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THE 1975 (31/03/16)

English version

Quelques heures avant le concert événement de The 1975 à l’Olympia, RockUrLife a eu la chance de rencontrer son leader Matthew Healy afin de discuter du nouveau “I Like It When You Sleep, For You Are So Beautiful Yet So Unaware Of It”. Une conversation assez philosophique et sans langue de bois avec un personnage sincère au plus haut point.

Salut Matthew, comment te sens-tu à quelques heures de ton concert à l’Olympia ?

Matthew Healy (chant) : Salut ! Tout va pour le mieux, c’est un plaisir de revenir ici !

Cette salle est, à ce jour, la plus grande salle parisienne dans laquelle vous avez mis les pieds, après avoir respectivement joué à La Maroquinerie en 2013 et deux fois au Trabendo en 2014. Cependant, il y a quelques temps, vous avez manifesté votre envie de retourner jouer dans des petites salles dites “intimes”. Sans aucune pensée négative de notre part, n’est-ce pas un peu paradoxal de vous retrouver ici ?

M : L’Olympia est, à mon humble avis, assez petit pour réaliser comme il se doit notre nouveau set. Mais tu sais ce qui est réellement difficile ? C’est d’utiliser le terme “intime” lorsque tu es dans ma position. Sans prendre en compte mon ego ou mes idées, il est clair que nous sommes un groupe d’une certaine taille qui vend un bon nombre de tickets. Donc tout dépend de la façon dont tu définis le terme “intime”. Nous n’aurions pas pu venir dans un lieu à la capacité ultra limitée, cela aurait juste été idiot. Pour notre dernière tournée anglo-américaine, nous avons par exemple pris soin de choisir des salles plus petites et intimes que celles où nous avions précédemment joué, dans le style de l’Academy 1. C’est, certes, la partie la plus haute partie de l’échelle de l’ “intime” mais cela reste néanmoins quelque chose de confidentiel, là où il y a la possibilité de voir le visage des gens. Ce que je vais dire te va peut-être te paraître mauvais et nul mais, crois-moi, je sais comment rendre un événement intime et personnel.

 

 

En parlant du renouveau de The 1975, il semblerait qu’il y ait eu une volonté de séparer ouvertement deux périodes de votre histoire. En juin dernier, vous avez disparu des réseaux sociaux pendant quelques jours (votre site web a également été supprimé) avant de revenir avec une toute nouvelle charte graphique. Pour quelles raisons avez-vous choisi de faire cela ainsi ?

M : Ici, on s’intéresse à comment rendre les gens conscients du fait que tu es en train de faire un nouveau disque. C’est un peu la façon ennuyeuse de parler de cela. Le fait est que je suis un grand fan de l’idée que désirer quelque chose est un sentiment plus fort que celui d’obtenir quelque chose. Lorsque tu obtiens quelque chose : tu l’as, c’est fini, tu passes à autre chose. Ma théorie à l’époque était “si tu veux créer de la demande pour quelque chose : supprime le, n’en fais pas la promotion”. En partant de ce principe, je me suis dit que c’était la meilleure façon pour faire du bruit, pour faire parler de notre groupe. Imagine une personne disant “oh tiens, un nouveau disque de The 1975” et un autre disant “The 1975 ont disparu du monde !”. Voilà ce que j’ai cherché à créer.

Cela sonne vaguement comme une nouvelle méthode de promotion.

M : Un peu comme du marketing oui, alors qu’en fin de compte ça n’en est pas du tout. C’était juste moi, cherchant à être créatif, chez moi, fatigué et pensant, mon téléphone dans les mains, à cette idée. Il n’y a pas eu de grande réunion marketing autour de ce sujet. J’étais seul et je m’ennuyais. Peut-être que cela a pu paraître méchant sur le coup mais, je le répète, ce n’est qu’une petite chose que j’ai fait. Par la suite, tout le monde était du genre “que s’est-il passé ?”, “quelle campagne de promotion…” alors que non ! J’ai tout simplement désactivé nos réseaux, changé nos photos de profil car je savais déjà vers où nous allions nous diriger, et les ai réactivé. Et à tous ceux qui appellent cela du génie, j’insiste encore une fois sur le fait que non puisque je n’ai fait que les désactiver.

Concernant votre identité visuelle, The 1975 a d’abord été connu pour son esthétique dénuée de couleurs. Désormais, c’est le rose qui a pris le dessus, toujours mêlé à votre fameux rectangle lumineux. Pourquoi le rose ?  

