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EVERY TIME I DIE (01/12/21)

English version

Cinq longues années se sont écoulées entre Low Teens (2016) et Radical, le nouvel album d’Every Time I Die. Écrit et enregistré avant la pandémie, les furieux de Buffalo ont dû prendre leur mal en patience pour nous offrir l’un des meilleurs disques metal de l’année et probablement l’une de leurs meilleures sorties. Durant tout ce temps, le chanteur Keith Buckley a traversé nombre d’épreuves qui ont façonné un homme nouveau, bien différent de celui qu’il était lors de l’écriture de ce nouvel album. Cette variation paradoxale donne lieue à des questionnements existentiels inédits et pourtant tellement éclairant sur notre quête perpétuelle d’identité et de bonheur. Nous avons eu la chance de nous entretenir avec Keith Buckley. Un mec aussi humble et accessible qu’intelligent.

Salut Keith, tout va bien pour toi ?

Keith Buckley (chant) : Salut ! Oui désolé, je suis actuellement en train de conduire et je n’arrivais pas à enlever le mute de mon téléphone. On va devoir faire cette interview pendant que je conduis, mais c’est cool ! Où te trouves-tu ?

A Paris.

Keith : Et qu’est-ce que tu penses de Paris ?

Comme presque tous les Parisiens, une relation haine-amour avec cette ville.

Keith : Je comprends tout à fait ce que tu veux dire en effet. J’adore Paris, cette ville me fascine, mais c’est parce que je suis un immense fan de littérature donc, ta ville est idoine pour cela. Est-ce que tu savais qu’il existe un terme précis en japonais, et uniquement pour les Japonais, décrivant le fait de revenir d’un voyage à Paris et de tomber en dépression parce que les Japonais ont pu être déçus par Paris ? Ils se font une telle image de Paris que parfois, la visite les déçoit tellement qu’ils tombent en dépression. C’est fou !

En effet, c’est fou ! D’ailleurs, tu entretiens le même genre de relation avec Buffalo, non ? Votre ville est vraiment un personnage central à votre musique.

Keith : Tellement ! J’ai d’ailleurs quitté Buffalo il y a quelques temps. C’est toujours la ville la plus proche de chez moi mais je n’y vis plus véritablement. C’est très intéressant d’ailleurs que tu décrives Buffalo comme un personnage de notre musique. Je crois d’ailleurs que si Buffalo était un personnage de fiction, sa meilleure amie serait le personnage que Paris représente pour toi ! Je pense qu’ils rencontreraient beaucoup de problème ensemble! (rires)

Que ressens-tu à propos du fait que la musique d’Every Time I Die suscite encore énormément d’enthousiasme et ramène toujours plus de nouveaux fans, après tant d’années et d’albums ?

Keith : Je suis évidemment extrêmement reconnaissant envers nos fans, anciens et nouveaux. Et je suis surtout très fier d’avoir une communauté très ouverte et inclusive. Nos fans sont très accueillants envers les nouveaux, tant que ce ne sont pas des gens haineux ou négatifs. Si ce que tu dis est vrai et que nous avons toujours plus de succès, le timing est parfait. Car je crois que nos fans sont vraiment disposés à agrandir notre communauté. Il ne s’agit pas juste d’entasser des centaines de personnes dans une pièce sans lien entre elles.

Votre festival annuel à Buffalo grandit d’année en année d’ailleurs. Vous apportez une attention particulière à programmer de jeunes groupes en devenir. Dans le but de les aider au maximum ?

Keith : Oui et non. Il ne s’agit pas de parier sur eux ou de leur mettre une quelconque pression du genre : “vous êtes le prochain très gros groupe à succès“. C’est juste que quand on a commencé ETID, durant nos cinq premières années je dirais, j’aurais aimé rencontrer des gens qui nous auraient traité de la même manière que nous traitons ces groupes, sans me jeter trop de fleurs. Juste le fait d’avoir des groupes confirmés qui s’intéressent à nous d’ailleurs ! Je ne me sens pas menacé par ces artistes, il ne s’agit pas de craindre d’être remplacé, au contraire. Je souhaite les aider de mieux que je peux à grandir, à développer leur propre univers car je suis persuadé qu’en ayant cette possibilité, le public les aimera d’autant plus.

Nous discutions avec Employed To Serve il y a peu et ils vous citaient comme inspiration majeure sur comment gérer sa carrière. Le fait d’être régulier, de continuer à sortir d’excellents albums après tant d’années et de se construire un socle solide.

