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GOJIRA (20/04/16)

Gojira est retour en 2016 avec un nouvel album qui ne devrait laisser personne indifférent : “Magma”, disponible à partir du 17 juin. A cette occasion, RockUrLife a rencontré un Joseph Duplantier franc, détendu et souriant pour parler de son dernier opus sans langue de bois.

En 2016, qui est Gojira en matière d’évolution ?

Joseph Duplantier (chant/guitare) : En 2016, c’est un Gojira adulte qui sort un album. Je pense que cet album représente quelque part, d’une certaine façon, un passage à l’âge adulte.

Quatre années d’attente pour les fans, car le dernier album “L’Enfant Sauvage” est sorti en 2012. Dans quelles conditions a t-il été écrit et réalisé ?

Joseph : Je dirais que, quand l’album est sorti, il y a eu deux années assez intenses de tournée déjà. Les fans ont pu nous voir en tournée, donc ils n’attendent pas depuis quatre ans, ils ont eu de quoi patienter. (rires) Mais c’est vrai qu’on prend le temps, je ne sais pas comment font les groupes pour sortir un album un an et demi après, ou deux ans après. Ça veut dire qu’ils tournent, tournent, tournent et hop ils entrent en studio et enregistrent. Mais quand est-ce qu’ils composent ?

Pendant la tournée comme ils le disent souvent.

Joseph : Nous on compose en tournée aussi, mais on a des shows qui sont extrêmement physiques et qui demandent beaucoup de préparation et de repos donc c’est très difficile pour nous de cumuler les deux. De plus, on a besoin d’introspection, de prendre le temps et de méditer les morceaux. Il y a quelque chose qui s’appelle la gestation, quand tu dois assimiler quelque chose, quand tu passes une grande étape dans ta vie, une étape de gestation : tu ne sais pas trop ce qu’il se passe. C’est quelque chose d’interne. Et donc pour nous, l’album c’était ça : il y a eu une longue période de gestation. Moi, j’ai déménagé à New York quand on faisait “L’Enfant Sauvage”, donc c’était il y a six ans. J’étais sur un nouveau territoire, nouvelles expériences, j’ai retrouvé des bases, j’ai construit un studio d’enregistrement. Donc, on a une vie qui est assez riche à côté, j’ai des enfants maintenant aussi. Donc les quatre ans sont passés en cinq minutes pour nous. (rires) Et puis, quand on s’est mis à composer, on était sur la route, on était en tournée avec Slayer. On était dans le bus avec un laptop, des speakers et on composait nos premiers riffs comme ça. Ensuite, on a fait une session d’écriture à New York, on est deux à vivre à New York maintenant, et les deux autres nous ont rejoint là-bas. On a répété pendant des semaines ensuite, ils sont repartis, ensuite j’ai bossé tout seul. Puis Mario m’a rejoint, c’étaient plein d’étapes comme ça. J’en oublie sûrement, tellement il y a eu d’étapes différentes. Donc voilà c’était très riche.

 

 

Le 13 avril dernier, vous avez dévoilé une vidéo teaser pour faire patienter les fans avec un titre : “Magma“. Pourquoi avoir choisi celui-ci ?

Joseph : C’est vrai qu’on n’a pas été très clair, on a été un peu cryptique. C’était une volonté de notre part, on n’a pas expliqué : voilà notre nouvel album. Donc notre nouvel album s’appelle “Magma”. Le petit extrait qu’on a mis quand on a annoncé l’album ce n’était pas la chanson “Magma”, donc c’était un peu flouté mais c’était une volonté.

Certains se demandent s’il y a derrière ce titre une sorte d’hommage au groupe français Magma ? Est-ce vrai ou cela n’a rien à voir ?

Joseph : Non pas du tout, mais ça ne nous dérange pas. Mais non, il n’y a pas de rapport. Le magma existait avant le groupe. (rires) C’est surtout ici en France, parce qu’ils sont français. Effectivement c’est un groupe présent depuis les années 60, ce n’est pas rien, c’est une institution ce groupe-là. Mais je n’ai jamais vraiment écouté Magma, je n’ai jamais été fan du groupe mais à chaque fois que j’ai entendu, je me suis dit “whaou”, c’est impressionnant quand même. C’est un groupe impressionnant et ça ne nous dérange pas q’’il y ait cet amalgame mais ce n’était pas ça l’idée. L’idée c’était vraiment le symbole du magma, de la fusion : c’est le centre de la Terre, c’est le soleil donc c’est la vie. C’est l’explosion aussi, car le magma, à un moment ça explose comme une éjaculation. (rires) C’est vrai que c’est une image qui peut paraître un peu dégueulasse mais d’un côté c’est la vie.

Qu’est-ce que vous évoquez en particulier à travers cet album ?

