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CREEPER (29/10/16)

English version

Quelques heures avant un concert au Trabendo en première partie de Pierce The Veil, RockUrLife a rencontré Will Gould et Hannah Greenwood, respectivement chanteur et claviériste de Creeper. Retour sur le nouvel album, les démarches et les influences du groupe de Southampton, s’inscrivant progressivement comme la nouvelle révélation de la scène punk rock britannique.

“Eternity, In Your Arms” sort dans quelques mois. Quelle direction allez-vous prendre avec cet album ? De quoi parle-t-il ?

Hannah Greenwood (claviers) : Il y a beaucoup d’aspects différents dans cet album, que ce soient des éléments très théâtraux comme des éléments très punk. Tous ces éléments se voient mêlés à quelques chansons plus lentes, mais tout s’assemble et forme un joli résultat. Nous avons tiré différents aspects de nos trois EP (ndlr : “Creeper” (2014), “The Callous Heart” (2015), “The Stranger” (2016)) et en avons gardé les choses qui nous semblaient bien fonctionner pour nous.

Will Gould (chant) : Faire trois EP au préalable nous a permis de trouver notre son, et de se concentrer sur ces idées. Aussi, nous avons écrit beaucoup de titres différents les uns des autres. On essaie d’être aussi ambitieux que possible au niveau de notre musique. En ce qui concerne les thèmes du disque, l’histoire de Peter Pan est quelque chose que nous avons grandement utilisé dans notre univers depuis un moment maintenant. Le patch “The Callous Heart” s’inspire de ses “gender neutrals lost boys”. “The Stranger”, le grand homme avec un masque, est supposé être Tic Tac le Crocodile. A l’heure actuelle, dans nos vies, nous naviguons au milieu de ces deux éléments. Nous avons perdu la jeunesse éternelle, car nous ne sommes plus des enfants. Cet album s’apparente plus ou moins à Capitaine Crochet. James Scythe, le personnage que l’on utilise pour cet album, est comme Capitaine Crochet. Le thème est le désir de retrouver cette légèreté, cette insouciance d’enfant et vivre avec l’anxiété et la peur de ce qu’il va arriver.

 

 

Le sentiment de mystère teinte grandement votre groupe. Vous semblez tout faire en secret. Pour cet album, vous avez mis en place un impressionnant système de promotion, vous menant à disparaitre des réseaux sociaux aussi bien en tant que groupe qu’en tant qu’individus, et donner des indices pour vous retrouver. Sachant que nous vivons dans l’ère du numérique, des réseaux sociaux et de la surexposition, pensez-vous que le mystère et l’illusion contribuent au succès de Creeper ?

Will : Je ne pense pas que l’on ait nécessairement pensé à tout ça au premier abord. Rien de ce que nous avons fait n’a été fait dans le but de rencontrer le succès. Je repense toujours à cette chose au sujet d’un producteur que nous apprécions, Jim Steinman, qui a confié l’une de ses histoires. Quelqu’un lui a demandé : “Pour qui fais-tu ces disques ?”. Jim a répondu : “Les albums que je fais, je les fais toujours pour ce gosse du Connecticut”. Il dit : “Qu’entends-tu par là ? Qui est ce gosse du Connecticut ?”. “Ce gosse du Connecticut n’existe pas. Il est dans ma tête. A chaque fois que je sors un disque, il se rend à la boutique, choisit un CD, le met dans son lecteur, puis s’assoit chez lui quand ses parents sont absents et écoute l’album dans sa totalité. A chaque fois que je travaille sur un disque, je pense à ce gosse du Connecticut”. C’est comme ça que je vois les choses avec Creeper. J’aime penser qu’une personne peut apprécier les petites créations que l’on fait. De ce fait, nous consacrons beaucoup d’efforts et accordons beaucoup d’importance aux détails pour ce même gosse. Tout le mystère créé était pour plaire à cet enfant.

Je voulais qu’il/elle puisse ressentir des émotions d’autant plus fortes avec ce premier album, cette deuxième partie de l’histoire. On réfléchit toujours à comment se mettre au service de nos chansons et du public du mieux que l’on peut. Tout ceci était plus une façon de plaire à l’audience que de poursuivre la consécration. Mais je pense que tu as raison. De nos jours, les réseaux sociaux sont très présents chez les groupes. Le mystère et la magie autour d’eux est difficile à maintenir, parce qu’il te suffit d’aller sur Twitter pour savoir ce que quelqu’un a mangé au déjeuner. J’ai tenté de temporiser la manière dont on s’affiche en ligne, car c’est très important. Je veux que les gens soient capables d’apprécier nos disques sans penser à moi, Hannah, Ian ou qui que ce soit d’autre. Les membres de Creeper sont moins importants que la musique de Creeper. Il y a un certain respect de notre part pour le projet que nous portons. Voilà le but de notre démarche, essayer d’assurer le spectacle, même en ligne. C’est un spectacle plus large que nous tentons de mettre en place, ce qui est, par la force des choses, dur à réaliser de nos jours.

Il y a quelque chose de très inclusif dans votre groupe, que ce soit par rapport à vous en tant qu’individus, ou votre public/fanbase. Pensez-vous que la célébration des différentes identités joue un rôle dans votre musique ?

