naturel parce que nous avons commencé dans les années 90. Ce qui est aussi dangereux car parfois ils pourraient dire : “Mais vous avez déjà fait ça“. Donc vous devez vous réinventer et vous devez réinventer vos racines et les réinterpréter d’une façon contemporaine.

Et à ce propos : comment trouvez-vous cette inspiration pour vous renouveler constamment ?

Alex : C’est juste… (soupire) qui nous sommes. Je n’aime tout simplement pas faire la même chose tout le temps. J’ai toujours été plus inspiré par Gainsbourg ou par David Bowie que par Neil Young, bien que Neil Young ait fait des disques fantastiques. Mais après toutes ces années, vous savez, Neil Young fait toujours ce même disque. Ce qui était cool avec Gainsbourg, c’était… Il savait que sa voix était comme une très belle chaise design. Et même une belle chaise design, après un certain temps, vous pouvez en avoir marre. Donc il était toujours suffisamment intelligent pour redécorer complètement la pièce autour de sa voix. Et donc à chaque fois, vous redécouvriez cette chaise dans un environnement différent et vous pensiez : “Oh, c’est intéressant“, “oh, c’est plutôt cool“. Comme il a commencé d’abord comme chansonnier (ndlr : en français dans le texte), puis il est devenu un artiste pop. Ensuite, il faisait du reggae puis travaillait avec des musiciens de jazz. Et puis il est mort. (rires) Et avec Bowie, c’était la même chose. Et vous savez, parfois vous aimez ce qu’ils font, parfois peut-être moins. J’aime vraiment presque tout ce qu’il a fait. Mais avec David Bowie, peut-être que la drum ‘n’ bass est démodée maintenant, je pense toujours que c’est vraiment cool qu’il ait fait ça. Cela prouve qu’il a du courage, de changer et d’oser expérimenter. Parce qu’au final, c’est cela que devrait être la musique pop.

Justement, vous parlez de Serge Gainsbourg : vous faites une reprise de “Le Temps Qui Court” d’Alain Chamfort pendant votre tournée, mais pas de Gainsbourg. Pourquoi ?

Alex : Nous faisons un peu de Gainsbourg ! Nous commençons une chanson de Hooverphonic avec “Bonnie And Clyde” et ensuite nous fait une une douce transition pour entamer la chanson. Mais oui, pourquoi pas Gainsbourg ?

Raymond Geerts (guitare) : Nous avons fait “La Horse” (ndlr : de la bande-originale du film du même nom) une fois.

Alex : Oui, en 2012 nous avons fait “La Horse”. Et il y a encore des gens qui demandent : “Pourquoi ne jouez-vous pas à nouveau “La Horse” ?” Je ne sais pas, pourquoi ne l’avons-nous pas fait ? Peut-être devrions-nous le faire lors de la prochaine tournée. Pour la reprise d’Alain Chamfort, j’ai juste aimé le fait qu’il ait réécrit les paroles d’une chanson de Barry Manilow, qui était une chanson d’amour très kitsch. Et ce sont juste de très bonnes paroles, je pense. C’est une belle mélodie. C’est un peu comme Gainsbourg, également inspiré de Chopin, Gainsbourg a fait ça aussi. Et c’est aussi une chanson que nous connaissons depuis notre enfance, je pense.

Raymond : Oui, et je ne sais pas… Faire du Gainsbourg serait peut-être un peu trop évident. Vous voyez ce que je veux dire ? Les gens diraient : “Oui, bien sûr, ça encore, bien sûr qu’ils le font“. Mais personne ne s’attend à ce que nous fassions une chanson de Barry Manilow. Donc c’est plus surprenant. Les gens ne s’attendent pas à ça de notre part. Et c’est ce que nous aimons faire souvent, je pense.

Qu’est-ce que vous pensez que les gens attendent de vous ?

