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HEAVEN SHALL BURN (14/05/25)

À l’occasion de la sortie du nouvel album Heimat, Maik Weichert, guitariste et principal compositeur de Heaven Shall Burn, revient sur les intentions politiques, historiques et personnelles derrière ce disque dense et engagé.

Qu’est-ce que représente le mot “Heimat” pour toi ? Est-ce un lieu, ou plutôt un ensemble de valeurs ?

Maik Weichert (guitare) : Pour moi, c’est un état d’esprit, une sorte de socle de convictions fondamentales. Ces convictions sont bien sûr façonnées par ton environnement : d’où tu viens, qui sont tes amis, tes parents, ce que tu as vécu ou pu vivre, etc. Donc je vois plutôt mon Heimat comme ce que je suis aujourd’hui, d’un point de vue spirituel, moral. Ce sont mes valeurs, mes principes fondamentaux. Je ne considère pas Heimat comme un lieu en soi. Pour certaines personnes, c’est quelque chose de figé, d’immuable – ce que je trouve assez étrange. On devrait aussi pouvoir penser le Heimat dans une perspective tournée vers l’avenir, mais c’est quelque chose de difficile pour beaucoup. En pensant à Heimat comme un état d’esprit, on peut justement le projeter dans le présent et dans le futur, le faire évoluer.


Vous évoquez l’avenir, mais dans certains morceaux comme “10 Days In May” ou “Dora”, vous parlez d’événements historiques. Pourquoi avoir choisi de revisiter ces moments-là en particulier ?

Maik : On souhaite bien sûr commenter ce qui se passe aujourd’hui, les enjeux politiques actuels, mais on ne le fait presque jamais de façon directe. On préfère évoquer des événements historiques comparables, qui sont, disons, des “cas clos“. On peut les analyser dans leur ensemble : leurs origines, leur déroulement, leurs conséquences. Ça permet de poser un regard global et de livrer notre interprétation. Alors que si tu traites de sujets d’actualité, tout est en mouvement, et au moment où l’album sort, il peut déjà y avoir eu de nouveaux développements qui rendent ton propos obsolète. En partant de faits historiques, on peut établir des parallèles avec notre époque et faire passer un message à travers ça. Car au fond, dans l’histoire de l’humanité, les conflits, les sentiments, les émotions sont toujours les mêmes, que ce soit chez un philosophe grec il y a 2000 ans ou chez un politicien d’aujourd’hui.

Ce n’est pas frustrant parfois, de voir que l’histoire semble se répéter, et qu’on ne tire jamais vraiment de leçons du passé ?

Maik : Si, bien sûr. Mais c’est frustrant seulement si on attend de l’humanité qu’elle devienne plus intelligente. En tant qu’historien, je peux dire qu’il n’existe pas vraiment de processus d’apprentissage collectif. Il y a eu des éclaircissements, des progrès – par exemple, toi en France et moi en Allemagne, on ne vit plus sous un régime théocratique. C’est un vrai pas en avant. Mais tout ce qui relève des instincts, des besoins fondamentaux, reste inchangé à travers l’histoire. Prenons la Seconde Guerre mondiale. Les derniers témoins directs de l’Holocauste disparaissent, et pourtant, les partis d’extrême droite reprennent de la force en Allemagne. On n’apprend jamais. Jamais. C’est toujours les mêmes schémas. L’histoire ne se répète pas exactement à l’identique, mais on retrouve des comparaisons, des motifs. Et ça, en un sens, ça permet aussi d’anticiper certaines choses. C’est déjà ça.

© Candy Weltz

Vous évoquez le soulèvement de Gwangju, un événement peu connu. Pourquoi l’avoir mis en lumière en particulier ?

Maik : On aime aussi parler d’événements qui ne figurent pas sur toutes les listes. Le soulèvement de Gwangju est très peu connu, mais c’est un exemple – cruel, pas “sympa” – de la façon dont des dictatures militaires écrasent des mouvements de liberté à travers le monde. La plupart des gens en Europe ne savent même pas que la Corée du Sud, jusqu’au début des années 1980, était une dictature militaire très dure. Ce n’est que depuis peu que ce pays est une démocratie. Je m’intéresse beaucoup à l’histoire coréenne, aussi parce que je viens de l’ex-RDA. On a eu cette division entre l’Est et l’Ouest, et il y a un certain parallèle avec la Corée du Nord et la Corée du Sud. C’est pour ça que je m’y intéresse autant. Et ce soulèvement est un exemple marquant d’un mouvement pour la liberté réprimé de manière brutale par un régime militaire. On voulait en parler, faire connaître cette histoire, d’autant plus qu’elle reste peu abordée, même en Corée du Sud. C’est encore aujourd’hui un sujet sensible.

