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FRANK CARTER (01/07/15)

Deux ans après l’arrêt de Pure Love, Frank Carter revient avec un projet solo et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il a les crocs ! Bien décidé à reprendre son titre de meilleur frontman hardcore européen, Carter sort “Blossom”, un album enragé et libérateur pour le trublion roux. Nous avons eu la chance de nous entretenir avec l’un des artistes les plus fascinants de sa génération. Une icône qui transforme tout ce qu’il touche en or maculée de sang.

Quelle était ta motivation à arrêter Pure Love et à commencer ce tout nouveau projet ?

Frank Carter : Je n’avais rien en tête au moment d’arrêter Pure Love. Lorsque nous avons mis fin projet, en novembre 2013, nous venions de programmer une tournée d’adieu qui aurait lieu six mois plus tard, en mai 2014. Durant toute cette année, je n’avais aucun plan en tête, aucun projet de nouveau groupe. J’avais surtout l’objectif de pouvoir vivre de mon métier de tatoueur. Durant cette période, beaucoup de choses sont arrivées. J’ai perdu mon père d’une manière assez brutale. Ma carrière musicale venait de se stopper avec l’arrêt de Pure Love et puis, à la fin de l’été 2014, j’ai été viré du salon de tatouage dans lequel je bossais. J’étais dans une période assez creuse de ma vie et, dans le même temps, ma fille allait venir au monde. Dieu merci elle est magnifique et en bonne santé. Après sa naissance, j’ai dit à ma femme que je voulais être dans un groupe de nouveau. Et elle a été ravie d’apprendre cette nouvelle car j’ai été plutôt pathétique toute cette année. Ma femme est une artiste, une personne très créative et qui est bien plus douée que moi en tatouage et en chant également. Avoir ce soutien de la part d’une personne si accomplie était vraiment fort. Du coup, j’ai commencé à écrire des petites choses à droite à gauche. Puis j’ai fait part à Dean mon envie de commencer un tout nouveau projet mais plus orienté solo. Je voulais bien entendu jouer avec un groupe, mais je voulais être mis en avant car ça justifiait parfaitement le contenu des chansons qui sont centrées sur moi. Dean était emballé alors je lui ai envoyé quelques lyrics que j’avais écrite. Il m’a renvoyé une chanson en me disant “tiens, je pense que c’est exactement ce qu’il te faut”. J’ai écouté la chanson une première fois, puis lors de la deuxième écoute j’ai commencé à chanter dessus. J’ai enregistré une démo que je lui ai renvoyé et Dean m’a rappelé en me disant “bon et bien je crois que nous avons un groupe !”. Cette chanson est d’ailleurs devenue “Fangs”. Donc oui. Créer ce nouveau groupe a été un long processus. Je ne me suis pas retrouvé devant MTV en me disant “tiens je vais recommencer un groupe !”.

Au début de “Bury My Bones”, premier single de Pure Love, tu chantais “I’m so sick of singing about hate, this never gonna make a change” (ndlr : J’en ai marre de chanter sur la haine, cela ne changera jamais”). Tu as changé d’état d’esprit visiblement ?

F : Bien sûr, la vie est faite de changement. Pure Love était une réaction à tous les groupes dans lesquels j’avais été auparavant, notamment Gallows. Je n’ai jamais été effrayé à l’idée de poser un statut sur une période donnée de ma vie. Il y a plusieurs versions de moi et, à ce moment là de ma vie, Pure Love représentait le mieux ce que j’étais comme personne et c’est une trace de cette période.

Un peu comme un tatouage.

F : Exactement ! C’est exactement la même démarche qu’un tatouage. Je respecte toujours la personne que j’étais en écrivant cette phrase, mais elle n’existe plus du tout aujourd’hui. J’ai vieilli et mine de rien, je suis blessé. Alors à ce moment je pensais peut-être que la colère n’allait pas changer les choses, mais aujourd’hui j’ai envie d’essayer à nouveau.

A l’écoute de Pure Love, on a l’impression que tu avais créé ce groupe aussi parce que vomir ta haine dans Gallows te maintenait comme coincé dans un état d’esprit négatif constant et que tu voulais sortir de ça.