Alex : Ils s’attendent à ce que nous jouions du trip hop, mais nous avons arrêté de jouer du trip hop il y a longtemps déjà. (rires) Même sur notre premier disque, nous n’en faisions pas. Nous avions une ou deux chansons qui étaient inspirées par le trip hop, mais il y avait beaucoup d’influences shoegaze et dream pop dans notre musique, en fait. Plus que le trip hop. Il y avait plus d’influences Cocteau Twins et Slowdive et My Bloody Valentine. Mais comme je l’ai dit plus tôt, nous aimons simplement évoluer et à chaque fois nous essayons des directions assez différentes. Et à un moment donné, nous sommes même devenus comme un groupe de chamber pop, comme The Divine Comedy. Je pense que la façon dont nous le voyons est comme si chaque album était un peu la bande originale d’un film, et c’est toujours un film différent. Nous écrivons toujours pour un film différent. Donc maintenant c’est un peu plus électronique. C’est un peu plus inspiré des années 90, 80, mais peut-être que le prochain disque sera complètement inspiré des années 50 ou des années 30. Sur notre nouvelle tournée par exemple, nous commençons dans un style cabaret complètement années 30, 40. Nous aimons juste toutes sortes de musique, nous ne sommes pas limités à un style. Si vous regardez notre collection, elle est très éclectique. Je pense aussi que c’est plus intéressant quand j’assiste à un concert également. J’aime quand il y a du mouvement, quand parfois c’est joyeux, parfois c’est vraiment triste, parfois c’est puissant, parfois c’est très intimiste. Il y a tellement d’émotions dans la vie. Pourquoi vous limiter à une seule ?

C’est intéressant parce qu’en écoutant le nouveau disque, il y a certaines chansons qui vous font penser “Oui d’accord, ça c’est du trip hop“.

Alex : Ah oui, “The United States Of Amnesia” est clairement du trip hop. “Fake Is the New Dope”, la chanson titre, est influencée par le trip hop.

Une des questions que nous avions était en fait de vous demander si vous pensiez que Hooverphonic rentrait dans cette case, mais clairement vous ne le pensez pas entièrement.

Alex : Non, pas complètement, parce que si vous écoutez le disque, une chanson comme “And Then I Found You” est influencée par la musique de club et Everything But The Girl et ce genre de choses. “Fake Is The New Dope” et “The Best Day Of Our Life” sont des chansons typiques de Hooverphonic. Mais la deuxième est plus dans une vibe psychédélique des années 60 tandis que “Fake Is The New Dope” est plus dans une vibe sombre, mélancolique. Je pense que chaque chanson sur le disque est dans un univers qui lui est propre. Bien sûr, “I’m Not The Girl To Kill” est aussi typiquement Hooverphonic, avec beaucoup d’influences James Bond. Vous savez, nous essayons toujours d’avoir tellement d’influences qu’il est très difficile de dire de quelle influence il s’agit exactement.

Les chansons ne pourraient-elles pas être un peu trop chargées en influences parfois alors ?

Alex : Ce n’est pas quelque chose que nous faisons exprès. Cela arrive simplement. C’est quelque chose qui (ndlr : il claque des doigts). Nous avons écrit, je pense, soixante-dix ou quatre-vingt chansons. Je ne sais pas combien, mais il y en avait beaucoup. Nous avons écrit un tas de chansons et le plus grand défi pour nous est toujours de choisir, vous savez, de faire une sélection de toutes ces chansons. Et quoi que nous choisissions, cela va pousser l’album dans une certaine direction. Nous aurions pu faire comme un disque style Beach Boys, ou nous aurions pu faire plus un disque d’électro-pop des années 80 aussi. Mais nous avons choisi de ne pas le faire parce que nous sentions que ces chansons avaient quelque chose en commun. Bien qu’elles soient éclectiques pour nous, elles forment une unité.

En écoutant l’album, il y a une sorte de vibe pessimiste autour, surtout avec “Fake Is The New Dope”. Pourriez-vous me dire un peu plus sur ce que signifient pour vous les paroles de cette chanson ?