Vous dénoncez aussi l’apathie et la dégradation morale dans des titres comme “My Revocation Of Compliance” ou “Confounder”. C’est un appel à l’action ?

Maik : “My Revocation Of Compliance”, c’est même plus que ça. C’est ce qui se passe après l’appel à l’action. On appelle les gens à se bouger depuis des décennies, surtout sur les droits des animaux et les droits humains, que traite ce morceau. Dans nos sociétés occidentales, tout le monde est très bien informé. On ne peut plus prétendre ne pas savoir. Cette excuse – “je ne savais pas” – n’a plus lieu d’être. Donc soit tu choisis d’ignorer, soit tu ouvres les yeux et tu essaies au moins de faire quelque chose, ne serait-ce qu’à ton échelle personnelle. Et pour changer le monde, il faut d’abord commencer par soi-même. La phrase centrale du morceau, c’est : “This is the end of my tolerance for ignorance.” Je suis fatigué de tolérer l’ignorance. Je ne veux plus me taire sous prétexte de préserver une certaine paix ou de ne pas froisser. Les choses vont trop mal pour qu’on reste silencieux.


“Confounder”, c’est une approche plus discrète. Ça parle des bulles dans lesquelles on vit. On a tous vécu ça : un dîner de famille ou une pause au boulot, où quelqu’un sort une énorme connerie, et on ne dit rien pour ne pas créer de tensions. Ce morceau dit : non. Ouvre la bouche. Fais exploser cette bulle. Ne laisse pas les gens rester confortablement installés dans leurs opinions stupides. Si tes convictions morales sont attaquées, exprime-les. Sois un confounder. Trouver le courage de le faire ? Je ne sais pas. Beaucoup me demandent pourquoi je ne suis pas frustré, pourquoi je continue. Mais je crois toujours que la musique peut avoir un impact. Je suis la preuve que la musique peut changer une vie. Sans Earth Crisis ou Napalm Death, je ne serais pas celui que je suis aujourd’hui. Je ne serais pas vegan depuis 30 ans. Donc oui, je crois encore au pouvoir de la musique.


Et vous pensez que la musique peut aussi avoir un impact politique ? Ou c’est surtout au niveau individuel ?

Maik : Pas forcément nous, notre groupe est trop petit, trop de niche dans le metal. Mais il y a des artistes qui ont eu ce pouvoir. Prenez Victor Jara au Chili. Il était tellement dangereux pour la dictature de Pinochet qu’ils ont fini par l’assassiner. Il touchait profondément les gens avec sa musique et ses convictions. John Lennon aussi a marqué toute une génération. Certains artistes d’aujourd’hui pourraient avoir ce pouvoir – s’ils l’utilisaient vraiment. Certains rappeurs, par exemple, pourraient faire bouger les choses politiquement au lieu de vendre des baskets Nike. Ce serait totalement possible. Regardez tout le bruit que ça a fait quand Taylor Swift s’est exprimée contre Donald Trump. Ça a eu un écho mondial.

Sur le disque, il y a aussi ce morceau, “Keinen Schritt Zurück”, qui semble à la fois une lettre d’amour et une critique de l’Allemagne. Il est très ambivalent. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Maik : Ce morceau parle en fait du terme Heimat. Les paroles sont écrites comme si quelqu’un s’adressait à sa patrie comme à une petite amie. C’est une relation compliquée, avec des blessures passées, mais aussi de l’espoir pour l’avenir. C’est une sorte de dialogue amoureux avec son pays, entre douleur, attachement, et responsabilité. Le message de fond, c’est qu’on n’a qu’un seul Heimat, qu’on ne peut pas le choisir, mais qu’il faut rester, être là pour les gens, et ne pas le laisser aux discours populistes.

© Candy Weltz

Quand on écoute les paroles, on ressent cette tension entre attachement et rejet. Et quand vous dites “Heimat, meine Liebe, es ist kompliziert“, on a l’impression que c’est le cœur même de l’album.