M : Le noir et blanc est visuellement quelque chose de très esthétique. Cela te permet assez facilement d’avoir un style. Mais si tu fais toutes tes vidéos et toutes tes images en noir et blanc, cela devient vite quelque chose de banal. Lorsque nous avons parlé du nouvel album, je savais d’avance que je voulais que celui-ci soit visuellement une évolution de notre groupe, tout en gardant ses principes de base comme le rectangle lumineux (montre son tatouage). Garde le fond, change la forme, voilà mon idée. Et qu’est-ce qui est à l’opposé du noir et blanc ?

Les couleurs.

M : Et quelle est la couleur la plus extrême et la plus vibrante ? Le rose. C’est pour moi l’opposé. Je l’ai étudié un peu ces dernières années et je suis un très grand fan de James Turrell. J’ai également beaucoup lu et à l’époque je surfais pas mal sur Internet, sur les pages fan et le tumblr de nos fans. J’ai alors remarqué toutes ces colorisations, tout ce qu’ils faisaient. J’étais aussi attentif à tout ce qui se passait dans la mode et au final l’idée du rose commençait à devenir quelque chose de concis dans ma tête. Puis elle s’est réalisée et je pense que c’est quelque chose que nous continuerons de faire à l’avenir.  

Finalement, l’opinion des fans compte dans cette équation et ce choix.

M : En fait, oui et non. Lorsque nous avons arrêté de tourner en janvier 2015, tout s’est arrêté. Auparavant, nous postions chaque jour des photos sur nos réseaux sociaux, en noir et blanc, qui étaient par la suite relayées sur les réseaux de fans. Mais à partir du moment où nous avons arrêté, il n’y avait plus matière à publier. Nos fans n’avaient alors plus de photos et c’est à ce moment là qu’ils ont commencé à coloriser les anciennes. A chaque fois, ils utilisaient un rose soft, un bleu soft ou un vert soft. Et à ce même instant, j’étais en pleine période de composition, je m’inspirais de mes propres émotions et du succès de notre premier album : il était donc normal de s’inspirer de tout cela.

 

 

En février dernier, vous avez levé le voile sur votre nouveau disque “I Like It When You Sleep, For You Are So Beautiful Yet So Unaware Of It“, duquel se dégage de véritables émotions, de l’amour, de l’auto-critique et un peu de storytelling. Quel est le concept derrière ce disque ?

M : Il n’y a pas vraiment de concept. Ce disque est plus à considérer comme une curiosité, comme un ensemble d’idées. Juste avant de faire ce disque tous étions tous très fatigués, à bout, et je ne savais pas du tout quoi faire. Je savais seulement de quoi je voulais parler, entre les choses auxquelles je tiens, les choses qui m’énervent et de toutes ces autres choses qui m’exaltent. Ainsi, peu importait la façon dont allait finir nos musiques, le plus important étant le texte. L’idée était alors avec “I Like It” de recréer à la façon The 1975 des chansons qu’on aimait à l’époque de la composition et encore maintenant, sans considération de style. Si c’est de la pop, du R’N’B, de la dance, cela n’avait aucune importance. Notre second disque peut même être considéré comme un album de reprises, chaque titre pouvant être apparenté à un autre nous ayant inspiré.

Apparenté à l’une de vos chansons ou à celle de quelqu’un d’autre ?

M : Parfois l’une des nôtres. Il nous ait arrivé d’écouter nos anciens titres en imaginant que ceux-ci étaient ceux d’un autre artiste et en nous demandant “comment pouvons-nous nous inspirer de ce titre sans que cela se voie ?”. En clair, comment le voler sans se faire avoir et se faire poursuivre en justice.

Dans la situation présente, se faire attaquer par vous-même.

M : Absolument (rires) mais c’est la meilleure façon d’évoluer et d’avancer. C’est grâce à cela que tu te retrouves à faire des choses totalement différentes. En t’inspirant de toi-même, tu produis quelque chose qui te ressembles mais qui n’a jamais encore été faite. Comme retravailler d’anciennes chansons à toi. En ce qui concerne les artistes qui nous ont inspiré, il y en a beaucoup trop et il n’y a aucun intérêt à ce que je te les liste. Mais pour n’en citer que quelques uns : Brian Eno, Talking Heads, INXS, Michael Jackson. Il y a aussi des groupes plus modernes du genre Sigur Ros, Jamie XX. Il n’y ni restriction, ni règle.

 

 

C’est peut-être cette façon de voir les choses qui fait que vous avez beaucoup de fans.