Joseph : Depuis le début, ça fait à peu près vingt ans, que les thèmes des chansons sont essentiellement une quête spirituelle. Beaucoup de personnes pensent que l’on est un groupe écolo, mais c’est réduire le truc parce qu’on n’est pas juste ” il ne faut pas jeter des papiers par terre etc”, c’est pas ça le truc. C’est plutôt “mais qu’est-ce qu’on fout là ?” ou “qui suis-je ?” et “où vais-je ?”. C’est plutôt ça le truc. Et puis même si je ne peux pas répondre à cette question “qui suis-je ?” etc je vais essayer de répondre à d’autres questions : “qu’est-ce que je peux faire dans le temps qui m’est imparti dans cette vie ?”, “quelle sorte d’impact vais-je avoir sur la matière autour de moi ?”, “quelle sorte d’impact et d’interactions vais-je avoir avec les gens ?”, “quelle sorte d’impact vais-je avoir sur mes enfants ?”, et ce sont plutôt ces questions-là que je me pose en tant qu’auteur. Puis, c’est de la poésie au final. Ce sont des mots mis ensemble. Il y a une restriction de temps donc je ne peux pas trop m’étaler dans les morceaux donc il y a vraiment un caractère poétique. Et donc cet album est dans la lignée de tout ce qu’on a fait depuis le début où il y a une espèce d’interrogation existentielle mais également une affirmation. On est feu, on est lumière.

Toujours pas de titres en français ?

Joseph : Il n’y a pas de titres en français, mais il y a un peu de français dans cet album ! Dans le dernier morceau “Low Lands”, dans la première phrase, il y a du français.

 

 

On a eu un coup de coeur pour la chanson “Stranded”, est-ce qu’il y a une autre chanson qui sort du lot selon toi ?

Joseph : Alors “Stranded” justement ça va être notre premier single (ndlr : le clip vidéo n’était pas encore en ligne lors de cette interview), c’est un peu le tube effectivement. Déjà, c’est la première fois qu’on balance un refrain digne de ce nom parce que dans le format de la musique, un refrain ce n’est pas juste une mélodie mais c’est aussi des paroles donc c’est un truc qui va revenir plusieurs fois dans un morceau, c’est un moment fort, et ça c’est un truc qu’on n’a jamais eu vraiment. On a toujours fait une musique très progressive, qui change, c’est un voyage dans le temps. Dans nos derniers albums, il y a certaines choses qui peuvent faire penser à un refrain mais les paroles changent etc. Il y a toujours un truc un peu “twist”. Là, c’est clairement un refrain donc c’est la première fois qu’on sort un morceau qui a un vrai refrain. Dans ce morceau, il y a ce truc un peu pop qui pompe avec des tonalités qui ne sont pas juste mélancoliques, mineures, dark. Il y a un truc plus lumineux. Du coup, c’est un peu nouveau pour nous. Mais ça nous fait du bien, c’est un truc dont on avait besoin sinon on allait finir par se tirer une balle. (rires)

Et même attirer de nouveaux fans !

Joseph : Oui, si cela peut nous attirer de nouveaux fans dans la foulée ce serait génial. C’est un truc auquel on pense mais ça ne veut pas dire que c’est la chose qui guide notre travail. Pas du tout. On a quand même un désir absolu, comme tous les groupes metal, un peu underground, ou même de jazz, d’atteindre un certain niveau de technicité, de challenge et tout ça. Et on ne peut pas être uniquement guidé par la soif du succès. Même si, on n’a rien contre le succès, absolument rien contre. Si le succès vient à nous on l’embrassera avec amour, il n’y a pas de problème. (rires)

Qu’est-ce qui vous a inspiré pour la dernière chanson de l’album “Liberation” qui a de fortes sonorités ethniques ?

Joseph : Mario et moi, on a eu un épisode assez difficile l’année dernière parce qu’on a perdu notre maman, elle a eu un cancer et elle est morte donc ça a été un gros choc, un tremblement de terre dans nos vies. Et ce morceau, en fait, c’était un jam qu’on a fait tous les deux dans notre studio à New York. On était en train de travailler sur une démo, et on a eu un coup de fil comme quoi le cancer qu’elle avait n’avait pas été guéri par une opération qu’elle venait d’avoir donc il fallait faire une nouvelle opération très difficile, très douloureuse. On allait lui retirer un bout de mâchoire, enfin un truc horrible qui était un énorme coup de couteau pour nous, et on s’apercevait qu’elle n’allait certainement pas s’en sortir. Donc c’était la première fois qu’on s’aperçevait qu’on allait certainement perdre notre mère et ce jour-là, on était complètement plombé. On ne savait pas si on devait aller en France ou pas et notre mère nous disait “nan les mecs vous finissez votre album !”. Notre maman était américaine, elle est née aux Etats-Unis, et elle a déménagé en France. Elle a toujours eu cet espèce d’enthousiasme, cette exubérance, elle nous a vachement inspiré, poussés à fond. Quand on a appris qu’on allait peut-être la perdre, elle nous a dit “Non ! Vous me faites chier, vous bossez ! Si vous venez, je vous fous un coup de pied au cul”. Du coup, on était tellement plombé, et ce jour-là, je lui dis “ça te dit de jouer, on fait un petit boeuf ?”, j’avais des micros installés dans la pièce, j’ai juste appuyé sur enregistrer sur mon petit ordinateur, j’ai pris une guitare comme ça qui n’avait même pas de sangle, donc j’étais debout, et lui il avait sa caisse claire, sa sonne un peu plus comme une percussion, mais on a juste joué un peu, c’était pas dans l’optique de mettre sur l’album. On était juste en train de se laisser aller et de capturer ce moment. C’était un vrai moment de vie, intense, qui veut dire quelque chose pour nous. Au début, on voulait le mettre en morceau caché. Finalement, on a décidé de lui donner une place dans l’album, et de le conclure avec ça. C’est une sorte d’hommage à notre maman.

