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CROWN (07/04/21)

Une signature chez Pelagic Records c’est synonyme de qualité, quoiqu’on en dise. Donc quand le duo français de CROWN y sort son nouvel album “The End Of All Things”, cela attire notre attention. On découvre alors un projet profond, intègre et hautement émotionnel. La discussion qui a eu lieu entre Stéphane, David et RockUrLife était sous le signe de la bonne humeur. Les deux comparses sont aussi prolixes qu’intéressants et honnêtes. Alors après avoir attentivement lue cette interview, on ouvre sa plateforme de streaming préférée, et on va écouter le tout nouvel album de CROWN. Et vous nous remercierez plus tard, rien ne presse !

Salut les gars ! Félicitations pour ce nouvel album qui est une vraie réussite. Il y a une évolution assez évidente de votre musique depuis votre dernier disque.

David : Alors de mon côté je ne suis pas membre de CROWN depuis ses débuts. CROWN c’est Stéphane, moi je ne suis intervenu qu’en temps que producteur et mixeur du précédent album (“Natron”, 2016). Avec mon regard plus extérieur sur le projet, je peux dire que déjà sur le précédent album, il y avait des éléments annonciateurs de ce que “The End Of All Things” serait.

Stéphane : Je ne peux pas dire que c’était une évolution préméditée mais elle s’est faite naturellement quand j’ai commencé à écrire les nouvelles chansons. J’ai juste laissé sortir ce que je voulais exprimer à ce moment-là, sans me poser de question.

On a été étonné de ne pas voir Puscifer (side project de Maynard, chanteur de Tool/A Perfect Circle) figurer dans vos influences. On trouve que ce nouvel album côtoie le même genre d’ambiance.

David : Tu es le premier à nous comparer à eux !

Stéphane : C’est vrai que ce n’est pas le groupe qui me vient le plus spontanément quand je pense aux influences de CROWN, mais en tant qu’énorme fan d’A Perfect Circle, de Tool et donc, de Puscifer, inconsciemment je dois engranger un magma d’informations qui peuvent ressortir. En tout cas, c’est une belle comparaison, cela fait plaisir.

David : La maison de disque nous a donné une telle liberté sur la création de cet album qu’au final, on ne s’est jamais demandé quel album référence allait nous servir de ligne de mire. On a juste laissé notre créativité vagabonder sans réfléchir. On s’est peut-être demandé à un moment si les fans du groupe allaient continuer à aimer la musique, mais jusqu’à présent, tous les retours sont positifs. On est bluffés par les réactions !

Stéphane : Il y a aussi l’effet promo dans tout cela Ceux qui vendent l’album peuvent utiliser des groupes un peu références pour aiguiller les gens qui ne connaissent pas notre musique. Donc oui, nous comparer à tel ou tel groupe hyper connu, c’est aussi pour vendre l’album aux fans des groupes cités.

Cette démarche vous rattacher à d’autres groupes peut parfois être réductrice. Vous n’avez pas peur d’être enfermés dans un carcan ?

David : Je vais répondre un peu à côté mais c’est compliqué de mesurer à quel point la musique des autres groupes nous influence. On nous parle souvent de Depeche Mode, et c’est un groupe que j’adore. Mais quand je compose de la musique pour CROWN, à un aucun moment ce groupe ne me vient en tête. Mais je ne peux pas non plus identifier à quel point ça joue sur mon ADN de musicien le fait que j’ai énormément écouté Depeche Mode. Tout dépend de la sincérité de ta démarche.

Au même titre qu’on ne peut pas vraiment identifier comment les expériences que l’on vit nous influencent pendant la création artistique.

