Interviews

TWO DOOR CINEMA CLUB (16/09/16)

English version

Alors que leur troisième album, “Gameshow”, sort le 14 octobre, nous avons rencontré les trois Irlandais de Two Door Cinema Club à Paris, trois semaines après leur concert à Rock En Seine. Nous avons discuté de la pause qu’ils ont décidé de prendre en 2013, du nouvel album, de la surreprésentation de la publicité dans notre vie quotidienne et d’un fruit en particulier, la grenade.

Comment s’est passé Rock En Seine ?

Alex Trimble (chant/guitare) : C’était super ! L’un des meilleurs festivals de l’été. On avait déjà joué pendant trois mois dans des festivals et c’était le dernier week-end donc on avait pas mal d’entraînement et puis il y a moins de pression quand c’est le dernier. On prend toujours beaucoup de plaisir en France et il y avait beaucoup plus de gens qui sont venus que ce qu’on pensait, c’était vraiment génial. Je me suis bien éclaté.

Vous avez joué deux de vos nouvelles chansons : “Are We Ready? (Wreck)” et “Bad Decisions”, que vous aviez sorties quelques semaines avant, pourquoi avez-vous choisi de jouer celles-ci en particulier ? Pensez-vous qu’elles reflètent le mieux l’essence même de votre album ?

Kevin Baird (basse/chant/claviers) : Ce sont les seules qu’on connaît. (rires)

Alex : (rires) On n’a pas répété les autres en fait. Mais étant donné que “Are We Ready?” était le premier single et “Bad Decisions” le second, c’était logique de jouer celles-ci en premier. Mais honnêtement, c’est le label qui a choisi ces deux single. On aime toutes les chansons de l’album donc on s’en fichait un peu de savoir laquelle sortirait en premier. La semaine prochaine on va en répétition et on apprend à jouer tout le reste. (rires) Donc la prochaine fois qu’on vient on en aura plus.

“Gameshow” semble être plus disco. Qu’est-ce qui vous a inspirés pour cet album ?

Alex : Tellement de choses. On a écouté du disco : Madonna, les Bee Gees, Prince. Mais on a aussi écouté des genres de musique très différents; on a écouté un peu de Fela Kuti, Ennio Morricone n’arrêtait pas de revenir aussi. Qui d’autre est-ce qu’on écoutait dans le studio ?

Sam Halliday (guitare/chant) : J Dilla !

Alex :  J Dilla, oui. Beaucoup de hip hop aussi, un peu de Beyoncé. Un peu de tout mais surtout du disco parce qu’on a toujours fait de la musique dansante ou au moins de la musique sur laquelle on peut danser. Ce qui nous a énormément influencés était le disco et on adore les synthétiseurs donc c’était toujours plus facile d’amener un peu de disco dans notre son mais on écoutait quelque chose de différent tous les jours. Jacknife Lee, le producteur, a l’une des plus grandes collections de vinyles parmi les gens que je connais, ils recouvrent carrément les murs et il a un tourne-disques en plein milieu de la pièce donc soit il décrochait un disque, soit l’un de nous se levait et trouvait un vinyle donc chaque jour était différent. C’est ce qui rend les choses passionnantes. On écoutait des choses tellement différentes de ce qu’on fait, comme Ennio Morricone. Et d’un coup on écoutait quelque chose et on était là “Oh oui ! Faisons un son comme celui-là !”, c’était tous les jours comme ça.

Et qu’avez-vous ressenti quand vous avez appris que Bowie et Prince étaient morts ? Qu’est ce qu’ils représentaient pour vous ?

Alex : J’adore leur musique. Ils ont tous les deux eu de si longues carrières et ils se réinventaient constamment; ils n’avaient jamais peur d’essayer quelque chose de différent et pour moi, c’est une énorme source d’inspiration parce que certains groupes, certains artistes trouvent un son qui marche et ils s’y cantonnent donc beaucoup de leurs albums se ressemblent. Nous, ça ne nous intéresse pas, ça nous apporte rien. On veut faire quelque chose de différent. J’imagine que ça demande du courage aussi et Bowie et Prince avaient tellement de courage ! Ils n’avaient pas peur. On a envie d’essayer d’accomplir ce genre de chose.

Vous viviez dans trois villes différentes lorsque vous avez écrit cet album. Ces villes et la musique qui était jouée dans ces villes vous ont-elles influencés d’une certaine manière ?

Alex : Moi, pas vraiment.

Tu vivais à Portland ?