Concernant toi et Mario, par le passé vous aviez des projets annexes : Empalot, Cavalera Conspiracy. Ou en êtes-vous actuellement mis à part Gojira ?

Joseph : On a des envies parfois de faire des trucs un peu différent mais qui ne sont pas forcément logiques vis-à-vis de Gojira. Mais ça nous prend tellement de temps de faire Gojira, on est la moitié de l’année en tournée. On voyage dans le monde entier, donc ça nous prend énormément de temps et d’énergie donc quand on rentre à la maison, on ne peut pas dire “attends j’ai un autre projet !”. (rires) Ma femme me tuerait. Moi, je bosse avec d’autres groupes parfois, je commence à produire des groupes, là je produis un groupe de New York qui s’appelle Car Bomb, c’est une explosion de talent et d’énergie. Du coup, il y a des petits projets comme ça.

 

 

Vous avez également donné des masterclass, il y a eu beaucoup de retours positifs, les fans ont beaucoup apprécié, pourquoi avez-vous décidé de faire cela ?

Joseph : Pour être un milliard de pourcent honnête avec toi, ce masterclass on a décidé de le faire parce qu’on avait besoin de thunes ! (rires)

Merci pour ton honnêteté !

Joseph : Il nous faut du fric là, qu’est-ce qu’on peut faire ? Ça faisait six mois que l’on n’avait pas tourné, on était au Japon et en Israël, mais ce n’est pas ça qui va payer le loyer. Quand tu fais des shows comme ça à l’autre bout de la planète, il faut savoir que, souvent on revient avec 0€ dans la poche. Ça coûte extrêmement cher, et on a tout un groupe que l’on paye raisonnablement. Et parfois, il n’y a pas assez d’argent pour nous à la fin. Mais c’est notre problème, notre business. Du coup, on a décidé de faire ces masterclass, pour se faire un peu de thunes. Mais on l’a pris très au sérieux, on a un peu préparé ça avec Mario et c’était une masterclass qui n’était pas purement technique : on raconté un peu comment on a évolué en tant que musiciens et donc il s’est avéré que ça a été une expérience très intéressante pour nous, enrichissante pour les gens qui sont venus et pour nous. Il y avait une petite portion qui était juste fan du groupe et qui ne jouait aucun instrument, et d’autres qui étaient vraiment des musiciens donc il y avait des questions hyper intéressantes. Ça s’est déroulé sur un weekend, deux fois 25-26 personnes, donc une cinquantaine de personnes à 80€ la place. (rires) Mais moi par exemple, ça m’a payé le loyer du studio que je loue, donc c’est parti dans le loyer de mon studio et je l’ai dit d’ailleurs au master “merci de me donner votre argent” et ils ont tous rigolé. (rires) Voilà je ne m’en cache pas. Ce que je veux dire, c’est que si j’avais eu plus de thunes je ne l’aurais certainement pas fait.

A quand une date dans votre région d’origine ?

Joseph : Bientôt, on y travaille là. Il y a des shows à Paris, des festivals. Bordeaux, de toute façon il va falloir qu’on y passe, ça sera certainement en 2017, par contre cet été, on devrait faire un show à Biarritz, c’est 90% sûr. Ce sera une tournée européenne, donc on va préparer la tournée et venir dans nos quartiers généraux français. On va utiliser les locaux d’une salle de concert pour se préparer et tout faire nous mêmes, et on va faire un concert en échange de pouvoir utiliser les lieux. Un concert quasi gratuit pour la salle.

Pour finir, notre webzine s’appelle “RockUrLife”, question inévitable : qu’est-ce qui rock ta life ?

Joseph : Mes deux enfants qui ont quatre ans et un an et demi : un petit garçon et une grande fille qui sont mes joyaux.

 

 

Site web : gojira-music.com