Alex : Pour moi, ça parle d’équilibre. Il y a beaucoup de choses dans notre société que vous pouvez utiliser pour rendre les choses fausses. Comme nous utilisons Photoshop dans les photos, vous pouvez utiliser l’autotune avec quelqu’un qui ne sait pas vraiment chanter pour le faire chanter. Je ne sais pas chanter, mais je peux faire semblant de savoir. Et ensuite avec un peu d’autotune dessus, ça sonnera bien. Il n’y a rien de mal à cela, ne vous méprenez pas. Il n’y a rien de mal dans Photoshop tant que c’est fait dans le bon équilibre. C’est comme la chirurgie plastique : si c’est subtil, c’est bien. Mais si c’est excessif, ça devient effrayant. Et c’est aussi addictif. C’est pourquoi le faux est la nouveau drogue. Vous dites que c’est pessimiste, mais nous ne le voyons pas comme pessimiste parce qu’il y aura une génération, et ils sont probablement déjà là, les jeunes, ils réagissent déjà contre ça. Vous le voyez dans la musique : la guitare revient. Et même parfaitement accordée, une guitare n’est jamais parfaitement accordée. Elle est toujours un peu fausse et ça rend la musique vraiment cool. Et à la fin des années 80, c’était extrêmement plastique, tout était programmé, etc. Dans les années 90, soudainement, il y a eu des groupes de grunge. Et ce qu’il y avait de bien avec le grunge, c’est qu’ils n’utilisaient pas de trucs artificiels. Et puis il y a eu Butch Vig qui a foiré Nirvana. (rires) Il a utilisé des tonnes de chorus, des tonnes de reverb et des tonnes de choses qui en fait n’avaient rien à faire là. C’est un super album, bien sûr, ne vous méprenez pas, mais c’est juste moi, c’est un truc de producteur. Il y a toujours une réaction à quelque chose et je pense que peut-être nous aurions dû mettre un point d’interrogation derrière [le titre de] Fake Is The New Dope. En fait, non. Je pense que c’est très facile de devenir accro à ce genre de trucs. Par exemple, je n’utilise pas l’autotune car je ne crois pas en l'”autotune“. Je crois en l’accordage d’une note, mais je ne crois pas en l’autotune parce que tout finit accordé. C’est comme un plugin. Vous le mettez et il accorde tout, mais ce n’est pas ce qu’on veut.

Vous pourriez rater les petits accidents qui se produisent comme cela.

Alex : Oui, exactement. Donc je choisis toujours les notes que je veux changer et celles que je veux laisser telles quelles. Et c’est la même chose avec Photoshop : si vous l’utilisez de la bonne manière, cela peut améliorer l’image, cela peut renforcer l’émotion, cela peut la rendre meilleure. Mais si vous en faites trop, cela devient plastique. Et c’est pourquoi je ne peux pas vivre dans un monde plastique. Et comme je l’ai dit, avec la chirurgie plastique, c’est aussi très triste parce que certaines personnes y deviennent accro. Ils font une chose puis ils en font une autre et ils continuent à faire des procédures. Et c’est tellement addictif qu’ils ne peuvent pas s’arrêter. Donc en fait, c’est de cela que parle la chanson. Tant que vous l’utilisez de manière positive, il n’y a rien de mal à cela. Mais si vous en abusez…


Nous sommes à l’ère des programmes d’intelligence artificielle (IA) maintenant, cela pourrait être encore pire.