Maik : Oh, wow. Oui, exactement. C’est exactement ce que j’avais en tête en écrivant ce morceau. C’est la première fois que quelqu’un le perçoit aussi clairement, merci beaucoup. Je suis vraiment touché. Cette phrase est la base du morceau, elle exprime toute cette ambivalence : une relation compliquée. On ne peut pas vivre sans son Heimat, mais y vivre n’est pas simple non plus. Il y a quelques années, j’ai lu un livre – je ne connais pas son titre français – de Didier Eribon. Il y raconte son retour dans sa ville natale, avec son passé, sa vie d’homosexuel dans un environnement difficile, et cette relation très ambivalente avec son lieu d’origine. Ça m’a beaucoup marqué. Ce livre a été une vraie source d’inspiration pour l’album.

Et le fait que ce morceau soit en allemand renforce ce sentiment, non ?

Maik : Oui, absolument. On voulait vraiment lui donner une attitude plus punk, et c’est pour ça qu’on l’a placé sur le disque bonus de l’album. Il avait une énergie différente, surtout avec les paroles en allemand, et une approche plus directe. C’est aussi une collaboration avec nos amis du groupe allemand Donots. Le résultat est super, et le morceau a beaucoup de succès – mais c’est clairement un morceau à part.


Il y a aussi des morceaux instrumentaux comme “Ad Arma”, “Imminence” ou “Inter Arma”. Quel rôle jouent-ils dans la narration de l’album ?

Maik : Ce sont un peu les piliers du disque, une sorte de cadre. On veut que l’album soit un voyage. Il y a une introduction qui monte lentement, puis “Imminence”, qui sert de respiration au milieu du chaos sonore. Et à la fin, “Inter Arma” fonctionne comme une conclusion : si tu écoutes bien, tu entends des mélodies issues des autres morceaux, réinterprétées par les cordes. C’est une sorte de synthèse musicale de l’album. Une très belle manière de le clôturer.

Avez-vous voulu expérimenter de nouvelles choses sur ce disque, ou rester fidèles à vos racines ?

Maik : On est Heaven Shall Burn. On ne cherche jamais à expérimenter pour le plaisir. Notre priorité, c’est que nos fans les plus fidèles soient satisfaits.

On pense qu’ils le seront.

Maik : J’espère ! Ensuite, on peut ajouter des éléments nouveaux ici ou là, bien sûr. Mais la base doit rester intacte. Le disque doit être une réussite pour nos fans de toujours. Si c’est le cas, alors on peut se permettre quelques ajouts. C’est comme un plat préféré : tu ne changes pas la recette, mais tu peux varier l’entrée, le dessert, ou l’accompagnement. Le cœur du repas, lui, reste le même. Et on est fiers d’avoir su forger notre propre son au fil du temps. Ce n’était clairement pas notre intention de changer ce son.

Donc c’est toujours politique ?

Maik : Politique, oui, parce que c’est pour ça qu’on fait de la musique : pour exprimer notre opinion politique. On n’est pas Gojira ou Tool, ce ne sont pas des groupes qui utilisent la musique comme une forme d’art purement esthétique. Pour nous, la musique est un moyen de transmettre un message. C’est ça, le cœur du projet. Heaven Shall Burn a toujours été un groupe politique, et il n’y aura jamais un morceau qui ne le soit pas. Si un jour on veut faire autre chose, ce sera avec un projet parallèle.

© Candy Weltz

Quel type de réaction espérez-vous provoquer avec cet album, notamment dans le climat politique actuel ?

Maik : On espère provoquer quelque chose, oui – une remise en question, mais de manière constructive. Amener les gens à réfléchir à ce que “Heimat“, ou “la patrie“, signifie pour eux. Là d’où on vient, dans les milieux plus à gauche, ce terme est quasiment banni. Il a été complètement récupéré par les populistes d’extrême droite, vidé de son sens, puis rempli avec des idées stupides et nauséabondes. Ce qu’on veut, c’est réhabiliter la réflexion autour de ce mot, Heimat. C’était vraiment une intention centrale. Et puis bien sûr, on espère toujours que les gens chantent avec nous, que les morceaux donnent de la force. Si un titre comme “Empowerment” peut vraiment donner du courage à quelqu’un, le motiver avant d’aller bosser ou dans une période difficile, alors ce serait déjà énorme pour nous.

Notre média s’appelle RockUrLife, donc dernière question : qu’est-ce qui “rock” ta life ?

Maik : Qu’est-ce qui rock ma vie ? Mes deux chats, déjà. Mes deux enfants, évidemment. Ma femme aussi. Et ma collection de vinyles Romo, elle rock ma vie comme jamais !

© Candy Weltz

Site web : heavenshallburn.com

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Marion Dupont
Engagée dans la lutte contre le changement climatique le jour, passionnée de Rock et de Metal le soir !