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FIROUZ (19/05/11)

Firouz est un artiste basé à Paris. Plus connu comme membre fondateur et chanteur du groupe de rock Playground, il s’est aussi établi en tant que peintre et écrivain. Son premier album en solo, “Vagabond Heart”, est en partie inspiré de ses voyages. Rencontre avec cet électron libre du rock.

Salut Firouz ! Merci de m’accorder un peu de ton temps. En guise de préliminaires parles un peu de toi, ton parcours…

Firouz : En 2002, je suis à Paris. Les Strokes déboulent, les Libertines sortent leur premier album, les White Stripes sont sur scène avec les Strokes, on est tous supers contents. On attendait ça depuis longtemps, c’est génial. Je suis avec une bande de gars qui répètent comme des malades. Sans but particulier, juste histoire de faire de la musique. On structure un album ensemble et on appel ça : Playground. On commence donc à travailler ce premier opus, et assez rapidement, vu qu’on avait tous des looks, un peu indie, tu vois ?! On se retrouve chez Virgin qui nous dit : “vous êtes les Strokes parisiens. Mais pour les Strokes Parisiens, il faut une chanson en français”. On réponds au mec : “On peut faire une chanson dans ce sens là qui s’appellerait “Je T’encule !” Une histoire d’amour… Bref, là c’est arrivé, et on ne peut pas s’entendre avec les majors. On se retrouve donc à signer avec Catalogue, Le Village Vert, le label du télé-pop music, de Luc de Sporto Kantes, Un très beau label à Abesses, on enregistre le premier disque au studio Gang. Ça créé le buzz, on commence à tourner. C’est une super belle expérience, on fait la tournée des Inrocks, on joue aux States, en Angleterre. Bref, une super belle expérience, mais on a du mal à trouver notre place dans le milieu français. C’était une époque transitoire, en 2003-2004, une époque avant les baby rockers, avant que Philippe Manœuvre entre sur la scène… Le milieu est en compétition avec l’international, la France a du mal à se défendre à l’international. On s’est retrouvé à galérer à vendre notre son à l’international, parce que même notre label, même nos attachés de presse et tout ça, n’ont pas voulu prendre le risque. Donc finalement, ça a été une grande déception de ne pas se retrouver, en tant que groupe français, derrière Phoenix et tout ces groupes qu’on adore, et que les gens se disent, putain y’a moyen de faire du rock n’roll en France.

Par rapport à ça, ça voudrait dire que la France n’est pas un pays adapté au rock n’roll comparée aux pays anglo-saxons. La France donne des opportunités mais ne donne pas assez de chance aux artistes de pouvoir s’exprimer librement…

F : Écoute, je vais être clair avec toi ! Quand on en a la chance, on est tellement stigmatisés par l’idée que c’est nouveau, que tout de suite on fait trop de business autour et on tue le mouvement avant même qu’il n’ait éclot. Et j’ai énormément de choses à dire à ce niveau là, parce que je pense qu’il y a de très bons groupes à Paris qui sont arrivés en 2004/2005, sur lesquels il y a eu trop d’investissements, trop de buzz pour rien, alors qu’il aurait fallu juste créer une vraie scène parisienne.

A titre d’exemple, tu citerais qui dans ces groupes de 2004/2005 ?