Keith : C’est un honneur d’être cité comme exemple. Je ne les connais pas, j’irai checker leur musique ! D’extérieur je comprends qu’on puisse penser que notre carrière se construit méticuleusement, franchissant étape par étape. Mais sur le moment, nous faisions juste les choix qui nous semblaient être les bons. Je vais citer une personne que je déteste et que je ne nommerai pas, mais : “La vue d’ensemble cache les plus petits détails“.

Parlons de Radical maintenant. Dans la chanson “AWOL”, tu répètes “I owe myself an apology, I hope I mean it“. Cette ligne résume parfaitement le message de l’album sur la difficulté de se pardonner, de s’aimer soi-même et de prendre soin de soi.

Keith : Je sais que la majeure partie des gens pensent que prendre soin de soi est la dernière chose qui doit être dans nos têtes, surtout quand il s’agit de réparer nos erreurs. On pense qu’on doit d’abord retourner vers les personnes que l’on a blessées, s’excuser et réparer les liens qui existaient avant. On pense qu’alors, on sera légitime de pouvoir se pardonner nous-mêmes et d’avancer. Alors que c’est totalement l’inverse.

C’est bien plus difficile d’être bon avec les autres lorsque l’on n’est pas bon avec soi-même dans un premier temps.

Keith : (ndlr : grand soupir de soulagement) C’est exactement cela ! Tu es la première personne à le formuler de manière aussi claire ! C’est tellement évident pour moi, et cela me paraissait tellement évident que c’était le message de l’album que je ne ressentais pas le besoin de le préciser. Mais plus cela allait, plus je me disais qu’au final ce n’était apparemment pas aussi visible que cela ! Mais oui, tu dois prendre soin de toi en premier. Si tu penses que tu dois d’abord aller te faire pardonner auprès des gens, mais que cela se base sur une mauvaise idée de toi-même, ces relations ne pourront pas bien se dérouler.

Vous avez écrit et enregistré cet album bien avant sa sortie et tu étais alors dans un état d’esprit totalement différent que celui dans lequel tu es depuis sa sortie (ndlr : l’album a été enregistré avant la pandémie. Keith est sobre depuis un an et s’est séparé de sa femme, la mère de sa fille). Durant les différents confinements, as-tu eu envie de réécrire ou ré-enregistrer certaines chansons. Notamment par peur de devoir faire face à la personne que tu étais avant ?

Keith : Oui et non. Je savais en écrivant cet album qu’il arriverait un moment où je devrais affronter cette personne que je ne voulais plus être. Mais je voulais le faire, je voulais me challenger. Idéalement j’aurais aimé régler mes problèmes d’abord, mais j’avais la mission d’écrire cet album. Je me suis donc mis au défi d’écrire un disque sur la personne que je m’apprêtais à devenir. Par ce biais, cela rend les chansons intemporelles quelque part.

Ces chansons te servent de référence, de base pour construire.

Keith : Exactement. Je savais qu’en écrivant ces paroles, j’allais devoir faire preuve de rigueur pour ne pas fuir ma volonté de changer. Dans notre monde actuel, surtout aux États-Unis, je crois que nous avons besoin d’établir une liste précise des choses auxquelles nous accordons le plus de valeur. Notre pays glisse de plus en plus vers le fascisme, et tout ce que nous aimons va nous être retiré. Et personne ne viendra nous sauver cette fois. Il faut se tenir prêt à défendre ce que nous aimons.

C’est drôle que tu parles de cela. Nous vivons actuellement en France presque la même chose que vous avez pu traverser avec Trump. Alors que les Français pensaient tous ne jamais être confrontés à une situation similaire à la vôtre il y a quelques années.

Keith : Oh merde je ne savais pas, bonne chance mec ! Mais tu sais, fondamentalement les supporters de Trump, ou de ce genre de personnage, sont des gens qui ne font confiance à rien ni personne. Ils ne croient ni en la science, ni le gouvernement, ni la police. Et je les comprends, c’est difficile de croire en ces institutions de nos jours. Mais quand tu perds ta confiance en ces piliers, tu commences à croire aux conspirations, aux complots. Tu commences à n’avoir que foi en ta religion ou en de mauvaises choses pour la société. C’est pour cela qu’il est important de d’abord qui nous sommes fondamentalement afin de pouvoir identifier en quoi nous pouvons placer notre confiance.