Alex : J’utilise l’IA. Bien sûr, j’utilise l’IA. Principalement pour des choses techniques comme l’égalisation, la compression, ce genre de choses. Et je l’ai utilisée sur un autre projet où j’ai fait en sorte qu’un plugin IA masterise la piste et qu’un véritable ingénieur du son la masterise également. Ensuite, j’ai fait écouter aux gens sans leur dire qui avait fait quoi. Je disais juste “A” ou “B”, et en fait ils ont choisi la version IA pour cette piste. Je ne crois pas que les ingénieurs du son perdent leur emploi. Je pense qu’il y aura toujours besoin d’un bon ingénieur. Sur les nouveaux morceaux que j’écris maintenant, j’utilise parfois ChatGPT juste pour démarrer. Mais je dois dire que ça n’a marché qu’une seule fois. La plupart du temps ça ne marche pas, parce que, dans ce que nous faisons, on a besoin de beaucoup de second degré. Et il manque toujours ces couches pour une raison ou une autre. Nous l’avons essayé pour le fun en fait : si vous demandez “écris-moi des paroles de chanson Hooverphonic“. Si vous faites ça, ça devient vraiment sombre, mais la subtilité disparaît. Mais pour être honnête, je pense que c’est en place et ça va y rester. Comme tout dans la vie, il y aura des gens qui feront des choses fantastiques avec. Il y aura des gens qui vont en abuser. C’est pareil avec la voix ! Maintenant, vous pouvez dire quelque chose et avoir… Thom Yorke qui le chante, et ça sonnera vraiment comme Thom Yorke. Je n’utiliserais jamais ça. Je ne pourrais pas. J’ai trop de respect pour Thom Yorke. Je ne pourrais pas le faire dire des choses du genre : “Oh baby, I love you, I want you, and I need you“, vous voyez ? Je suis suffisamment respectueux des autres artistes mais je suis sûr qu’il y a des gens qui ne seront pas aussi respectueux.

Changeons complètement de sujet : nous voulions parler de la chanson “Por Favor” car, contrairement à certaines autres morceaux sur l’album, elle a un son vraiment optimiste, joyeux. On dirait presque une chanson de Manu Chao. Comment est-ce arrivé ?

Alex : Je l’ai écrite avec Luca Chiaravalli. Il est un ami auteur-compositeur depuis longtemps maintenant. Il a un problème cardiaque, et pendant le COVID, il a passé beaucoup de temps enfermé dans le studio. Il ne pouvait pas sortir parce qu’il est vraiment fragile. Et ses parents sont aussi très âgés. Il coupait juste des samples, pour s’amuser. Et il a trouvé ces samples de mariachis et quand j’ai entendu ça, j’ai dit que j’aimais bien. Comme vous l’avez dit, ça me rappelait aussi un peu Manu Chao. Mais pour être honnête, l’influence espagnole était déjà là dans notre carrière. Sur Hooverphonic Presents Jackie Cane de 2002, vous avez une chanson appelée “Day After Day” qui est encore plus espagnole. Et de temps en temps, nous avons ce genre d’influence dans nos albums. Je me souviens encore à l’époque où nous tournions pour The Magnificent Tree, nous avions une version bossa nova d’une chanson. Je pense que c’était “L’Odeur Animale”. Mon père écoutait beaucoup de musique latine donc c’est probablement ce qui l’a déclenché. Mais ce n’est pas seulement ça je suppose, c’est aussi la façon dont l’harmonie, vous savez… C’est très difficile à expliquer, mais l’harmonie c’est très subjectif. Par exemple, je n’aime pas Mozart. Beaucoup de gens aiment Mozart, mais je n’aime pas Mozart. Mozart, pour moi, c’est trop évident. C’est un génie. Oui. Bien sûr. Mais dans ses mélodies c’est trop évident. Je préfère Bach. Je pense que Bach, mélodiquement et harmoniquement parlant est pour moi plus intéressant. Je préfère même plus [Erik] Satie. Je pense que Satie est, dans la musique classique, le plus proche de ce que je trouve intéressant harmoniquement. C’est parce qu’il module tout le temps. Il ne reste pas dans une tonalité. Cela change constamment chromatiquement. Et pour en revenir à “Por Favor”, nous l’avons juste écrite pour le plaisir, en fait. Très souvent, j’écris une chanson et c’est juste pour le plaisir. “Don’t Think”, par exemple, nous ne pensions même pas que ce serait une chanson de Hooverphonic. Mais nous sommes toujours ouverts d’esprit, nous disons toujours : “Essayons, voyons ce qui se passe“. Et puis Geike l’a chanté et en fait c’était vraiment cool.

Plus tôt, vous disiez que chaque album est une sorte de bande-originale de film. Quelles images vous viennent à l’esprit lorsque vous écrivez un album ?