M : Toi et moi, nous sommes de la même génération. Nous ne nous limitons pas à écouter un seul genre de musique car cela ne se fait plus depuis des années et que nous représentons la diversité. Les gens aiment cela parce qu’ils nous comprennent et c’est surement pour cela que mon groupe a eu du mal à trouver un contrat à ces débuts, les dirigeants des labels étant des personnes plus âgées ne comprenant pas ce que c’est de vivre dans un environnement où il y a la possibilité de lier plusieurs choses en moins d’une minute. Ils ne savent pas ce que c’était d’avoir MySpace à l’âge de seize ans, où tu pouvais écouter différents styles, différents groupes et dire que tu les appréciait. Voilà ce qu’être cool signifie. Être cool, c’est fournir de bonnes et diverses références. Auparavant, pour faire cela, il fallait avoir lu des livres spécifiques, avoir vu des films précis. Avec Internet, tu peux désormais devenir cool en vingt-cinq minutes et nous nous devons de représenter cela. Nous devons créer de la façon dont nous consommons.

Comme vous l’avez laissé comprendre il y a quelques années, votre premier disque éponyme était une sorte de compilation de toutes les meilleures chansons que vous avez composé sous vos différentes identités. Est-ce que cela vous a forcé à vouloir composer de nouveaux titres tout aussi fédérateurs ou est-ce que cette idée ne vous a même pas traversé l’esprit ?

M : En vérité, elle ne nous a même pas traversé l’esprit. Il est très difficile de créer un tube en partant de l’idée “faisons un tube” car une grande chanson se doit de dégager de la sincérité, du relief et résulte souvent d’un accident. Si il existait une méthode pour composer des tubes, tout le monde en ferait. Nous avions cette peur d’être considérés comme des “vendus” avec ce nouveau disque. C’est pour cela que nous l’avons appelé ainsi, parce que j’étais apeuré, je ne savais pas dans quoi je m’engageais et comment allait réagir notre public. Je ne savais même si j’étais toujours la même personne, si j’allais écrire sur les mêmes choses que par le passé. Puis au final, je me suis dit “merde à la fin, il est temps de prendre des décisions” et c’est à partir de cet instant que j’ai pointé du doigt un livre et que je me suis dit “voilà le titre de notre prochain disque”. Maintenant que nous avions le titre, qu’il existait, nous nous devions de le faire et vu qu’il y avait un côté un peu ridicule de la chose, il fallait que cette album reflète cet aspect.

Est-ce que le fait d’avoir connu le succès vous a permis de mieux composer et de vous sentir à l’aise avec vous-même ?

M : Cela m’a surtout permis de me sentir moins seul et je m’excuse si cela paraître triste.

Il n’y a pas de quoi s’excuser puisque, indirectement, nous le sommes tous.

M : Tu as tout compris. Quand j’ai commencé à composer ce disque, je me sentais vulnérable, isolé, souvent mal compris. Et à partir du moment où ces idées, mis dans une oeuvre d’art, ont été acceptées par la masse, cela vous permet de vous sentir accepté.

 

 

“The Sound” et son clip sont deux choses qui prouvent que vous portez de l’attention aux critiques et à la haine envers vous. Est-ce difficile d’assumer votre statut de rockstar ?

M : Et bien déjà, le concept de rockstar ne veut plus vraiment rien dire de nos jours puisque nous sommes tous de plus en plus conscients et qu’il est désormais facile d’être “connecté” avec une rockstar. Avant, il était impossible d’imaginer être en contact avec Michael Jackson, mis à part via le courrier des fans qu’il était possible d’envoyer à un fanclub et qui étaient, il faut le dire, souvent renvoyés à la case départ. Maintenant, avec Twitter, tu peux ajouter quelqu’un, lui tweeter quelque chose et l’artiste peut te répondre. Ceci démystifie instantanément le concept car les célébrités ne sont plus inaccessibles comme avant. Maintenant nous sommes des sortes de messies. Pense au moment où Michael Jackson a fait son moonwalk aux Grammy’s. A l’époque il n’y avait aucune critique alors qu’aujourd’hui, le premier commentaire serait “le gars ne fait que marcher à l’envers”. Donc pour être une rockstar aujourd’hui, il faut savoir l’être avec humour et c’est ce que je fais. J’aime laisser comprendre que je joue la comédie, sous entendre “hey regardez, je suis en train de faire ma rockstar” ! C’est pour cette raison que j’adore le clip de “The Sound” qui montre à quel point je ne me préoccupe pas des critiques. La musique reste quelque chose de subjectif. Et au final, est-ce que j’ai envie d’être dans un groupe où la moitié des fans dorment dehors pour nous voir ? Est-ce que j’ai envie d’être dans un groupe où les gens veulent nous tuer ? Est-ce que j’ai envie de faire partie d’un groupe où le public ne lui trouve rien d’exceptionnel ? Peu importe. Mon objectif reste le même, je veux provoquer quelque chose. J’ai un tatouage qui dit “les mauvais messages créent de mauvaises situations” (“weak messages create bad situations”) qui explique que les mauvais messages n’ont pas leur place dans ma vie. Je veux me nourrir des messages forts et encourageants, et je veux que les gens croient en eux. Si ce n’est pas le cas, soyez en désaccord et motivez les.