Tu as dit il y a quelques temps que tu comprenais quelque part les conspirationnistes car ne pas croire le gouvernement était quelque chose de normal. Mais que les dérives complotistes résultaient d’une mauvaise utilisation de leur raisonnement. C’est très intéressant d’apporter cette nuance qui a tendance à aller contre les envies de diviser et d’opposer toujours plus les gens.

Keith : Mais cet album n’est pas fait pour diviser les gens. J’espère que l’on ne croira jamais que je souhaite diviser les gens. Cet album veut pousser les gens à prendre conscience de qui ils sont vraiment. Attention, je ne suis pas en train de dire aux auditeurs qui ils devraient être ou ce qu’ils devraient faire. Seulement de prendre le temps de se rendre compte de qui ils sont et de tenter d’agir en conséquence.

Pour en revenir aux complotistes, QAnon et tous ces trucs, je maintiens qu’en effet ils font un mauvais usage de leur cerveau pour établir toutes ces théories farfelues. Mais je pense surtout que ces gens détestent les élites, notamment parce qu’ils ne font pas partie de l’élite. Et donc, ils doivent sentir le besoin d’agir comme s’ils étaient plus intelligents. La vérité est qu’ils ont désespérément envie de faire partie de la plus haute classe sociale, à tel point qu’ils remettent la science en cause. Pourquoi ne pas oublier cette histoire de compétition, d’ascension et de tous travailler dans le même sens, pour le bien commun ?

Est-ce que tu penses, en ce sens, que votre nouvel album s’adresse à tout le monde ? Cela demande une certaine maturité de faire face à soi-même, quelque chose qui vient avec l’âge aussi.

Keith : En effet, je pense que plus tu prends de l’âge, plus tu te rapproches du message de cet album, c’est indéniable. Mais en même temps, les plus jeunes auront peut-être une connexion émotionnelle plus intense avec le message, qui leur permettra de l’entendre d’une certaine manière. C’est d’ailleurs pour cette sensibilité que ces personnes s’intéressent à la musique au départ ! Leur sensibilité et leur ouverture d’esprit les amènent à se construire une identité via la musique notamment. Quand tu es jeune, tu penses que toutes les chansons que tu écoutes te sont destinées donc cela te donne la possibilité de devenir tout ce que tu veux ! Mon message est que si tu as quinze ou seize ans et que c’est ton premier concert d’Every Time I Die, peut-être que tu es un activiste politique en devenir mais que tu ne le sais pas encore. Peut-être aussi que tu es un politicien en devenir car tu es une tête de con, et tu ne le sais pas encore ! (rires)

Revenons quelques minutes à Buffalo : dans la vidéo de “Post-Boredom”, l’annonce radio décrit Every Time I Die comme les héros de votre ville mais vous n’êtes même pas sur la page Wikipedia de Buffalo !

Keith : QUOI ?! On n’y est pas ?! Quelle honte ! (rires) Cela me fait trop rire que tu sois allé vérifier cela. Mais cela ne m’étonne pas. Cela prend énormément de temps d’être reconnu à Buffalo. Mais je crois savoir pourquoi : si tu deviens plus grand que Buffalo, Buffalo va te rejeter !


On a le même rapport avec Paris.

Keith : Mais vous êtes Paris ! Vous avez des tonnes et des tonnes de références culturelles prestigieuses, une histoire incroyable. Donc c’est une chose de vouloir se croire plus grand que Paris, c’en est une toute autre que vouloir séduire Buffalo et de se faire rejeter encore et encore ! (rires)

En France, la seule chose que l’on connait de Buffalo, c’est Every Time I Die.

Keith : Mais oui ! Comment Buffalo ose alors se comparer à nous ! (rires) Je crois que nous obtiendrons la reconnaissance de notre ville seulement le jour où nous splitterons. Alors les gens se souviendront qu’il y a eu ce groupe avec un peu de succès et alors, ils se scandaliseront de pourquoi nous ne sommes plus là !

Pour finir, notre site s’appelle RockUrLife, du coup, qu’est ce qui rock ta vie, Keith ?

Keith : Laisse-moi réfléchir. Qu’est-ce que j’écoute en ce moment qui est assez vénère. Le nouvel EP de Knocked Lose ! Le nouvel album de SeeYouSpaceCowboys ! J’ai pas trop d’idées, mais je vais dire ces deux-là !

© Michael Watson

Site web : everytimeidie.net

Nathan Le Solliec
LE MONDE OU RIEN