F : The film, un sacré groupe, qui a eu l’idée de faire du branding. Un énorme groupe scénique, qui a préfiguré le mouvement électro rock. Et finalement, personne les a soutenu derrière. Il y a eu Fancy, qui avait signé avec Rough Trade en Angleterre, qui est revenu en France, qui a signé chez Headbanger et qui n’a pas réussi à percer. Ce genre de groupes qui avait un potentiel international, qui pouvait donner une aura à la scène parisienne, autre que celle de la hype. Il y a eu une conceptualisation de ce qu’est le rock français, largement mis en place par Manœuvre, qui a créé ce mouvement des baby rockers. Pour moi, cette idée n’est pas bonne, car y’a pas de baby, y’a pas de seniors, y’a pas de mediums, quand c’est de la bonne zique, c’est de la bonne zique, et quand c’est du rock, c’est du rock, et quand ça cartonne, ça cartonne ! Je pense sincèrement que les labels qui ont signé ces groupes de baby rocker, en pensant que c’était ça le rock français, ont fait une erreur. Ils n’ont pas pensé à la musique, mais au côté mercantile. Et le pire, on sait tous que Naast, et les Plasticines et d’autres se sont plantés la gueule derrière. Les seuls à avoir survécu ce sont les BB Brunes. Ils ont eu une opportunité, expoilté un filon et c’est parfait pour eux. Je suis content pour eux qu’ils soient sur la compilation de Bashung. C’est très bien pour ces gars, mais il y a d’autres groupes français que je respecte beaucoup plus et qui ont beaucoup plus de choses à dire. Il ne faut pas oublier qu’en France, on vient des Daft Punk, de la soul, de la black music, du groove. Phoenix ont eu un truc à dire depuis le début. Quand j’ai vu les Victoires De La Musique qui récompensent Ben L’oncle Soul, et Phoenix qui vend un demi million d’albums aux States, et pas une récompense ! Ce quatuor qui remplit le Madison Square Garden, ça me file des frissons. Un groupe français qui fait ça, c’est à applaudir. Ils ont cassé le tabou de la French Touch.

Justement, est-ce que la French Touch n’est pas juste un copie des groupes anglosaxons, qui font du réchauffé sans créativité ?

F : Non, pas du tout ! La FT existe vraiment. C’est juste le système français qui préfère investir sur des choses plus mainstream et copiées. Parce que tu as des groupes en présence qui prouvent le contraire. C’est juste du financement. Financer une frustration que eux ont, mais que la scène parisienne n’a pas. On devient des arriérés car les arriérés qui financent ne préfèrent pas prendre le risque. Ils préfèrent être seconds couteaux car ils prennent les français pour des cons. C’est ce que je pense.

On est gérés par le “bankable” de nos jours. Il y a une phrase que j’aime particulièrement qui résume un peu la situation, c’est une phrase de Keith Richards qui dit : “Je me rappel d’un temps où le rock n’roll était un des seuls moyens d’expression libre, et où il ne fallait pas lécher des culs pour réussir.” Qu’en penses-tu ?

F : Cette phrase est une très belle question. Je le reconnais. En gros, tu me demandes si il faut être “bankable”. Pourquoi est-ce que Radiohead a opté pour un pattern jungle sur un single plutôt que d’aller tout droit comme les White Stripes ? Parce que ces mecs sont constamment en train de créer pour faire avancer le bordel. En France, on a un problème, investir sur le développement. On pense que le développement est ailleurs, en Angleterre, en Amérique… et on attend que ce développement arrive à sa finalisation commerciale pour faire en conséquence. Mais ça dépend du genre de musique…

Okay ! Parlons un peu de toi, de ton concert qui va suivre. Comment as-tu découvert la musique ? Une chanson, un groupe qui t’a marqué, un artiste en particulier… ?

