InterviewsSlideshow

FEVER 333 (09/11/19)

English version

Après avoir retourné le Hellfest, FEVER 333 était de passage en France pour défendre “STRENGTH IN NUMB333RS” au Trabendo. Le chanteur Jason Aalon Butler expose son parcours et ses vues politiques lors d’un échange avec RockUrLife !

Commençons avec une réaction sur la récente annonce de reformation de Rage Against The Machine. Qu’est-ce que cela t’évoque ?

Jason Aalon Butler (chant) : Je suis tellement excité ! Je n’ai jamais pu les voir parce que je n’avais pas les moyens d’acheter une place. Alors là, j’ai réservé mon hôtel et mon billet pour le concert en Californie. Je vais aussi aller en Arizona et au Texas.

Penses-tu que leur intention est de combattre Trump ?

Jason : Je suis tout à fait sûr que cela fait partie de la raison. En tant que pays, nous traversons une période de turbulence. Tout ce que fait Trump est diamétralement opposé aux convictions du groupe. Je pense qu’ils comprennent que les effets de cet homme sont vraiment désastreux pour toute la population. Ils peuvent déclencher une grosse dose de rage. Sans mauvais jeu de mots. (rires)

Et vous ? Allez-vous vous impliquer dans les prochaines élections ?

Jason : Oh oui. J’essaie actuellement d’aligner tout ce que je fais avec les élections. J’essaie de me concentrer sur des problèmes dont je peux parler au niveau mondial. 2020 sera une année énorme avec tout ce qui se passe récemment. Les émeutes au Chili, le Brexit, les élections américaines ou ce qui s’est passé en Nouvelle-Zélande. Il se passe tellement de choses en ce moment. Je pense que le pendule doit basculer sur 2020 et il le fera. Et nous devrons bien sûr avoir des réponses politiques, intellectuelles, sociales et artistiques.

Avez-vous un plan stratégique ou quelque chose du genre ?

Jason : J’en ai un. Je travaille actuellement dessus. En ce moment, j’essaie de voir où nous nous situons politiquement. 2020 en Amérique sera tellement politique. Alors, comment nous situons-nous ? Comment encourageons-nous les gens à utiliser le pouvoir de leur voix ? Nous voulons les rendre confiants et représentés, à même d’utiliser leur pouvoir pour faire ce qu’ils veulent. Je ne dis pas qu’ils doivent voter de la même manière que moi. Je dis simplement qu’ils devraient voter.

Penses-tu que tu seras en mesure de sensibiliser les jeunes et de les encourager à voter ?

Jason : Je pense que nous avons une sorte d’influence. Je veux croire que nous avons une influence parce que nous proposons quelque chose d’authentique. Nous n’avons jamais commencé ce groupe avec une autre idée en tête que celle d’avoir une influence positive. C’est ce que nous avons accompli et, ce faisant, nous espérons pouvoir continuer à exercer une influence positive.

Puisque tu parles du début du groupe, peux-tu nous parler du rôle de Travis Barker ?

Jason : Je vendais des cookies. J’étais dans un autre groupe et nous étions inactifs à l’époque, alors je vendais des cookies dans ce magasin.

Des cookies végétaliens, c’est bien ça ?

Jason : Oui, des biscuits vegans, des putains de biscuits vegans. (rires) Sa fille est venue, elle connaissait mon groupe, mais je ne savais pas qui elle était. Elle est rentrée chez elle et a montré à Travis une vidéo du groupe. Il lui a dit : “ce type vend des cookies ?” Il est venu au magasin, nous avons discuté et nous nous sommes rendu compte que nous avions un ami commun : John Feldman. Il a dit qu’il voulait faire de la musique. Je ne savait pas si ça se ferait vraiment, il a tellement de projets. Une semaine après, j’ai reçu un appel et une semaine après, nous nous sommes réunis et nous avons commencé à écrire un EP. Travis, John et moi. J’ai appelé les mecs et nous avons créé le groupe. Travis et John sont comme les quatrième et cinquième membres du groupe. Nous produisons et écrivons tout ensemble. Ils nous ont beaucoup aidés et croient en ce que nous faisons. Nous sommes très chanceux d’avoir leur soutien. Nous nous assurons de tout mettre en œuvre pour honorer leur soutien.