Alex : J’habitais à Portland et en face de chez moi, il y avait un super disquaire. Je passais ma vie là-bas, j’achetais plein de musiques différents. Et de temps en temps j’écoute de la musique de Portland à la radio mais je ne vais jamais voir des groupes locaux là-bas. Enfin, j’y suis presque jamais maintenant. Mais je ne me suis jamais investi dans la scène de Portland j’imagine.

Et toi Sam, tu vivais à Londres, allais-tu à des concerts ?

Sam : Juste des amis en fait. Je ne sais pas, je n’ai rien fait de bien passionnant lorsque j’étais là-bas.

Et comment avez-vous fait pour créer de nouvelles choses alors que vous étiez séparés les uns des autres ?

Sam : On s’envoyait nos idées par mail et on s’est tous équipé pour pouvoir écrire de la musique depuis chez nous. Je pense que c’était une bonne chose parce que ça nous a permis de développer nos idées séparément et d’en être vraiment content avant de les partager avec les autres. Et je pense que c’est ce qui a permis de diversifier nos morceaux. C’était aussi bien d’être dans des fuseaux horaires différents parce qu’on travaillait sur nos chansons 24h/24h et 7 jours/7 avant. Là, je travaillais à Londres et lorsque j’envoyais la musique aux autres, ils se réveillaient, travaillaient sur la musique pendant la journée et ensuite je me réveillais et ainsi de suite. C’était cool !

 

 

La pause était-elle vitale pour chacun d’entre vous, pour le groupe et pour votre musique ?

Alex : Absolument. Je ne pense pas qu’on aurait fait un autre disque si on n’avait pas fait cette pause. A la fin, c’était trop difficile. On n’avait pas arrêté pendant presque six ans et on était tout simplement épuisé. On ne prenait plus aucun plaisir et tu ne peux pas être productif ou créatif si tu n’es pas dans cet état d’esprit donc on avait besoin de s’échapper pour quelque temps. Donc oui, c’est clair que c’était absolument nécessaire.

Et qu’avez fait pendant deux ans, loin les uns des autres, avez-vous fait un peu de musique tout seul ?

Kevin : Oui je pense qu’on a tous continué à jouer de la musique, on le faisait simplement sans but défini autre que pour le plaisir, ce qui était agréable. C’est un luxe qu’on a eu et qu’on a apprécié pendant un moment. Et on a aussi essayé d’être normal, de rester posé à un endroit pour un moment, de passer du temps avec nos petites copines, nos amis, notre famille. Des choses normales en fait. Je pense que ce genre de choses nous manquait vraiment.  

Sam : Oui, c’est agréable d’avoir une minute pour se créer une sorte de vie en dehors de celle qu’on a en tant que membre du groupe. Je pense que c’est quelque chose qui nous a manqué à nous tous. Être autant en tournée a fait que le groupe a fini par nous définir en tant que personne mais on est tous très différents donc on ne pouvait pas être vraiment et entièrement nous-mêmes. Alors que pendant la pause, on a en quelque sorte créé notre propre identité, en dehors du groupe. Cette année on ne va pas faire autant de tournées qu’avant afin qu’on puisse avoir quelques semaines chez nous, quelques semaines sur la route, comme ça, ce sera plus équilibré.

Pensez-vous que cela a permis d’apporter plus de choses personnelles sur l’album ?

Alex : Oui, je veux dire, on avait enfin des trucs personnels. Avant, on avait l’impression de ne rien avoir de vraiment personnel parce que la seule chose que nous connaissions c’était le groupe, c’était toute notre vie. Soit on vivait ensemble, soit on tournait ensemble ou au studio ensemble donc tout était défini par le groupe. Cette fois, on a développé des vies à nous. Donc, encore une fois, c’est comme ça qu’on a développé ce nouveau son parce qu’on travaillait chacun de notre côté au lieu de toujours essayer de travailler ensemble au même moment. C’est un album bien plus personnel c’est évident.

Vous étiez sur le label Kitsuné pour vos deux premiers albums et maintenant vous êtes chez Warner, un gros label. Qu’est-ce que ça a changé pour vous ?  