F : “Highway 61 revisited” ! Bob Dylan électrique. Je suis l’histoire de Bob Dylan électrique, j’ai découvert plus tard le Dylan acoustique. Contrairement à tous les docu folkeux, moi je suis pas un folkeux. J’ai découvert l’électrique avant et je suis arrivé au folk plus tard. “Like A Rolling Stone”, c’est ma chanson, une power ballade. J’adore les power ballades et les mecs qui ont des choses à dire. J’ai commencé comme ça vers 16 ans, je faisais des covers sur une guitare espagnole que ma mère m’avait offert. Et puis au fur et à mesure, j’ai rencontré des mecs plus ou moins rock n’roll d’autres un peu plus funk, mais j’ai toujours aimé les mélanges. Et puis quand on a monté Playground, je me suis dit tiens, avec un kick à 124bpm pris de Billie Jean de Michael Jackson, des riffs à la Pixies et un vocal à la Jagger, là on commence à se marrer. Il y a du punk, de la soul, du rock n’ roll, du blues. C’est mon trip. Ce soir je joue en acoustique pour la sortie de mon troisième album prévue pour janvier 2012. Il faut savoir que j’en ai sorti deux avant avec Playground. L’histoire du deuxième opus est assez hallucinante. On était le seule groupe en France à être en branding total avec Zadig & Voltaire Musique, sorti en 2010, produit par le producteur de Sebastien Tellier, qui s’appelait “Nightology”. Un album que j’ai voulu cross over électro rock. Je me suis dit, la French Touch, ça vient de Paris et ça peut être génial d’amener ces influences rock (Zeppelin, Stones, Dylan, Bowie…) sur une base plus funk électro que la France peut offrir, avec de magnifiques producteurs, que ce soit Zdar, Allan Brax… Il y a quand même en France un trésor au niveau de la production, une sorte de déviance de l’époque trip hop de manière plus droite, tu vois ?! Un peu comme Tricky. Donc j’ai fait un album entier avec Z&V, signé chez Sony. Au final, ça a été un échec.

Dans quelle mesure ?

F : Humainement…

Parce que tu sentais que tu rentrais dans ce système de capitalisation, où tu deviens un produit plus qu’un individu artiste ?

F : Tu parles pour moi.

Donc là, troisième album, et en solo.

F : Ouais. Suite à cette pression subie, le groupe a implosé. Dino Trifunovic a monté Vangog Superstar, qui sont signés. Qui s’inspire du Velvet avec des paroles à la Biolay, très french song… J’aime beaucoup mon guitariste qui a travaillé avec moi depuis longtemps, mais c’est pas mon type de projet, m’engager sur du french song. Donc je suis parti, pour un long voyage, la Chine, l’Afrique du Nord et l’Andalousie. Et j’ai écrit un disque qui s’appelle “Vagabond Heart”. Un album road trip, acoustico rock. Ce que je voulais pour cet album, c’est qu’il soit 360. C’est-à-dire que je peux aussi bien le jouer comme ce soir seul avec ma guitare, et sur scène avec 3 gratteux, un bassiste, un batteur… C’est un album complet dans le sens où ça parle du voyage. Musicalement, c’est back to the roots de Bowie, avec un grand merci à Radiohead. On est en production là, on rentre dans la dernière phase de production du single “Comet On Fire”. (ndlr : sortie en octobre 2011)

Cool, donc dans cette démarche on parle de l’universalité que peut avoir le rock n’roll en soi et après, avoir la démarche inverse de certains groupes qui reprennent en acoustique ce qui a été produit en électrique en formation complète. Comme les Foo Fighters par exemple.

F : C’est drôle de ce que tu me dis là, parce qu’on vient de finir de tourner le clip de la chanson “Bianca C. – The Pirate Song” (prochain single). Le clip est shooté live avec cinq caméras par une boite de prod qui s’appelle Pulp Station (agence digitale). On s’est dit qu’au lieu de faire un clip à partir de la chanson produite, on va la faire à partir d’une captation acoustique/voix, en live et de pousser ça. Ce n’est pas un morceau fini. Il faut savoir défendre ses chansons en acoustique pour pouvoir après les présenter produite. Un peu comme Bob Dylan l’a fait.

Une sorte de teasing en fait. J’arrive au bout de mes questions, un mot pour la fin ? Une pensée, une idée, un coup de gueule ?

F : Y’a un truc. Quoique tu fasses, fait-le avec style. Que tu déconnes ou pas, fait-le avec style.

Merci beaucoup Firouz.

F : Merci à toi mec, merci à RockYourLife!

Site web : reverbnation.com/Firouzvagabondheart

Anthony Bé
Fondateur - Rédacteur en chef du webzine RockUrLife