Nous n’arrêtons pas de tourner et ce que nous faisons est honnête et authentique.

C’est une belle histoire.

Jason : C’est fou, vraiment fou.

Travis est quelqu’un qui a toujours semblé aimer croiser les genres. Il a joué avec Puff Daddy, plus récemment, il a fait un titre avec YUNGBLUD et Machine Gun Kelly.

Jason : Oui, il est tellement inspirant et si bon pour cette fusion des genres. Il est tellement doué pour garder sa vibe et la mettre dans un morceau, qu’il soit pop, hip hop, rock, punk ou électronique. Il est une telle source d’inspiration pour moi et les gars. Mes premiers amours étaient le hip hop et le R’n’B, puis je suis passé à la musique punk rock. Donc, le voir tout fusionner avec tant de goût montre simplement que cela peut être fait.

C’est aussi une nouvelle tendance. Des artistes comme Post Malone n’hésitent pas à mêler le rock, le rap ou le hip hop. Travis Scott s’habille avec des vêtements brandés heavy metal.

Jason : Oui, comme des T-shirts AC/DC et autres.

Il semble que la nouvelle génération se préoccupe moins des étiquettes que de ce qu’elles aiment.

Jason : Je suis d’accord et j’adore ça. Tant que tu honores et respectes les cultures que tu emploies dans ta musique et ton art. Je veux que les gens comprennent d’où ça vient et pourquoi nous l’utilisons. Si nous utilisons n’importe quel genre qui peut paraître en dehors du rock, c’est parce que nous le connaissons et nous l’aimons. Nous écoutons beaucoup de types de musique, je sais que beaucoup de gens le disent, mais nous adorons vraiment ça. Nous pouvons être à un concert de Massive Attack, puis au concert de The Attics ou à Bring Me ou Mos Def. Nous aimons vraiment les styles de musique que nous utilisons.

La première fois qu’on a écouté votre musique, on a pensé que c’était le mélange parfait entre Rage Against The Machine et Linkin Park. Puis, d’autres influences ont émergé comme Kanye West par exemple.

Jason : Merci, merci.

Les paroles sont très politiques et parfois assez dures. Cependant, dans certaines chansons comme “THE INNOCENT”, le refrain est vraiment cheesy.

Jason : Oui c’est mon truc ! J’ai grandi en aimant la musique pop. J’aime Michael Jackson, James Brown, Bruno Mars. J’aime les choses comme ça. Je veux juste trouver un moyen pour les gens de chanter quelque chose qui a du fond. Est-ce que cela a du sens ? Les gens aiment la musique pop et je ne suis pas en colère. Pour moi, la musique n’a pas de message. Si vous voulez juste vous laisser aller, vous échapper et danser, peu importe ce que dit le refrain. Mais moi, je veux accrocher les gens avec quelque chose qui se retient bien. Mais ensuite, quand ils se rendent compte de ce qu’ils ont chanté, ils voient que c’est un truc plus profond. C’est ce que j’essaie de faire avec ce projet. Trouver une mélodie accrocheuse et des paroles incitant les gens à dire : “Oh merde, c’est ça que j’ai chanté”.

Dans tes paroles, tu racontes ton expérience personnelle, c’est encore plus vrai avec “INGLEWOOD/3”. Peux-tu nous parler un peu du morceau ?

Jason : C’est la feuille de route de ma vie. J’essaie vraiment d’expliquer qui je suis, d’où je viens et pourquoi je fais ce que je fais. Ce n’est pas une arnaque ou un acte. C’est comme ça que j’ai grandi. Donc, quand vous écoutez cela, vous pouvez dire que les choses dont je parle viennent de mon expérience personnelle et de faits. Pas juste des trucs que je trouverais cool à dire.

C’est intéressant pour ton public. C’est un moyen de mieux te connaître, de comprendre ce que tu as vécu et tes références. Certaines personnalités marquantes, telles que Martin Luther King, Rodney King et Malcolm X, reviennent souvent. Que retires-tu de leurs vies et enseignements ?