Kevin : On est toujours très amis avec Kitsuné et on se donne des nouvelles. Il y avait une sorte de transition en cours. En termes de business, des gens se faisaient acheter, ça bougeait, notre contrat se terminait alors on a décidé d’essayer quelque chose de différent. Heureusement on a trouvé un accord avec Parlophone et Warner, ici en France. Souvent, les gens disent que les gros labels vous obligent à faire des choses et que le but, c’est d’être le plus rentable possible. C’est notre première expérience avec un gros label et on n’a pas eu à être confronté à ça. Tout le monde a été très gentil et compréhensif quant au genre de groupe qu’on a créé et ce qu’on est vraiment. D’une certaine manière, ils nous ont libérés, on est libres de faire ce que l’on veut, du moins créativement.

Sam : Oui, je pense que le seul jour où quelqu’un du label est venu au studio et a essayé de nous suggérer un truc, Jacknife (ndlr: le producteur) leur a dit : “non”. (rires)

Donc vous êtes aussi libres qu’avant ?

Alex : Créativement, oui, concernant la musique, rien n’a changé. Mais la façon dont tout le reste fonctionne est vraiment différente. Il y a tellement plus de gens impliqués dans ce projet maintenant ! Quand on a signé chez Kitsuné, il y avait peut-être quatre personnes au bureau, à la fin il y en avait beaucoup plus mais on s’occupait de presque tout : on organisait la sortie des singles, les clips vidéos, l’artwork, on faisait tout directement. On est toujours impliqués dans tout mais maintenant il y a des équipes, Warner a un département vidéo, un département design, un département promotion. Donc on a dû se faire à l’idée de travailler avec une structure bien plus grande et c’est vrai que de passer d’un endroit où on contrôlait tout à un endroit ou on devait déléguer le travail, c’était difficile au début, pour moi du moins. Mais on s’habitue. Du moment que l’on peut contrôler sa musique comme on le fait maintenant, c’est tout ce qui compte.

L’album semble être plus personnel, plus intime. De quoi parle-t-il ?

Alex : Chaque chanson est différente et pour moi, les paroles se réfèrent à beaucoup de choses. Certaines sont à propos de la pause et de se faire à la vie réelle, découvrir le monde en dehors du groupe. Je suis devenu fasciné par la vie moderne et à quel point cela a changé depuis notre enfance comme pour Internet. Le monde est devenu un endroit très confus. Une grande partie de l’album est à propos de ça. Et aussi, à propos de mon propre parcours entre le moment où je ne savais pas quoi faire de moi-même et le moment où je me suis remis à la musique.

 

 

En ce qui concerne “Are We Ready? (Wreck)”, les paroles et le clip rétro qui représente plusieurs publicités semblent être une critique de notre société de consommation. Est-ce aussi une critique de notre façon de consommer de la musique ?

Alex : Hum… Non.

On a de la musique sur nos téléphones, on l’écoute puis on l’oublie et on en télécharge une autre.

Alex : Sans aucun doute, ça a changé mais j’étais plus agacé par cela avant que je ne le suis maintenant. Je l’accepte, on ne peut pas arrêter le progrès, les gens voulaient que ce soit comme ça et en fin de compte, tu écoutes ce que veulent les gens. Tu ne peux pas leur dire quoi faire. Surtout avec Internet. Non, c’est plus à propos de la consommation excessive et de la publicité. Internet est devenu un terrain propice à cela. Tu ne peux pas aller sur un site internet sans avoir une bannière en haut ou une vidéo qui se met en route ou sans qu’on te fasse de la pub pour quelque chose. Cela procure un sentiment désagréable de savoir que tu ne peux pas y échapper.

A la station de métro Clapham Common à Londres, des artistes du collectif ont remplacé les affiches publicitaires par des photos de chats, pour deux semaines.  

Kevin : J’ai vu ça ! (ndlr: s’adressant à Alex et Sam) Vous savez, dans les escalators, tous les trente centimètres, il y a une pub et ils ont mis des affiches avec plusieurs chats mignons, collées sur chaque panneau d’affichage.

On dirait que ça énerve beaucoup de gens, et pas seulement vous.

Alex : Ce qui est effrayant, c’est que beaucoup de gens ne réalisent pas cela. Parce qu’on y est habitué, si on va sur un site internet, c’est normal d’avoir une bannière. De nos jours, c’est normal qu’une entreprise soit impliquée dans un événement, un festival, une émission télévisée, il y a toujours une grande entreprise pour investir de l’argent et en échange, se faire de la pub. Mais heureusement, il y a des gens qui essaient d’attirer l’attention sur ce problème. Parce que c’est comme ça que le monde fonctionne, la pub c’est bien mais quand ça commence à envahir la vie de tous les jours, c’est mauvais.

