Interviews

ENTER SHIKARI (02/12/17)

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Avant un concert intense à l’Elysée Montmartre, vaste salle pourtant bien remplie, RockUrLife a rencontré le chanteur, parolier et musicien Rou Reynolds afin d’échanger au sujet de “The Spark”, cinquième album de son groupe Enter Shikari, et les expériences ayant influencé sa composition.

Enter Shikari a toujours été un groupe hybride, repoussant les limites. C’est pourquoi “The Spark“, à ce stade de votre carrière, est certainement l’album le plus polarisant que vous ayez sorti : alors qu’il reste fidèle à vos racines punk et électroniques, il inclue également de nouvelles influences telles que la new wave ou la pop, qui pourraient déstabiliser plus d’un fan. De même, lyriquement parlant, si le message politique auquel vous êtes généralement associés est toujours présent, il l’est cette fois-ci de manière beaucoup moins explicite. Pourrais-tu expliquer ce changement ?

Rou Reynolds (chant) : Oui. Je voulais écrire un album qui pourrait offrir une perspective différente. Quelque chose, je l’espère, d’un peu plus profond. On a définitivement besoin de musique explicitement engagée, de personnes pour dire : “Fuck Donald Trump!”. Mais je pense que l’on est déjà passé par là. Je voulais donc offrir quelque chose de nouveau. Dans cet album, j’essaie d’allier le personnel au politique. Mon but était de faire un disque qui n’avait pas peur de montrer la vulnérabilité humaine, car c’est notre état naturel. Un être humain doit être nourri et choyé pendant quelques années avant qu’il puisse s’occuper de lui-même. La raison pour laquelle je pense qu’il y a des personnes comme Donald Trump dans ce monde est qu’il a été éduqué à ne pas pouvoir être vulnérable. Il se devait d’être “un homme”. Il a été en école militaire, il a sa fierté, sa colère et a ignoré toutes les autres formes d’émotions, en étant d’autant plus influencé par le fait d’être un homme. Comme tu as dit, ce qu’on a essayé de faire était politique, mais pas aussi explicite qu’auparavant. On voulait faire réaliser aux gens qu’être vulnérable est légitime. Et si un mouvement se créé autour de cet état d’esprit, il y aura moins de personnes comme Donald Trump. (rires) Ca, c’est le grand objectif. On y joue juste un petit rôle.

Tu as souligné l’importance de la vulnérabilité dans la vie quotidienne mais également dans la musique que tu souhaites écrire. Dans notre culture, il est encore assez honteux de parler de santé mentale, qui est traitée différemment de la santé physique. A quel point la notoriété et la vie dans un groupe ont pu influencer ta santé mentale ?

Rou : Elle en a été grandement impactée. De plusieurs manières, ça a m’a été d’une grande aide, parce que j’étais beaucoup plus timide et introverti avant, et je suppose qu’être dans un groupe m’a poussé à devenir plus sociable. Mais j’ai aussi beaucoup appris de moi-même au travers de l’épuisement, à force de tourner sans répit. Beaucoup de choses se sont passées entre 2015 et 2016 et ont par conséquent influencé les paroles de “The Spark”. Je me suis découvert d’une manière qui me serait probablement restée inconnue si je n’avais pas été dans Enter Shikari. Mais de l’épuisement découle le manque de sommeil, puis l’anxiété augmente, et la dépression s’invite là-dedans, comme toute une pile de soucis qui s’accumule. Je pense que si j’avais eu un style de vie plus paisible, je n’aurais pas eu à affronter tout ça, et en même temps je suis heureux d’avoir du passer par tous ces obstacles parce que je me sens beaucoup plus fort maintenant. Etre dans ce groupe est à double-tranchant.

Quelle est donc ta composition préférée sur cet album ?

Rou : Je ne sais pas, ça change vraiment tout le temps. (rires) Pour le moment, je dirais “Undercover Agents”. A chaque fois qu’on la joue sur scène, elle me remplit de bonheur. Pendant le dernier refrain où tout le monde fait son solo de guitare, je danse dans tous les sens sur scène. J’aime vraiment jouer cette chanson.

 

 

Parlons maintenant d’un phénomène auquel il est difficile d’échapper : les réseaux sociaux. Même après avoir quitté la scène, un artiste n’est jamais vraiment seul. Par son statut et sa notoriété, la demande à son égard reste constante, plus spécifiquement sur les réseaux sociaux où commentaires et messages fusent sans arrêt. En quoi cette forme de pression a pu influencé ta manière d’utiliser les réseaux sociaux en tant qu’artiste ?