Jason : Je ne suis pas aussi politique que Malcolm X mais je pense que les militants peuvent parfois changer les choses. Ensemble, Martin Luther King et Malcolm X ont inauguré cette nouvelle façon de comprendre l’égalité et la liberté de la culture noire. Quand je parle d’eux, je ne suis pas dans une adoration aveugle. Il y a des enseignements dans ce que dit Malcolm X auxquels je crois et d’autres dans lesquels je ne me reconnais pas. Chez Gandhi, il y a beaucoup de choses que j’aime et d’autres que je n’utilise pas dans ma vie.

Rodney King représente la frustration ressentie à l’époque par la culture noire à l’endroit d’où je viens. C’est très spécifique, mais d’une certaine manière, cela représente une idée plus globale. Il a déclenché les émeutes de 1992 à Los Angeles. Cet homme a été battu devant une caméra et les gens responsables ont été acquittés. C’est à peine croyable. Mais au-delà de tout cela il y avait de la frustration, de la relégation, de la subjugation, du racisme. Tous ces différents inconvénients structurels que la culture noire ressentait depuis si longtemps. Ce n’était qu’une question de temps avant que tout implose et ce moment est arrivé.

C’est comme en France, le prix du pétrole a augmenté, mais ce n’était pas seulement le prix du pétrole qui était en cause. C’étaient toutes les autres choses et ce président qui tend à droite. C’était toute la frustration des Français et le pétrole n’était qu’une étincelle. Rodney King était comme ça pour moi.

Quand on fait des recherches sur le groupe, l’une des premières choses qui ressort est le mot “biracial”. Pour nous Français, c’est quelque chose d’assez inhabituel.

Jason : Je le remarque effectivement. En Amérique, nous étiquetons les choses et les personnes. Tu es blanc, tu es noir, tu es ça. Nous avons commencé cette merde au XIXème siècle, littéralement pour pouvoir savoir qui était autorisé dans certaines zones. C’est ça qui a amené le racisme. Avant cela, il y avait le créole et toutes ces choses mixtes. Ensuite, nous avons commencé à créer la race et l’opposition nord / est. Les noirs ont commencé à contribuer à la création de richesse et ça a amené plus de racisme.

En Amérique, il peut être difficile de trouver son identité. Pour moi, il m’a fallu beaucoup de temps pour accepter ma “noirceur” tout en ayant une mère blanche. À cause des structures en Amérique, à cause des étiquettes, à cause de la race. Et ce n’est pas seulement en Amérique, mais dans d’autres parties du monde, comme en Grande-Bretagne. Nous partageons beaucoup de choses avec la Grande-Bretagne. Dans l’album, nous essayons de créer un espace libre pour que les gens acceptent leur identité. Je connais une française, un père noir, une mère blanche et elle me dit toujours : “Je ne suis que française”. C’est vraiment cool.

Le mot “race” est un terme que vous utilisez beaucoup aux États-Unis, mais en France ce n’est pas habituel. C’est un terme péjoratif pour nous et incorrect puisque techniquement nous appartenons tous à la race humaine. Cette distinction permanente en fonction de la couleur de peau est saisissante.

Jason : C’est très intéressant culturellement. En Amérique, nous avons la race et en plus, nous avons les religions. En ce moment c’est compliqué avec les musulmans. Il y a ensuite les Mexicains, qui étaient les occupants originels des zones dans lesquelles nous vivons aujourd’hui. Ils contribuent clairement à notre richesse et à notre économie, mais les gens ne le voient pas. Alors, ils créent une peur d’une autre culture ou d’une autre race. Ils disent qu’ils vont détruire notre Amérique. Mais l’Amérique a été construite par une variété de cultures et de personnes.

C’est aussi une culture construite sur la peur.

Jason : Exactement. C’est tragiquement fascinant, c’est certain.

Tu es également contre la gentrification.