David : C’est une question à poser à des philosophes, ou à des psys ! (rires) Mais c’est ce qui est beau. Si on pouvait tout quantifier, tout analyser, on n’aurait plus aucune surprise alors que c’est ce qui est excitant dans la création. C’est ce qui permet d’évaluer l’impact émotionnel que cela à sur nous. Sans t’y attendre, parfois tu écoutes un truc et tu trouves cela mortel, mais sans vraiment identifier à quoi c’est relié. Si on le savait à l’avance, ce serait comme perdre les préliminaires de l’acte amoureux. On perdrait ce moment où tout est possible, où tout est lumineux.

©Jenn Brachet

Bien que votre musique soit très dense, sombre et contient beaucoup de claviers et d’éléments électroniques, on trouve le son vraiment organique. Votre musique en devient presque palpable.

David : Tu as tout à fait raison. Je pense toujours à “The Dark Side Of The Moon” des Pink Floyd où, à l’époque, mettre une tonne de reverb sur la batterie était à la mode. Et eux sont allés à l’opposée de cela, avec un son de batterie très sec. Pour cet album, je me suis demandé si, plutôt que de suivre les courants actuels, je cherchais plutôt à obtenir un son qui se rapproche presque de ce que Dr. Dre faisait avec Eminem par exemple ! Et c’est comme cela qu’on arrive au son très simple et brutal que tu décris. Quant aux effets utilisés, j’ai tenté de les placer pas forcément là où on les attendait. Pas par snobisme hein ! Mais je me disais que si on partait dans la direction la plus logique, l’album manquerait probablement de danger. Et j’avais envie de garder une certaine idée de danger.

Stéphane : Ce parti pris accentue la différence de son par rapport aux machines aussi. Il fallait marquer une rupture avec certains aspects de notre musique qui sont plutôt froids. L’utilisation de certains sons peut presque même sembler vintage. Mais on voulait pousser à fond la dualité de notre musique en offrant un pendant plus chaleureux et organique à des éléments plus froids.

David : Mais tout cela a été fait le plus spontanément possible. Évidemment, il y a une part de réflexion, mais on n’a pas forcément chercher très longtemps avant de trouver cette formule. Il y a une grande part d’instinct. On ne voulait pas que cela sonne variétés quoi.

Toi Stéphane, est-ce que tu as voulu t’inscrire dans cette démarche très brut dans ton écriture ?

Stéphane : La difficulté a été de donner des intentions perceptibles qui allaient avec la mélancolie de la musique. M’en aller du chant hurlé que je pratiquais sur les autres albums c’était découvrir un autre monde. Et quelque part, c’est tout aussi brut de chanter plutôt que de hurler. Tu te sens nu. Et puis, c’est plus difficile de trouver la bonne intensité quand tu as envie que sur tel passage, il y ait une véritable intention.

David : Il n’était pas non plus question de sous-mixer les voix non plus. Quand j’ai entendu les premières productions qui étaient mixées par Stéphane, je trouvais exagéré sa manière de mettre les voix au second plan ! Pour moi la voix, c’est un truc qui doit amener quelque chose d’essentiel. Cela représente un très large pourcentage de ce qui compose l’album. Donc ce n’est absolument pas une emmerde, c’est plutôt quelque chose qu’il faut absolument réussir à mettre en valeur. Et donc, pour en revenir à ce côté “simple” que tu évoques, cela va de paire avec les voix. Les mélodies que Stéphane écrit son belles, sont plus sophistiquées qu’il ne le pense d’ailleurs. Dès que j’ai entendu les mélodies vocales, je me suis dit que c’est là où l’enjeu de l’album se jouait.

Stéphane : C’est là où David et moi sommes complémentaires. Je ne vois pas la musique de cette manière là du coup l’intervention de David m’a grandement aidé à prendre conscience de l’importance du chant et de place qu’il devait prendre. Quand je faisais les mixs de CROWN moi-même, je voyais la voix comme un instrument au milieu des autres. Que je sous-mixais pour masquer les imperfections.

Vous avez participé à la version online du Roadburn (festival belge ayant lieu chaque année, habituellement en présence de public). Qu’est-ce que cela représente pour vous et comment avez-vous abordé la chose ?