Alex : (ndlr : il réfléchit) C’est toujours différent. Cette fois-ci, cela donne presque l’impression d’une histoire de passage à l’âge adulte ou quelque chose comme ça pour moi. Je ne sais pas pourquoi. Probablement pas, mais pour moi, si je devais faire un film à ce sujet, je pense que ce serait une sorte de… (ndlr : il s’interrompt) La douleur qui est là, qui vient de ma dépression. Mais c’est aussi le genre de douleur que l’on peut ressentir quand on est jeune. Je pense.

Vous avez déjà fait une bande originale, en tant qu’artiste solo, pour le film Change.

Alex : Il y a longtemps ! Un très mauvais film.

On ne l’a pas vu. (rires) Mais composer une bande-originale en tant qu’Hooverphonic c’est une option ? Cela vous tenterait ?

Alex : Pour être honnête, j’adorerais le faire mais je voudrais seulement le faire avec le bon réalisateur. Vous savez, faire un album, c’est nous trois. C’est facile. Nous écoutons des chansons, nous enregistrons des chansons, nous parlons de chansons. Nous décidons finalement : “OK, voici la sélection“. Mais faire un film c’est : un producteur, un réalisateur. Le réalisateur est sous le producteur, la plupart du temps il a plus de poids que le réalisateur. Ensuite, vous avez tous les autres gars et à la fin vous avez le musicien. Comme une pensée après coup : “ah oui, il nous faut une bande-son“. Donc d’une certaine manière, vous devez travailler en équipe. Et je crois que cela ne fonctionne que lorsque vous êtes vraiment une bonne équipe, lorsque vous êtes sur la même longueur d’onde. J’adorerais le faire, mais pour être honnête, c’est aussi très, très agréable d’être juste nous trois dans le studio et de faire ce que nous voulons faire et de décider où nous voulons aller. J’adorerais le faire. Et je pense qu’à ce stade de notre vie, ce serait possible. Je pense que maintenant mes compétences en tant qu’arrangeur sont bien meilleures qu’elles ne l’étaient. Mais c’est quelque chose qu’on ne décide c’est quelque chose que les gens demandent. Donc nous verrons ce qui se passe.

Revenons un peu en arrière : en 2021, vous avez participé au concours de l’Eurovision. Comment ça s’est passé ?

Alex : Nous étions au mauvais endroit. (ndlr : il rit, fait référence à la chanson “The Wrong Place” avec laquelle ils ont participé au concours). C’était amusant. C’était vraiment amusant. Oui, c’était amusant d’être au “mauvais endroit“. C’était aussi une édition très spéciale à cause du COVID.

Et c’est la deuxième édition à laquelle vous avez participé.

Alex : Oui, la première [2020] a été annulée. On s’est bien débrouillé dans la version en ligne.

Raymond : Oui. Nous étions au moins dans les cinq premiers.

Alex : Oui. C’était amusant. Il y a du soleil, il y a du plaisir, mais la musique sonne terne. C’est tellement bizarre d’être là. (Ndlr : Alex cite les premières paroles de “Fake Is The New Dope”) D’où pensez-vous que cette phrase vient? (rires) Mais en même temps, il y avait aussi de la bonne musique, je pense. Et ce que j’aime, c’est que c’est très éclectique. Dans les années 90, c’était un peu un cirque. Ensuite, ça s’est un peu amélioré. Et j’ai l’impression qu’on y revient maintenant.

Maintenant ça redevient un cirque ?

Alex : J’ai l’impression que ça va dans cette direction, oui.

Raymond : De plus en plus. Je ne sais pas pour cette année, je n’ai pas vraiment regardé.

Alex : Maintenant, les Néerlandais y vont avec…

Raymond : “Europapa”.


Alex : Oui, “Europapa”. C’est inspiré des années 80. Comment ça s’appelait déjà ? Hardcore ! Ouais, hardcore.

Une sorte de revival du genre Eurodance ?

Geike : Eurodance, oui, voilà.

