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ALCEST (22/09/16)

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Terminé le rock lumineux de “Shelter”, Alcest fait ses valises et se rend au pays du soleil levant avec “Kodama”. Si la spiritualité n’a pas quitté le projet du Français, la musique elle, semble revenir à l’essence même de ce qui a fait l’identité d’Alcest. Rencontre avec Neige, le maître à penser du groupe.

Si Slowdive avait été une influence évidente pour “Shelter”, avec “Kodama“, il est plus difficile de deviner quelles ont été tes influences, tant les atmosphères et les structures sont variées. Qu’en penses-tu ?

Neige : Pour “Shelter”, j’étais dans une période où j’écoutais énormément de shoegaze (Slowdive et les groupes du label 4AD comme Cocteau Twins, Dead Can Dance) et j’ai voulu me faire plaisir avec un album très léger et solaire. Pour “Kodama”, on voulait vraiment faire quelque chose d’inclassable voire de complètement alien, d’où la thématique japonaise. Au niveau des influences, cet album va dans tous les sens : Smashing Pumpkins, Tool que j’ai découvert il y a deux ou trois ans, Grimes époque “Visions”, The Cure et Dinosaur Jr. pour la production qui est plus brute.

Pour “Kodama”, tu as expliqué ouvertement avoir été inspiré par l’univers de Hayao Miyazaki et notamment de son film “Princesse Mononoké”. Y-a-t-il d’autres formes d’arts qui t’ont inspiré ? Notamment la littérature japonaise, très poétique et souvent tournée vers la spiritualité.

Neige : Je connais très peu de choses en littérature japonaise, j’ai lu des haïkus à droite à gauche et c’est effectivement plein de sagesse. Mais ça me donne envie de m’y intéresser plus. “Princesse Mononoké” a été le point de départ de l’album mais ce n’est pas un album sur le film, ça a juste été un déclencheur qui m’a donné l’envie d’aller dans cette direction-là.

En parlant du film, qu’est-ce qui t’as interpellé chez les Kodamas (petites créatures du film) car ils ne sont que secondaires dans le film ?

Neige : En fait, les Kodamas sont avant tout des êtres du folklore japonais avant d’être dans le film donc ce n’est pas forcément la forme qu’ils ont dans le film qui m’intéresse mais ce qu’ils évoquent c’est-à-dire l’esprit de l’arbre. Je trouve que ça fait bien le lien avec nos anciens thèmes. Au-delà de ça, j’adore le mot “Kodama”, que je trouve simple et très facile à prononcer. Puis c’est un mot japonais.

Comment vous est venue l’idée de collaborer avec Fortifem pour la pochette du nouvel album ?

Neige : Ce sont des amis de Paris et ça fait des années qu’on se connait donc je suis leur travail depuis longtemps. J’ai toujours été fan de ce qu’ils faisaient car ils proposent un mélange de choses très anciennes (gravures, symbolisme) avec une approche vachement plus pop et colorée. Ils se démarquent de tous les mouvements un peu à la mode pour aller beaucoup plus loin.

Cette empreinte japonaise qui constitue le fil directeur du nouvel album, n’a-t-elle pas, en fin de compte, toujours fait partie implicitement de l’univers d’Alcest, dans le sens où la spiritualité voire même l’esthétique (univers épuré et sobre) du groupe est assez proche d’un pays comme le Japon ?

Neige : C’est assez marrant que tu aies noté ça. J’ai toujours été intéressé par le Japon, depuis tout petit. J’adorais les mangas et toute cette culture japonaise, comme beaucoup de gens de ma génération et ça a donc été la porte d’entrée dans cet univers. Donc oui, je pense qu’il y a toujours eu quelque part cette influence dans Alcest, que ce soit dans les visuels ou dans la musique. On a fait deux tournées au Japon et sur la dernière, on a fait des concerts acoustiques dans des temples japonais et quand on a joué la chanson “Sur L’Océan Couleur De Fer”, la pianiste et la violoniste de Vampillia nous ont rejoints. Et la pianiste du groupe a adapté la fin de la chanson et là je me suis rendu compte que les notes, transposées au piano, sonnaient très japonaises. J’ai fait le même constat sur la fin de “Délivrance”, juste avant le final, il y a un arpège de guitare qui sonne également très japonais. Je pense donc que ça a toujours été là.

 

La clôture de l’album, “Onyx”, est un peu déroutante. Peux-tu m’en dire un peu plus sur ce mystérieux titre ?

Neige : Pour ce morceau, on voulait une ambiance très crépusculaire, presque post-apocalyptique, un peu comme une vision d’une ville sur laquelle la nature aurait repris le dessus. On voulait donner l’impression d’être au centre de la terre. Onyx est une pierre noire. On avait Opale sur “Shelter” qui est une pierre blanche. C’est également pour insister sur la différence de ton des deux albums. Enfin, pour l’anecdote, ce sont des pistes du premier riff de “Je Suis D’Ailleurs” que l’on a enregistré sur bandes, puis ralenti et passé à l’envers !

Le retour des voix hurlées dans Alcest est quelque chose qui s’est fait spontanément lorsque tu as composé les titres ? Comment l’expliques-tu ?

Neige : C’est exactement ça. L’album étant plus punchy et plus énervé que “Shelter”, du coup, quand la musique l’exige, il faut que ça aille plus loin que le chant clair. Ce qui est injuste quelque part, c’est que je n’ai aucune facilité à chanter en voix claire, je dois beaucoup travailler. Alors qu’une voix black, il n’y a rien de plus simple à faire pour moi, je suis très à l’aise avec ça. Des fois, c’est frustrant car j’ai l’impression que les gens préfèrent cette voix black à la voix claire.