Rou : Je pense que tristement, être un artiste de nos jours c’est au moins 50% de management média. Il faut donner du contenu, garder le rythme et rester connecté. Dans un sens, c’est une bonne chose parce que ça te permet d’échanger avec plus de gens, même si ça reste quelque peu superficiel puisque ça n’est qu’au travers d’un écran. Je pense quand même qu’il est bon d’abattre le piédestal et de pouvoir être accessible. Ca devient un peu frustrant quand toute l’attention semble se concentrer sur l’apparence de quelqu’un ou à quel point son Instagram est cool, plutôt que sur ce qu’il créé. Mais c’est l’époque à laquelle on vit je suppose. La chanson que j’ai mentionné auparavant, “Undercover Agents”, aborde le sujet des réseaux sociaux : cacher des parties de toi-même, les diverses formes de pression que tu ressens lorsque que tu dois donner de ta personne en ligne et tenter de garder le rythme et le contact avec tout le monde. Il y a des études qui ont d’ailleurs été faites à ce sujet et qui ont démontré comment les réseaux sociaux augmentent nettement la dépression, parce que soudainement tu vois les meilleures facettes de la vie de tout le monde.

…Et par définition tu commences à te comparer à tout le monde aussi.

Rou :  Exactement. Ca devient très difficile à gérer. Il y a beaucoup d’aspects négatifs, et en même temps c’est dur d’imaginer que notre utilisation pourrait changer. Les réseaux sociaux se sont implantés en nous.

Ton groupe est aussi réputé pour ses prestations puissantes et passionnées. On lisait une interview d’un groupe de Londres qui expliquait que pour eux, l’idée de performance sur scène n’existe pas sans confrontation avec le public. Es-tu d’accord avec cette affirmation ?

Rou : C’est très intéressant. Il y a dix ans, j’aurais instinctivement répondu oui. Je pense que la manière dont on vivait se reflétait dans la manière dont on performait. On voulait toujours repousser les limites. Surtout lorsque l’on a commencé, on avait l’habitude d’être détesté. Quand on a commencé il y a treize ou quatorze ans, les puristes de genres étaient bien plus présents que maintenant : il y avait des gens qui n’écoutaient que du metal ou de la dance, et le reste c’était de la merde. Et puis on est arrivé, et tout le monde s’est dit : “Qu’est-ce que c’est que ce truc ?”. Pour nous, les concerts ont toujours été dans la confrontation. Etre dans un groupe punk, c’est vouloir constamment briser les règles, mettre les gens au défi et les encourager à utiliser leurs cerveaux. Une grande partie de la musique mainstream n’est que du bruit de fond. Tu peux siffler en rythme, mais ça ne te fait pas réfléchir ou ne suscite pas tant d’émotions. Le vrai art doit te faire penser, te faire ressentir. On peut donc dire que je suis d’accord avec cette affirmation.

 

 

Comme tu l’as dis, le défi a toujours été le moteur d’Enter Shikari. Y’a t-il d’autres groupes que tu considères stimulants et novateurs ?

Rou : Laisse-moi ouvrir mon Spotify. (rires) C’est difficile de penser immédiatement à un groupe parce que je suis ouvert à tellement de genres musicaux que la notion de challenge est tout de suite plus floue pour moi. (recherche sur son téléphone)

C’est assez surprenant de voir que nommer un groupe novateur est tâche difficile pour toi qui vient d’Angleterre, dont la scène musicale se voit animée par un flow perpétuel de nouvelles formations cherchant à détourner les codes. Mais en même temps, ce qu’on trouve novateur ne l’est peut-être pas pour toi, et inversement.

R : Oui. Je pense que HMLTD en est l’exemple parfait, parce que leur image est très différente de tout ce que tu peux voir à l’heure actuelle. Il y a un regain d’intérêt certain pour l’esthétique des années 80 en ce moment, et ils s’en inspirent grandement. Mais j’essaie de penser à un autre groupe qui pourrait direct me faire dire : “wow, ça c’est différent”. C’est bizarre, parce qu’en tournée, la musique devient un outil pour nous : par exemple, on écoute de la dance très dynamique avant de monter sur scène pour se préparer, et quand on en sort, on écoute de la musique classique paisible. Je ne sais pas pourquoi mon Spotify ne se charge pas là. (rires) Quand tu quitteras la pièce, c’est sûrement là que j’aurais retrouvé mon réseau !

 

 

Ce n’est pas grave ! Dernière question avant de conclure cette rencontre. Comme à chaque interview chaque année, la question traditionnelle : qu’est-ce qui rock ta life ?

Rou : Oh, je me rappelle de cette question ! J’aime bien le yoga.

C’est une réponse très saine.

Rou : …Le gin aussi.

Pas si sain que ça. (rires)

Rou : (rires) Ca s’appelle garder l’équilibre ! Jouer sur scène me fait plaisir aussi. J’ai l’impression que l’on n’a pas joué depuis un long moment, parce que faire cet album nous a pris six mois. Ca fait du bien de refaire des concerts.

Super, merci d’avoir pris le temps !

Rou : Merci à vous de me recevoir une nouvelle fois !

 

 

Site web : entershikari.com