Alex : Oui, oui, mais dans une version vraiment hardcore comme (ndlr : imite le rythme d’une chanson Eurodance avec du beatboxing). Eh bien, vous savez, c’est ce que c’est. Et à la fin, c’était juste amusant à faire et pour être honnête, pendant le COVID, au moins nous avions quelque chose à faire parce qu’il n’y avait pas grand-chose d’autre à faire.

Vous le referiez ?

Alex : Ça dépend de la chanson. Je ne sais pas. Est-ce qu’on le referait ?

Geike : Franchement, je m’amusais beaucoup. Ce n’était pas du tout sur ma liste de choses à faire. Je n’allais pas y être mais je me suis beaucoup amusée et en me souvenant de la nuit elle-même je voudrais faire partie de ce cirque à nouveau, parce que c’est ce que c’était. C’était vraiment comme une joyeuse chevauchée.

Raymond : Je pense même que nous nous sortirions plus du lot maintenant.

Geike : Mais musicalement, quel est vraiment le défi ?

Alex : C’était la première et la dernière fois que nous participions à une compétition, je pense. Le moment où ils ont à nouveau un vrai orchestre et où vous devez amener votre chef d’orchestre. Franchement, oui, non, nous ne voulons pas y retourner. Nous l’avons fait une fois. C’était amusant.

Raymond : Bah, nous l’avons fait deux fois. (rires)

Parlons un peu d’orchestre justement, vous êtes en tournée avec un quatuor à cordes en ce moment. Quel est le processus pour réarranger certaines des chansons pour les intégrer au quatuor ?

Alex : En fait, c’est assez facile. La configuration avec laquelle nous sommes en tournée maintenant, c’est dix personnes sur scène. Le quatuor à cordes (ndlr : en français dans le texte), deux guitaristes, un claviériste, un bassiste, un batteur et Geike. C’est le minimum dont on a besoin pour jouer des chansons de Hooverphonic en live sans aucun ordinateur sur scène. Si on veut vraiment jouer en live et qu’on ne veut pas de bandes ou quoi que ce soit, c’est le minimum dont on a besoin. Et parce que c’est le minimum, cela le rend encore plus pur. Pour vous donner un exemple, nous avons joué avec un grand orchestre il y a deux ans, en 2022. Nous avons fait quelques spectacles avec un grand orchestre et ma femme les a vus, et comme elle ne nous avait jamais vus avec le quatuor à cordes, après le premier spectacle que nous avons fait avec, elle est venue en coulisses et a dit : “Waouh, c’est encore plus intense“. Donc elle était assez étonnée que ce soit plus intense, mais c’est parce que ce n’est pas un grand ensemble. Maintenant, ce sont quatre personnes supplémentaires.

Raymond : On a quand même l’impression d’être un groupe.

Alex : Oui. C’est en fait ainsi que nous devrions toujours jouer, mais c’est cher. Ce n’est pas facile en ces temps-ci. Et nous le faisons pour l’art, vous savez, ça ne va pas nous rapporter d’argent, mais au moins ce sera beau. Et lors des dernières dates, beaucoup de gens sont venus me voir en disant : “Waouh, mec, j’ai pleuré pendant le concert“. Et je pense que c’est l’un des plus grands compliments, quand les gens sont émotionnellement touchés. Et avec l’IA, je dis toujours que pour le moment, ce n’est pas là. Il n’y a pas de chanson d’IA qui va me toucher émotionnellement, mais je n’ose pas dire que cela ne se produira jamais. Peut-être qu’il y en aura une qui va m’atteindre émotionnellement. Et alors on peut se demander, est-ce une mauvaise chanson si elle vous touche émotionnellement ? Elle fait en fait ce qu’une chanson devrait faire. Je ne sais pas. Je n’ai pas de boule de cristal pour le voir, vous savez. Mais pour le moment, je ne vois pas ça arriver. Regardez ce que ça fait. Pour plaisanter. J’ai fait des démos, j’ai changé ma voix pour celles de Dave Gahan ou Charlie Puth ou autre. Juste pour le plaisir, vous savez. Mais parfois, ça devient effrayant, ça s’améliore de plus en plus. Mais d’un autre côté, ce que j’ai aussi appris en faisant ça, c’est que je n’écris pas de musique comme le font Charlie Puth ou Dave Gahan. Je n’écris pas les mélodies qu’ils écrivent. Donc même si vous utilisez leur voix, ma femme dit toujours : “Je peux toujours t’entendre chanter parce que c’est toi qui le prononces“. Donc si Geike le faisait et que je changeais sa voix, vous l’entendriez quand même parce que la façon dont elle crée ses lignes vocales lui appartient. C’est comme de l’ADN. On ne peut pas le copier.

