Interviews

CAGE THE ELEPHANT (25/01/17)

English version

Peu de temps avant le concert sold out à l’Elysee Montmartre, RockUrLife a eu l’opportunité de retrouver Matt Shultz, frontman de Cage The Elephant, pour un entretien tout en fatigue et douceur, contrastant avec l’énergie explosive affichée plus tard sur scène.

L’année passée, on a perdu quelques artistes de légende. Certaines de ces disparitions t’ont-elles particulièrement marqué ?

Matt Shultz (chant) : Quand j’ai entendu que David Bowie était décédé, il était deux heures du matin. Mon frère m’a appelé, et j’ai pleuré. C’était très triste. J’ai toujours été un énorme fan de Bowie et grandement inspiré par lui; pas nécessairement par son approche stylistique, mais par les idéologies autour de son approche. Cette habilité à se renouveler constamment, tout en maintenant la vérité au sein de ce qu’il créait. Et puis, il y avait Leonard Cohen. Il m’inspire beaucoup à l’heure actuelle. Ces deux disparitions m’ont grandement affecté.

Cela rappelle une phrase que David Bowie avait dite lors d’une interview : “Etre artiste, c’est être dysfonctionnel”. Es-tu d’accord ?

Matt : Entièrement. Nous sommes tous dysfonctionnels, la question est juste de le reconnaître.

Passons dorénavant à un sujet quelque peu plus gai. Tu as commencé à réaliser les clips du groupe récemment. Avais-tu déjà fait ça auparavant ?

Matt : J’ai fait une vidéo pour des amis il y a quelques années et ils avaient beaucoup apprécié. Ca n’était rien d’incroyable, c’était un budget de 5000$. (rires) Juste pour le fun. Et puis aussi, j’avais perdu l’envie de réaliser au travers des autres. Pendant des années, j’écrivais les traitements, que je confiais au réalisateur en espérant qu’il le traduirait de la manière que j’imaginais, mais ça n’a jamais vraiment été le cas. Alors, on a simplement décidé de reprendre la main et de le faire nous-mêmes.

As-tu étudié quoique ce soit à ce sujet ?

Matt : Je regarde simplement beaucoup de films, ce qui me permet de croiser diverses références par la suite. La réalisation me paraissait juste très naturelle. On verra ce qu’il en sera !

Vous avez sorti le clip de “Cold Cold Cold” assez récemment, qu’on a trouvé puissant, mais aussi difficile à regarder pour les personnes qui se sentent concernées par les problèmes d’ordre mentaux. Comment voulais-tu que l’audience se sente et réagisse face à ce clip ?

Matt : J’espérais raconter une histoire qui illustrerait l’effort fourni par les êtres humains pour cacher leur souffrance. Je pense que la fragilité, la faiblesse d’une personne sont ses plus beaux attributs. Pourtant, c’est ce que l’on tente de détruire constamment. On fait culpabiliser les gens neuroatypiques, en oubliant que les grands blessés sont les plus beaux. C’est marrant car d’un côté, on semble oublier que c’est le système qui nous inflige ça, et de l’autre, on s’y plaît et on se donne entièrement à ça.

Est-ce dont ce qui est reflété au travers de l’histoire dans le clip ? On se rappelle du personnage principal à qui l’on retire son cœur et qui porte ensuite un masque à la fin, devenant une pâle copie de tous les autres.

Matt : C’est exactement ça. Ca revient à dire “Préfèrerais-tu connaitre la vérité et en souffrir plus ou moins, ou être happé par un fantasme et vivre un bonheur superficiel ?”.

 

 

Vrai. Abordons un nouveau sujet parce que là, on ne sait pas vraiment quoi répondre.

Matt : (rires)

Comment expliques-tu le fait que la musique, et l’art de manière générale, soit si significative pour tant de personnes ?

Matt : Parce que je pense que c’est quelque chose que l’on possède tous. Ca fait tilt automatiquement car c’est dans notre nature, ça fait partie de nos caractéristiques.

Tu es dans Cage The Elephant depuis longtemps maintenant. Lorsque l’on est dans un groupe, on est généralement constamment entouré par des personnes qui nous sont très proches, on créé, on enregistre, on part en tournée, etc. Ca doit sembler difficile de suivre la cadence parfois, d’être encore certain que c’est encore ce que l’on veut faire de notre vie, que les sacrifices en valent réellement la peine. T’es-tu déjà senti piégé, perdu dans tout ça ?

Matt : Je considère que nous sommes tous esclave de quelque chose. Il faut trouver des compromis. Il y a des moments où tout ça me parait très contre-nature et je veux m’en éloigner, et d’autres fois où je suis très content et reconnaissant d’être là où je suis. C’est une question de perspective.

Pourquoi t’accroches-tu à ça quoiqu’il arrive ? Tu pourrais tourner le dos et tout quitter, mais il y a sûrement quelque chose de plus grand qui t’en empêche.

Matt : Si je devais quitter la musique, je me tournerais vers d’autres formes d’art. Dans tous les cas, j’irais vers un domaine qui rassemble des caractéristiques similaires à celles de la musique. J’aime beaucoup la réalisation cependant, je peux me projeter là-dedans, parce que c’est un autre bon moyen pour moi de m’exprimer.

Le truc avec la musique, c’est que tu peux la combiner naturellement avec d’autres pratiques artistiques. Les clips, par exemple.

Matt : Oui, c’est génial. Ma femme a co-réalisé nos derniers clips avec moi. Elle a plus l’étoffe d’une réalisatrice que moi. C’est bien de l’avoir.

A-elle de l’expérience dans la réalisation ?

Matt : Juste une passion pour ça depuis jeune et elle a de grandes connaissances sur le sujet, ce qui aide.

On va te faire un compliment. On trouve que tu es un très bon performer. Tu es très divertissant sur scène, à savoir comment captiver l’attention et l’énergie du public, et on pense que tu ne le fais même pas exprès. Quand il est question d’autres artistes ou groupes que tu vas voir en concert, qu’est-ce qui est divertissant pour toi ?

Matt : Merci. Pour moi, ça signifie voir quelque chose d’enivrant, qui me transforme, me fait oublier que j’assiste à une performance et me permet de me perdre dans le moment présent. Quand je suis sur scène, dès que je commence à trop penser, j’essaie de me rappeler que ça ne me concerne pas moi, mais l’audience. Il faut amener leurs esprits jusqu’à un endroit où ils sont en mesure d’atteindre ce que l’on appelle la suspension consentie de l’incrédulité : ce moment où tu arrêtes de penser que tu regardes une performance et que tu commences à croire en l’histoire racontée. C’est ça que je recherche chez les grands interprètes. Des personnes capables de commander un auditoire sans avoir à la supplier de le faire. C’est difficile. Certains interprètes semblent ne jamais toucher le sol, ils flottent sur scène.

Peux-tu nommer quelques uns de ces interprètes ?

Matt : Iggy Pop, LCD Soundsystem, Mick Jagger aussi évidemment. Son expérience est ce que je vois en lui à chaque fois, il est incroyable à regarder. J’ai été subjugué par Florence + The Machine, c’est une frontwoman du tonnerre. Elle sait vraiment comment diriger un public. Kendrick Lamar est plutôt bon lui aussi.

On est bon. Merci pour tes réponses !

Matt : OK. Merci à toi !

Site web : cagetheelephant.com