F : C’est marrant, je n’ai jamais vu les choses sous cet angle. Ce qui est sûr, c’est qu’avec Gallows, comme avec les groupes dans lesquels j’étais avant, je ne me mettais pas en danger artistiquement. Je restais coincé dans un milieu pour lequel je n’ai plus eu de respect très vite. Malgré tout le succès que l’on a eu avec Gallows, je l’ai toujours trouvé mérité et les bonnes choses qui m’arrivaient je les prenais comme acquises. Et c’est vraiment cet état d’esprit qui est le plus destructeur. Tu en arrives à un point où tu n’essaies plus de te dépasser. Et j’en ai eu ras le bol. Alors Pure Love était l’exact opposé de ce à quoi les gens attendaient de moi et c’était un véritable statut de mon état d’esprit de l’époque. C’était la première fois que je me mettais en danger. Je n’ai jamais fait de la musique pour les gens, je l’ai toujours faite pour moi et je n’ai jamais prêté attention à ce que l’on pouvait penser de ma musique. Mais être dans Gallows m’offrait un champ de vision limité et une prise de risque quasiment nulle. Maintenant, je chante à nouveau de la musique agressive et j’ai une nouvelle forme de respect pour ce genre de musique. Mais je ne prendrais plus jamais les choses comme acquises. Je sais désormais ce que ça fait de tout avoir, et de tout perdre.

Lorsqu’on écoute “Blossom“, on se rend compte qu’il y a ta colère mais aussi bien plus de passages mélodiques qu’à l’époque de Gallows. C’est comme si Pure Love t’avait apporté la confiance en toi nécessaire à ce que tu puisses incorporer du chant dans tes chansons.

F : Exactement. Lorsque nous avons commencé Pure Love, je n’avais pas du tout confiance en mes capacités de chanteur. Alors j’ai du travailler mon chant. Les premières réactions face à ce nouvel album sont “oh, ça ressemble à Gallows !”. Alors, bien entendu que ça ressemble plus à Gallows qu’à Pure Love mais ça n’est similaire à aucun de ces deux groupes. Pour le simple fait que c’est meilleur car c’est maintenant. Je me suis toujours attaché à être dans le présent et c’est ce qui fait que je suis très fier de ce projet.

 

 

Pourquoi avoir choisi “Blossom” comme titre d’album ?

F : Ce titre vient d’une chanson de l’album qui s’appelle “Rotten Blossom”. C’est une chanson dans laquelle je me pose surement beaucoup trop de questions sur la vie après la mort ! (rires) Je ne me suis jamais demandé quel était mon rapport à la mort jusqu’à ce que je perde mon père. C’est un titre qui reflète très bien aussi ce qu’est ce projet. Il a été créé, envisagé dans un moment où ça n’allait pas dans ma vie, malgré la naissance de ma fille. Et de cette merde, j’en ai tiré quelque chose de positif et de magnifique : ce nouveau groupe.

Tu es parti de Gallows au moment où vous étiez au top de votre popularité, pour des divergences artistiques. Mais la lumière n’a jamais été vraiment faite sur cet épisode. Qu’est-ce qu’il s’est passé de ton côté pour que tu partes de ce groupe ?

F : C’était compliqué car à ce moment, je vivais à New York, donc loin des autres membres du groupe. J’avais déjà commencé Pure Love mais dans l’optique d’un side project plutôt amusant. Quand est arrivé le moment où nous avons du envisager de donner une suite à “Grey Britain”, je ne me suis retrouvé que très peu inspiré par les choses que nous écrivions. Dans le même temps, je prenais beaucoup de plaisir avec Pure Love. Cependant, pour être honnête je ne me souviens pas dans quelle direction je voulais aller avec Gallows. Sûrement quelque chose qui était à l’opposé de ce que nous avions fait avec “Grey Britain” et c’est sûrement pour ça que ça ne marchait plus entre le reste du groupe et moi, et je le comprends tout à fait !

Dans les commentaires de la vidéo “Juggernaut”, tu as écrit que tu étais de retour pour “botter le cul des groupes de merde actuels”. On veut des noms !