À propos des chanteuses, vous avez eu plusieurs chanteuses au cours des trente dernières années. Est-ce que cela affecte la façon dont vous écrivez les chansons ?

Alex : Non, je ne pense pas. Je pense que le choix des chansons est différent. Je pense que la sélection des chansons est différente parce que j’écris toujours beaucoup. Je fais toujours beaucoup de démos et je pense que vous sélectionnez des chansons en fonction de la façon dont elles sont chantées ou interprétées ou quoi que ce soit. Mais aussi parfois d’autres choses idiotes. Par exemple, la chanson “Anger Never Dies”, nous l’avons écrite quand Geike était encore avec nous (ndlr : avant de quitter le groupe en 2008), et nous avons fait une démo et nous pensions tous : “Oui, c’est génial, mais ce n’est pas encore ça“. Nous ne l’avons pas utilisée. Et puis en 2010, Noémie [Wolfs] nous a rejoints. Et à ce moment-là, tout à coup, j’ai pensé : “Je sais ce qui ne va pas : le tempo est pas bon, c’est trop lent“. Je l’ai accélérée, Noémie l’a chantée et d’un coup ça a marché. C’était toujours difficile pour nous quand une chanteuse partait. Mais en même temps, cela nous a aussi forcés à nous réinventer. Nous avons été forcés de nous diriger dans une direction particulière. Et avec Noémie, nous sommes devenus un peu plus inspirés par Divine Comedy, un peu plus du genre de groupe de chamber pop, ce qui était bien à ce moment-là. Cela nous a toujours poussés à avancer et à expérimenter et puis Geike est revenue en 2020, ce dont nous étions très heureux bien entendu, et cela nous a fait aller dans une direction différente.


En parlant de cela, Geike, en tournée vous piochez dans un vaste répertoire de chansons. Comment vous appropriez-vous les morceaux qui ont été chantés par d’autres chanteuses à l’origine ?

Geike : Eh bien, ça dépend. Il y a quelques chansons qui ont maintenant des arrangements différents, comme “Gravity”. Il est vrai que lorsque ce qu’Alex écrit est peut-être très personnel, mais cela le rend aussi très universel. Donc il est évident que je peux y mettre ma propre histoire. La changer un peu.

Alex : Même avec “Romantic” maintenant, nous la jouons dans une tonalité différente et cela change l’ambiance, mais dans le bon sens, je pense. Le talent fantastique de Geike est qu’elle peut se réapproprier toutes ces chansons. Elle a l’imagination pour ça.

Geike : Et puis je ne suis pas capable de faire ce que Luka [Cruysberghs, l’ancienne chanteuse avant le retour de Geike] ferait ou quiconque. Et ce n’est pas le but non plus. Je ne suis pas la meilleure chanteuse. Peut-être, mais ce n’est pas le but.

C’est drôle parce que sur les réseaux sociaux, certaines personnes vous appellent la “voix ultime” de Hooverphonic.

Geike : Nous avons grandi ensemble. Hooverphonic a commencé avec Esther [Lybeert] et Liesje [Sadonius]. Mais c’était vraiment le tout début. Et puis je suis arrivée. Je suis arrivée dans le groupe presque comme une enfant. Ils avaient vingt-cinq ans, j’allais avoir en dix-huit cette année-là. Et puis tout d’un coup, les choses ont pris de l’ampleur à ce moment.