Kevin : C’est aussi assez effrayant parce que quand tu passes à côté d’une affiche sur un mur, peut-être que tu ne penses pas tout de suite “c’est une pub !” mais quelque part tu sais ce que c’est. Tu aurais pu faire confiance à de vieilles institutions comme le “New York Times”, le “Guardian” mais tout est passé sur Internet et je suis sûr que tu sais, en étant dans l’industrie du journalisme, que tu es obligé de lire les histoires mises en avant avec une loupe pour pouvoir voir “histoire dont la promotion est assurée par telle entreprise audiovisuelle”.

Alex : Contenu sponsorisé.

Kevin : Contenu sponsorisé, oui. Tu fais confiance à ces institutions pour te donner les informations et d’un coup ça devient Buzzfeed et ils veulent absolument trouver le moyen de t’attirer rapidement et te garder le plus longtemps possible. Il y a aussi des entreprises qui paient pour être dans les nouvelles. Cela installe une sorte de futur complètement fou et effrayant où l’information est simplement ce que quelqu’un dit qu’elle doit être, et certaines personnes pensent que ça existe déjà avec un certain vieil australien chauve. (rires) (ndlr : Il fait ici référence à Rupert Murdoch, le magnat des médias)

Et pourquoi avez-vous choisi ce sujet en particulier ? Vouliez-vous que vos auditeurs prennent conscience du problème ?

Alex : A l’époque, ce n’était pas forcément pour prendre position bien que ça soit super qu’on puisse utiliser notre musique et notre plateforme pour attirer l’attention des gens sur certaines choses. Mais c’était plus quelque chose que j’avais remarqué et qui m’avait intéressé et donc j’ai écrit dessus. Rien de plus. J’étais juste en train de découvrir certaines choses sur le monde que je n’avais jamais remarquées avant. J’essayais de comprendre des trucs et c’est quelque chose que j’ai trouvé inquiétant. C’est un bon moyen d’exprimer une opinion ou de faire passer un message surtout parce qu’on a de jeunes fans qui ont grandi avec Internet et qui n’ont pas forcément conscience de tout ça. Nous, on le voit, c’est sous notre nez parce que quand on était enfants, Internet n’existait pas donc, dans un sens, on sait quand les choses ne sont pas légitimes. Mais beaucoup d’autres enfants n’ont pas la même opportunité. Ca a toujours été là, donc c’est une super opportunité mais on n’essaie pas d’inciter les enfants à arrêter d’acheter des choses, à arrêter de traîner sur Internet. C’est juste pour qu’ils soient plus attentifs à ce qui se passe et qu’ils se rendent compte de cela pour ensuite choisir d’être impliqué ou non.

Dernière question : parce que notre site s’appelle “RockUrLife”, qu’est ce qui rock votre life ?

Kevin : “Pomegranate” rock ma life.

Qu’est-ce que c’est ?

Kevin : “Pomegranate”, un fruit avec des graines, un gros fruit rouge. (ndlr : Il montre une photo sur son téléphone). Comment appelez-vous cela en français ? “Pomegranate” ? (rires)

Une grenade !

Alex : Voilà, je le savais !

Kevin : Quoi ? Grenate ? Grenade ? (rires)

Sam : C’est de là que le nom grenade vient parce que ça a la même forme que le fruit.

Et toi, Sam ?

Sam : J’adore jouer au football en ce moment parce qu’on est parti tout l’été jouer dans des festivals tous les week-ends et j’ai l’habitude de faire une partie de foot avec mes amis les samedi matins mais je les ai tous manquées ces trois derniers mois parce que j’étais à des festivals. Et j’y ai joué ces deux dernières semaines donc c’est ce qui rock mon monde en ce moment.

Et toi, Alex ?

Alex : C’est une question tellement difficile. Je ne sais pas.

Kevin : Il n’y a pas de mauvaise réponse. (rires)

Alex : Il n’y a pas de mauvaise réponse. On est allé au Tate Modern la semaine dernière pour faire un peu de promo et on a pu voir la nouvelle aile du musée qui est incroyable. Je suis allé voir la collection de Louise Bourgeois qui est l’une de mes artistes préférés et j’ai vu des oeuvres que je n’avais jamais vu en vrai auparavant comme l’énorme araignée en métal. Son art me fait tomber à la renverse, à chaque fois. Ca rock un peu ma life. Ca rock mon monde, rock ma journée. Ca rock tout. (rires)

 

 

Site web : twodoorcinemaclub.com