Mais est-ce qu’utiliser la musique qu’ils critiquent eux-mêmes pour les dénoncer est une bonne chose ?

M : Ma musique est l’environnement dans lequel je suis le plus intelligent. Il n’y a qu’ici ou j’aurai toujours le dernier mot, où je gagnerai chaque argument. Le contexte de la musique me rend brillant, habile , spirituel, agile. C’est là où je suis talentueux.

 

 

Dans une récente interview pour “Rolling Stone”, vous avez parlé de l’expérience difficile qu’a été de tourner non-stop pendant trois ans. Vu le succès de “I Like It”, comment allez-vous gérer une nouvelle fois cette aventure ?

M : Je l’ai déjà fait donc maintenant tout ira bien. J’ai appris de mes erreurs et je sais désormais ce que je peux et ne pas faire. C’est comme ta première année de travail, tu fais des erreurs mais tu finis par t’en sortir. Je sais que je ne dois pas prendre trop de drogues, qu’il est difficile d’entretenir une relation de longue distance. Il faut éviter tout ce qui n’a pas fonctionné la dernière fois. Prenons l’exemple d’un pompier. Lors de ton premier feu, tu vas sûrement foncer dans le tas ou même te dire que tu ne veux pas faire ça (rires) alors que ce n’est pas la meilleure des choses à faire. Puis, en ayant appris de tes erreurs, tu vas te dire “ok donc il ne faut pas aller dans la salle qui brûle”. Je suis un professionnel désormais.

Ce travail est ta raison de te lever le matin.

M : Exactement mais je n’utiliserai pas le terme “travail” ou “job” parce que cela le banalise. Ces mots oublient parfois les idées de passion et d’amour. et dans mon cas, j’adore ce que je fais.

En parlant d’amour, une de vos nouvelles chansons s’appellent “Paris”, la ville de l’amour où nous nous trouvons actuellement.

M : Paris est évidemment un endroit on ne peut plus romantique. C’est la “City Of Love” culturellement parlant. Cette chanson parle d’une ancienne petite amie avec qui je souhaitais aller à Paris mais nous n’avons jamais eu la chance. Et ce voyage à Paris, qui n’est jamais arrivé, est devenu comme la salvation de notre relation. Les paroles “how I’d love to go in Paris again” signifient à quel point j’aimerais que nous retournions là ou nous étions lorsque nous avons eu cette idée.

La ville de Paris est donc un choix un peu au hasard. Cela aurait pu être Londres, Venise etc.

M : Absolument mais écoute (chante) “how I’d love to go to London again”. Cela ne fait pas le même effet ! (rires)

 

 

Finalement, notre site web s’appelle “RockUrLife”. Notre dernière question sera donc : qu’est-ce qui rock ta life, Matty ?

M : Définitivement pas les drogues. Je n’en prends plus autant qu’avant puisque c’est devenu quelque chose de très ennuyeux. Je donne des concerts tous les soirs, voilà ce que rock réellement ma life. Qu’est-ce qui pourrait encore plus rocker ma life que cela ? Egalement, faire le tour du monde avec mes amis, faire la fête. The 1975 est ma catharsis, mon monde social, mon outil, ma routine, ma référence, mon travail, mon avenir. Parfois, lorsque tu joues devant dix mille personnes un soir et que tu finis seul dans une chambre d’hôtel, tu te dis “merde”. Mais cela ne dure jamais bien longtemps. Et puis, j’ai un petit chien à la maison, je vis avec mon meilleur ami Sam qui fait tous les design du groupe et James habite à trente-cinq secondes de chez moi. Tout va pour le mieux et je ne suis jamais vraiment seul.

 

 

Site web : the1975.com