F : (rires) Non tu n’auras pas de nom, sans quoi je risque de m’attirer des problèmes ! Le truc, c’est que je pense que ces groupes savent que je les vise avec cette chanson. Et je pense aussi qu’ils s’en foutent de ce que je pense d’eux. Et c’est une bonne chose car, chacun est libre d’avoir son opinion. Je ne me tais pas pour autant, mais je vais laisser la musique parler. Je vais laisser nos concerts parler pour moi. J’ai l’ambition que les gens qui viendront nous voir en concert ressortent avec une vision totalement différente de comment ils envisageaient un show jusqu’à maintenant. Espérons que ce soit dans le sens où, devant les prestations d’autres groupes, ils trouvent ça plat et souhaitent venir nous voir encore.

 

 

Tu écoutes donc toujours du hardcore et du metal aujourd’hui.

F : Bien sûr mec, j’écoute tous les styles de musique. Trap Them, pour être précis, est mon groupe de hardcore préféré en ce moment.

L’an dernier tu as posté une photo de Wade McNeil (ndlr : remplaçant de Frank Carter dans Gallows) et de toi. C’était cool de voir qu’il n’y aucune haine entre vous deux mais, as-tu déjà envisagé de revenir dans Gallows ?

F : Non jamais non. Bien sûr, chanter certaines de ces chansons me manque et j’imagine que je serai un jour amené à les chanter de nouveau. Mais pas maintenant, pas dans un cadre de tournée. Je m’imagine les chanter genre à mes 65 ans, lors du mariage de ma fille histoire de la mettre mal à l’aise ! (rires)

“Graves “pour la cérémonie serait parfaite.

F : Exactement mec ! Sérieusement ça ne m’a jamais intéressé de revenir. Tout ce que j’ai en tête désormais c’est The Rattlesnakes. Pour moi, ce projet représente le mieux un futur meilleur. Je ne veux pas être connu pour quelque chose que j’ai fait il y a dix ans. Et pour moi, ce nouvel album me permet de marquer un peu plus mon empreinte dans la musique.

Si on suit ton raisonnement, tu t’en fous d’avoir grandement contribué à l’un des plus grands albums de hardcore des vingt dernières années avec “Grey Britain” ?

F : Tout d’abord merci mec pour ce compliment. Bien sûr que si je suis fier de cet album. Quand des gens viennent me dire que cet album est important pour eux, j’en suis très heureux évidemment. Mais je ne suis pas nostalgique de cette période, ni envieux. J’adore cet album, j’en suis encore très fier aujourd’hui. Mais je préfère “Blossom”. Pour le simple fait qu’il est le dernier témoignage de la personne que je suis actuellement. Pour moi, “Grey Britain” n’était qu’une étape de plus. Je ne minimise pas, bien sur que c’est un super album. Mais je le respecte autant que je respecte “Blossom”. En 2009, je n’étais pas dans l’idée que j’étais au top de mon art. Mais “Blossom” a sauvé ma vie. Voilà pourquoi il est bien plus important à mes yeux aujourd’hui. Quand tu mets autant dans un disque, tu as du mal à imaginer qu’il puisse exister quelque chose dont tu es encore plus fier. Que ce soit mes travaux précédents ou à venir. C’est donc pour ça que je suis ici, à Paris, pour parler de cet album.

Vas-tu revenir pour un concert à Paris ?

F : Oui bien sûr, dès que possible ! Avant la fin de l’année je l’espère. Maintenant j’ai une fille qui n’a que quelques mois, alors je ne peux plus me permettre de partir pour de longues périodes de tournées. Mais l’an prochain nous allons tout de même tourner bien plus et faire beaucoup de festivals, dont quelques français il semblerait. Mais il est trop tôt pour véritablement en parler donc, je préfère ne rien dire avant que ce soit sûr et confirmé.   

De bonnes nouvelles en perspective donc ! Nous avons de la chance de t’avoir à Paris pour faire la promo de l’album, c’est quelque chose que tu n’as jamais fait auparavant.