Mais en fin de compte, c’est parce que les gens ont peur du changement et qu’Alcest a toujours été une histoire de changement et d’évolution, non ?

Neige : On ne peut pas faire autrement. Je ne me suis jamais dit que je voulais par exemple, proposer un “Ecailles De Lune” bis même si à l’époque l’album avait très bien marché. A chaque fois, on veut partir dans une direction, pas opposée mais presque en fait. J’en ai besoin pour rester inspiré et comme tu dis, il y a toujours des gens à qui ça ne plait pas.

Vous allez bientôt partir en tournée avec Mono qui sont justement japonais. Il y a une très grosse scène post/post rock/screamo (Lite, Toe, Envy) qui a du mal à percer en Europe. Ecoutes-tu d’autres groupes de ce pays ?

Neige : A Tokyo, on a joué avec Envy. Je connais pas beaucoup de groupes japonais sinon : Mono (qui a toujours été assez connu en Europe et aux Etats-Unis), Envy et Merzbow, un mec qui fait du noise. C’est le pape de ce style, il a une tonne de pédales sur scène et il ne fait vraiment que du bruit. Vampillia aussi est un des meilleurs groupes avec lequel on a pu jouer. Ils sont incroyables.

On pourrait justement se poser la question de savoir si ces groupes sont “présentables” pour l’Europe ?

Neige : Pour Vampillia, ils sont un peu fous. Par exemple, le chanteur monte sur un escabeau et balance des parapluies dans l’audience. C’est n’importe quoi et je ne sais pas si les gens en Europe sont prêts pour ça. En tout cas, les groupes japonais et les japonais en général, quand ils se lâchent, ça peut aller très loin.

 

Un an pile avant les attentats de Novembre, Alcest ouvrait pour Opeth au Bataclan. Comment as-tu vécu ces événements, toi qui as déjà joué là-bas ?

Neige : Je n’avais pas percuté sur le moment à quel point ça m’avait touché mais je me suis rendu compte dans toutes les dernières interviews que j’ai faites que j’avais envie d’en parler à chaque fois. C’est vraiment étrange. Je pense d’ailleurs que ça a même eu une influence dans le son de l’album. J’habite à quelques minutes à pieds du Bataclan et de Charlie Hebdo. Par chance, je n’étais pas chez moi ce soir-là, je faisais la fête chez des amis, ailleurs à Paris. Et d’un coup, quelqu’un nous a avertis qu’il s’était passé quelque chose et à partir de là, on a passé le reste de la soirée sur nos téléphones à s’assurer que nos proches allaient bien. On était super choqué. C’était l’horreur de chez l’horreur. En plus, c’est un petit milieu à Paris, tout le monde connait tout le monde, au moins de vue. Je pense qu’on se souviendra tous de cette soirée, toute notre vie.

Lors de votre dernière tournée US, vous avez choisi Emma Ruth. Comment vous est venu ce choix et quel souvenir gardez-vous de cette tournée avec elle ? Même si vos styles sont différents, vous avez une approche commune dans votre façon d’aborder la musique.

Neige : A la base, j’étais fan de Marriages et j’adorais ce qu’elle faisait en solo aussi. On a donc pensé à elle. Avec Marriages, ils n’étaient pas disponibles mais elle en solo était disponible. Ça s’est fait à la dernière minute parce qu’on avait une autre première partie prévue à la base mais ils ont annulé à la dernière minute et le choix d’Emma Ruth Rundle a été une excellente idée. En tant que personne, elle est entière, passionnée, à fleur de peau. C’est une écorchée vive. Quand elle est sur scène, elle pleure et vit sa passion à fond. Même si elle est un peu dans sa bulle, on a beaucoup de points communs et on a vécu de bons moments ensemble. C’est vraiment une amie maintenant.

Il y a encore quelques années, tu étais impliqué dans de nombreux side projects (Lantlôs, Old Silver Key mais aussi Glaciation). Toutes ces collaborations sont terminées pour toi. Cela ne te manque pas ? Ou as-tu d’autres projets musicaux ?

Neige : En fait, j’aime bien faire des apparitions par ci par là. J’ai fait la batterie pour Sylvaine par exemple. Mais au niveau de la composition, j’ai du mal à le faire pour d’autres groupes parce qu’après je me dis que je pourrais le garder pour Alcest. (rires)

Et ça te permet aussi de te concentrer à 100% sur Alcest, non ?

Neige : Oui c’est ça. Puis si j’avais du temps illimité, qu’est-ce que j’aimerais faire un projet coldwave, électro ou peu importe. Mais malheureusement je n’ai pas assez de temps. On tourne énormément, on bosse tous les jours, on ne prend pas de vacances. Je viens de recevoir le calendrier pour l’année et on va être pris tout le temps, on va tourner sur plusieurs continents !

Terminons avec notre question traditionnelle : notre média s’appelle “RockUrLife” : qu’est-ce qui rock ta life ?

Neige : On est tous des amis de longue date avant de jouer ensemble et on aime tous bien manger. Quand on est en tournée, notre tourisme se fait par la bouffe et les visites, c’est ce qui nous permet de garder l’énergie. (rires) Au fait, on fait une release party pour “Kodama” le 30 septembre à l’UFO !

 

 

Site web : alcest-music.com