Jason : Oui. Je suis moi-même un homme d’affaires. Ma femme et moi sommes des entrepreneurs. Je crois qu’il est possible d’être au service des communautés. Par exemple, je vis dans un quartier où vivent principalement des Mexicains et des Latinos. Ils viennent à un endroit appelé panaderia où tu peux acheter du pain, des pâtisseries et des bonbons mexicains pour environ deux dollars. Un autre lieu ouvre et propose une tranche de pain avec de l’avocat pour 9 dollars. Cela ne sert pas la communauté. Cela éloigne les gens de cette communauté par le biais d’un produit et il n’y a rien en échange. La gentrification est presque une forme de colonisation. C’est occuper un espace sans rien offrir à la population locale. Cela conduit à de la frustration et peut mener à de la violence. Ce sont des endroits où les gens construisent des familles et des communautés. Quand ces personnes sont déplacées tout explose. C’est comme ça que les cultures se perdent. Je pense qu’il faut permettre aux gens d’exister au sein de ce que vous créez.

Moi et ma femme, nous venons d’acheter deux appartements dans le quartier où nous vivons. Les personnes qui y habitaient payaient un loyer hors de prix. Nous avons baissé le loyer, ce qui n’arrive jamais à Los Angeles. Les gens m’ont dit : “Mais qu’est-ce que tu fais ?”. Mais le fait est que nous n’avons pas besoin de cet argent. Ça ne vaut pas le coup. Le quartier n’est pas assez beau, pas assez sécurisé et je le sais. Je gagne de l’argent, ça reste une transaction. Mais je ne gagne pas plus d’argent que je ne le devrais d’un point de vue éthique.

Donc, tu ne te contentes pas de faire passer des messages, tu agis et essaies de donner le bon exemple.

Jason : Oui, il le faut.

Il n’y aura pas de première partie ce soir et ce, en raison de problèmes d’éthique. Peux-tu nous en dire un peu plus sur ce choix ?

Jason : Dans cette industrie, on te dit qui prendre, où les mettre puis on fait des packages et on ne donne rien à ces groupes qui font l’ouverture. Cela provoque du stress, des ruptures au sein des groupes. C’est dégénératif, c’est problématique pour tous les groupes. Qui se fait de l’argent ? Pas les groupes ! Ce sont les promoteurs, l’agent, les labels. Les groupes doivent payer des frais d’agent, des frais de management, les frais de labels. Un groupe doit payer tout cet argent juste pour espérer que certaines personnes les remarquent et reviennent pour voir leur spectacle. C’est comme espérer et prier Dieu que tu puisses un jour devenir la vedette principale. Ce n’est pas bénéfique pour un groupe. Notre position c’est de traverser cette épreuve du feu seul, espérer que l’on s’en sorte sans avoir à traîner avec nous un groupe qui va gagner cinquante dollars par soir.

Nous devons savoir ce que nous valons en tant que tête d’affiche. Nous pourrons alors démontrer physiquement et statistiquement au promoteur que nous avons pu rassembler mille personnes en France ce soir-là. Ensuite, nous pouvons demander plus d’argent pour notre prochain cachet et en donner 40% au groupe qui fera notre première partie. Au lieu de leur donner cinquante euros, je veux pouvoir leur donner mille euros. Et nous pourrons le faire parce que le concert affiche complet avec seulement nous comme affiche. Donc, personne ne peut rien me dire. Je l’ai fait moi-même et je peux faire ce que je veux avec mon argent.

De plus, quand nous reviendrons avec un groupe, ce sera un événement. On a passé trois ans sans tourner avec un groupe, alors quand on prendra un groupe les gens vont se poser des questions. Pourquoi ce groupe ? Et j’espère qu’ils regarderont le groupe de plus près. Nous voulons sortir de ce cycle vicieux et je pense que ce sera bénéfique pour tous les groupes.

Nous avons vraiment traversé l’épreuve du feu et ça a été vraiment dur. Ce soir, c’est complet et c’est trop cool ! Alors maintenant, nous pouvons prendre un groupe avec nous et leur donner beaucoup d’argent.

Et pour terminer, nous sommes “RockUrLife”, alors qu’est-ce qui rock ta life ?

Jason : Ma femme et moi attendons un autre enfant. Ils rockent ma life.

Site web : fever333.com

Marion Dupont
Engagée dans la lutte contre le changement climatique le jour, passionnée de Rock et de Metal le soir !