Stéphane : C’est vrai que c’est une institution pour tout le monde ce festival. Les artistes, les agents, les labels… tout le monde respecte et se sent validé par le Roadburn. La proposition artistique y est super éclectique, on voit même des DJ set ! (rires) C’est un véritable honneur pour nous d’y participer. L’esthétique et la programmation sont toujours axés sur la découverte. On a donc filmé six morceaux, dont quatre ont été diffusés. On a essayé d’avoir un rendu esthétique un peu propre, un peu plus élaboré qu’une captation standard. On a filmé cela dans une salle de concert à Colmar, mais nous n’étions pas sur scène, nous jouions en cercle. La démarche était de faire quelque chose de plus clippé, avec des caméras de cinéma notamment. On a un peu fait cela à l’arrache puisqu’on n’a pu répéter que durant une journée avec Nicolas, le batteur qui a enregistré l’album, et Marc qui est aux guitares en live. Et tout de suite la sauce a pris, les chansons ont pris une nouvelle dimension.

David : La musique est devenue presque plus simple, plus honnête. Esthétiquement c’est peut-être un peu moins élaboré mais le résultat est plus direct. C’est au moins aussi intéressant que les versions de l’album. Après c’est une musique simple à jouer. Tu pourrais facilement écrire une méthode pour apprendre à jouer les chansons de CROWN ! (rires) Cela me permet de jouer plusieurs choses en même temps, parfois même deux parties de guitare complètement distinctes l’une de l’autre.

©Jenn Brachet

La performance live doit aussi représenter un challenge.

Stéphane : Absolument. J’ai joué dans Y Front pendant des années et quand tu joues tous les soirs exactement le même set, disons le clairement, tu peux te faire chier ! J’aime qu’un groupe ne soit pas toujours bon. Parfois certains sets, tout se passe super et tu es meilleur que d’habitude, mais le coup d’après, ça peut être moins bon, et c’est pas grave ! Je préfère cela à des groupes qui ne prennent pas de risques en jouant des bandes pour reproduire le plus fidèlement possible ce qu’ils ont fait en studio, quitte à ce que les musiciens qui sont sur scène ne servent plus à grand-chose.

En France, on a le sentiment qu’on a les ressources pour faire naître d’excellentes formations “de niche” mais que le rock et le metal plus “grand public” ne savent pas garder une certaine qualité tout en proposant une formule accessible.

David : On est presque sur un sujet de BAC là ! (rires)

Stéphane : Oui tu as raison. J’ai longtemps tourné avec Alcest qui est longtemps resté confidentiel en France quand à l’étranger ils remplissaient de grosses salles. Les promoteurs semblaient frileux à l’idée de miser sur eux et cela a pris du temps avant que le groupe ne devienne ce qu’il est aujourd’hui. Comme Gojira au final. En France, il faut persévérer car on n’a pas la même culture que les Allemands par exemple.

David : En France, on a plus une culture de cinéma que de musique, c’est sûr. Nous on est Alsaciens. Notre blues à nous, c’est la musette ! (rires)

Notre site s’appelle “RockUrLife”, qu’est ce qui rock votre life ?

David : La passion et le jusqu’au-boutisme dans tout ce qu’on fait. Que ce soit la musique, passer de bons moments avec nos amis. Je déteste l’expression “c’est sympa”. Il y a des choses qui sont sympas, mais des mecs qui bossent pendant des mois sur un disque, c’est pas “sympa” ! Ce qui rock ma life, c’est de ne pas être tiède, vivons pour de vrai !

Stéphane : Je partage le même ressenti. Il faut vivre les choses jusqu’au bout car on ne sait pas de quoi demain sera fait. Il ne faut pas se donner de limite, quitte à ce soit un peu chaotique, mais tout s’imbrique à un moment.

©Jenn Brachet

Site web : facebook.com/CROWNBAND

Nathan Le Solliec
LE MONDE OU RIEN