F : Non en effet c’est la première fois. C’est une vraie chance, mais avant nous n’avions jamais eu l’occasion, l’argent et les bonnes personnes pour mettre ça en place. Avant nous bossions avec de tout petits labels et, certes c’était satisfaisant car ils identifiaient clairement la nature de notre travail et savaient comment en parler, mais ils disposaient de moyens plus limités alors, évidemment nous voulions nous déplacer en Europe pour faire des journées promo comme aujourd’hui mais ces labels te font sentir que l’argent investie dans ce genre de journée c’est de l’argent qui ne te reviendra pas ou qui sera prise sur un autre budget pouvant mettre en danger la vie de ton disque. Et nous voilà aujourd’hui, à faire de la promo à Paris alors qu’il y a six mois, ce groupe n’existait même pas. Notre album sort dans un mois et tout ça est un peu fou mais très appréciable.

Quoi que tu fasses, tu bénéficies toujours d’un énorme soutien public. Que ce soit avec Pure Love ou maintenant, la musique que tu crées provoque toujours beaucoup de réactions et de retours. As-tu une explication et comment te sens-tu vis à vis de ça ?

F : Je n’ai pas vraiment d’explications. J’aime à penser que c’est parce qu’ils comprennent que ce que je fais est vrai, honnête.

Honnête est-ce mieux que bon selon toi ?

F : Quelque chose d’honnête est forcément bon. Je n’ai jamais été fan de la perfection. Pour moi, le vrai est la chose la plus proche de la perfection. C’est pour ça que l’album est court, rapide, agressif et très brut. Il est à mon image. Cet album était une délivrance pour moi, c’était la meilleure chose que je pouvais faire et c’est ça la perfection à mes yeux. Je peux rester derrière mon ordinateur et modifier les chansons autant que je le souhaite, où est le fun là dedans ? Comment est-ce que je reproduirais ça en live après ? Ce qui est vrai est bon.

 

 

Penses-tu qu’un jour Paris pourrait-être la raison (ndlr : en référence à la chanson “London Is The Reason” de Gallows) ?

F : Bien sûr. N’importe quelle ville pourrait être la raison. C’est pour ça que nous avions écrit cette chanson. Nous venions de Londres, donc Londres était la raison.

Ton regard sur Londres a t-il changé depuis cette chanson ?

F : Non pas vraiment. Londres c’est ma maison. Je l’aime et je la déteste en même temps. Comme toutes les villes dans lesquelles tu vis et tu grandis. Parfois tu en as marre de la ville. C’est normal, on est juste des humains.

Tu es aujourd’hui un homme accompli : tu es un mari, un père, un tatoueur reconnu et bien sur, un chanteur reconnu. Y-a t’il des rêves que tu n’as pas encore réalisé ?

F : Je me sens très chanceux, en effet, d’avoir pu réaliser la plupart de mes rêves. Aujourd’hui, mes rêves ils sont pour ma fille. Je rêve qu’elle vive une belle et longue vie sans problèmes de santé. Je rêve de la même chose pour ma femme. Et bien sûr, je me souhaite la même chose. Aujourd’hui, je ne rêve plus trop à propos d’autres choses que ma famille. Je nous souhaite d’être heureux, tout simplement. C’est bien plus important que n’importe quoi dans ce monde. Bien plus important que cet album même !

Tout à l’heure, tu disais que “Grey Britain” n’avait été que l’étape suivant “Orchestra Of Wolves”. Cet album reste en dehors du temps pour tous ses fans. Comme s’il ne vieillira jamais. On ressent un peu cet intemporalité dans “Blossom”.

F : Il faut savoir qu’avec “Grey Britain”, nous avions en tête d’écrire un classique. Mais oui, de manière générale, j’essaie toujours d’écrire une musique qui ne soit pas ancrée dans la période dans laquelle je l’ai écrite. Maintenant, ce qui est compliqué, c’est de faire une musique moderne sans pour autant qu’elle soit démodée dans vingt ans. Ce n’est que dans quelques décennies que nous saurons si la musique de Gallows ou si “Blossom” seront des albums hors du temps.

Pour finir : notre site web s’appelle “RockUrLife”, qu’est-ce qui rock la life de Frank Carter ?

F : Sans surprise ma fille. Elle a sept mois, tous les jours je la vois grandir, évoluer et ça me rend fou ! Elle apprend sans cesse de nouveaux mots, mais son préféré reste “daddy” bien entendu ! Donc ma fille rock ma vie, et le dernier album de Ceremony aussi.

Site web : andtherattlesnakes.com

Nathan Le Solliec
LE MONDE OU RIEN