Alex : Nous étions en tournée pendant onze ans. Nous tournions tout le temps. Nous avons bâti Hooverphonic. Et bien sûr, nous avons eu beaucoup de succès aussi avec Noémie. Mais il n’y avait jamais la même connexion.

C’est presque comme si vous étiez des amis d’enfance. Vous avez grandi ensemble en tant que groupe pendant très longtemps, il y a donc une connexion spéciale.

Geike : Oui. Peut-être, oui. Il y a des choses que vous savez les uns sur les autres, que d’autres ne savent pas.

Alex : Je pense, oui. C’est juste une question d’alchimie, vous savez.

Geike : Mais encore une fois, je suis partie pour de bonnes raisons. Et je peux dire que je n’avais pas peur pour eux non plus. Je veux dire, ils font ce qu’ils font. J’étais aussi très heureuse de voir qu’ils gagnaient une nouvelle identité, parce que vous suiviez un grand changement avec un nouvel élan (ndlr : en français dans le texte). Et c’était magnifique.

Alex : Nous avons toujours su que, bien que Geike partait, elle pourrait revenir à certain moment. Et quand ce moment est arrivé, quand nous avions tous pris suffisamment de recul, alors ça s’est fait. C’est aussi la seule fois de notre carrière où nous avons dû dire à une chanteuse qu’elle devait partir. La plupart du temps ça ne se passait pas du tout comme ça. Mais pour nous, c’était une évidence.

Nous arrivons bientôt à la fin de cet entretien. Nous avons une dernière question pour vous trois. C’est un peu un rituel pour nous, nous sommes RockUrLife alors… Qu’est-ce qui rock votre life ?

Alex : Qu’est-ce qui rock ma life ? Qu’est-ce qui rock ma life ? [réfléchit] Le thé.

Le thé ? Pourquoi ?

Alex : Parce que c’est la seule chose à laquelle je suis accro dans ma vie. Après trente ans de rock n’roll, la seule addiction que j’ai, c’est le thé. Si je n’ai pas de thé, je ne suis pas content. J’ai besoin de mon thé pour être heureux.

Geike : Eh bien, pour moi… Je dirais apprendre… Pour vous les gars [en pointant Alex et Raymond], la musique est évidemment au top aussi. Mais mon instrument, c’est ma voix et mon corps et apprendre à le connaître et le découvrir, c’est juste… Ce n’est pas que je suis amoureuse de ma propre voix parce que je suis très critique envers elle mais me rendre compte de ce qu’elle peut faire et découvrir de nouvelles choses. Je veux dire, ce n’est jamais nouveau. (rires) C’est comme dans le film Spotless Mind, c’est comme si je découvrais toujours tout encore et encore et j’adore ça. Comment s’appelle le film ? Eternal Sunshine Of The Spotless Mind. C’est comme ça.

Raymond : Je pourrais dire les cigarettes, mais je ne vais pas le faire. Tu parlais d’addiction. Bah, je suis accro aux cigarettes. Non. Je pourrais dire Hooverphonic. Ça me rock. Depuis les trente dernières années. Non, vraiment je le pense, nous avons une longue histoire. Comme une route cahoteuse. Et nous sommes toujours là, donc cela signifie quelque chose que nous survivons toujours à des choses et ce n’était pas facile. Donc pour moi, ça secoue vraiment mon monde parce que c’est mon monde en fait. Voilà, c’est tout.

Alex : Plus que tout, entendre des gens dire qu’ils ont été émotionnellement touchés par notre musique. Comme l’année dernière nous étions en tournée à la frontière ukrainienne, nous avons fait des concerts en Roumanie, en Serbie. Et il y avait cette fille ukrainienne qui avait dû fuir la guerre, et elle était en séjour à Bucarest. Et elle nous a dit : “Vous savez, votre musique m’aide à traverser ces moments sombres“. C’est quelque chose de spécial. Le danger d’être musicien, nous faisons cela depuis presque trente ans, c’est qu’on pourrait commencer à prendre cela pour acquis. C’est spécial et on ne devrait jamais l’oublier.


Site web : hooverphonic.com

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