Will : C’est un sujet qui a été mis sur la table dès que l’on a commencé le groupe. Quand j’étais enfant, j’allais à des concerts de punk, de hardcore… beaucoup de groupes divers en somme. Les personnes qui allaient à ces concerts y allaient pour la musique. J’ai le sentiment que plus je grandis et vieillis, plus ces personnes finissent par former des cliques, comme des sortes de sous-cultures. Et c’est assez triste. Je regrette le temps où l’on aimait la musique pour ce qu’elle était. Ce qui nous plait, c’est l’idée que lorsque l’on regarde la foule, on peut y voir des goths, des punks, des hardcore kids, et j’en passe. Il y a un vaste panel de gens qui apprécient notre groupe. Peut-être qu’ils n’ont rien en commun, mais ils aiment la musique. C’est le but que l’on cherche à atteindre. Alors quand nous est venue l’idée des back patches, l’objectif était de faire quelque chose qui, visuellement, rassemblerait les gens. Quand tu marches dans la rue et que tu vois quelqu’un avec un patch “Callous Heart”, tu sais que vous avez quelque chose en commun. Un sentiment d’unité en découle. Venant du milieu punk DIY, on a grandi en remettant en question ce qui nous entourait et les politiques appliquées au monde, ce qui signifie que l’on aimerait briser ces barrières. A chaque fois que l’on dit “lost boys”, on fait bien attention à mentionner “gender neutral lost boys”, parce que ça serait idiot d’en parler d’une quelconque autre manière. Nous avons beaucoup d’amis dans la communauté LGBTQ+, ce qui est assez présent dans notre groupe. C’est quelque chose que l’on souhaitait célébrer et qui fait également partie de qui nous sommes. Ce qui nous importe, c’est la diversité et trouver un cadre safe où tout le monde pourrait se rassembler.

Je pense que c’est la magie du punk. Tu es dans une salle, le public ne fait qu’un, et le groupe et le public sont en symbiose. L’énergie prend le dessus. Peu importe ce que tu as traversé durant ta journée, tout disparait soudainement car tu te perds dans l’énergie, dans le moment. C’est une chose presque tangible, ce qui est passionnant. On tente de rassembler, tout en trouvant des solutions créatives pour nos problèmes mentaux. Etre dans un endroit sûr pour apprécier la musique est essentiel pour nous. Essentiel pour l’enfant que j’étais aussi. J’étais très anxieux quand j’étais plus jeune. Je ne quittais pas la maison. Puis, je me suis intéressé à la musique, et je ne pouvais plus ne pas quitter la maison, car il fallait absolument que je vois ces groupes, ce qui impliquait que je sorte. J’ai créé toutes mes amitiés, toutes mes relations et tout ce que j’ai au travers de la musique. Elle m’a donné de la confiance, ma carrière, mon exutoire pour mes émotions. Je voulais rendre tout ceci aux gens. Qu’ils viennent nous voir, et qu’ils repartent en voulant former leur propre groupe. De manière à ce que lorsque l’on sera vieux et incapable de tenir le coup, on pourra aller les voir sur scène. (rires)

Parlons d’ego maintenant. Si tout le monde en possède un, il peut s’avérer problématique dans un contexte de création collective. Un membre peut avoir une idée, qui ne sera pas partagée par quelqu’un d’autre. D’après votre expérience, quelle place prend l’ego dans la composition de votre musique ?

Hannah : Tout le monde a son ego, effectivement. Dans notre cas à nous, -car nous sommes beaucoup dans le groupe-, Will and Ian se chargent de la majeure partie de l’écriture des chansons. Je pense que parce qu’ils se connaissent depuis des années, ils arrivent à très très très bien travailler ensemble. Mais nous avons tous nos propres personnalités. Quand tu les assembles toutes, ça fonctionne et mène à quelque chose à laquelle personne n’avait pensé. On arrive à bien travailler, on ne rentre pas souvent en confrontation pour être honnête.

Will : On est comme une petite famille. Par exemple, Hannah a une chanson sur cet album que l’on a faite ensemble au studio, et dont on a travaillé le chant. C’est un morceau sur lequel je ne suis pas omniprésent. C’est la direction que l’on essaie de prendre. L’un de mes groupes préférés est Arcade Fire. J’aime la manière dont ils ponctuent leurs compositions de plusieurs instruments et musiciens. On essaie de se mettre au service de nos chansons. Ian et moi-même tendons à écrire la majorité des titres, mais nous avons tous nos petits trucs à nous. Sean est Monsieur Organisation. Il doit tout gérer. Il adore faire ça, et il est même très bon. On a tous nos petites préférences. C’est comme un petit univers autonome, chacun apportant sa brique à l’édifice. Je pense que la diversité sur ce disque provient premièrement du fait que l’on soit six individus différents, mais aussi d’avoir utilisé de nouveaux instruments. Il y a un trompettiste sur cet album. Il ne fait même pas partie du groupe, mais on s’est dit que l’on voulait de la trompette sur une chanson pour la faire sonner comme une chanson rock 50’s, comme celles de Chuck Berry. Hannah peut jouer toutes sortes d’instruments : le violon, le piano, le chant… Elle est celle qui joue probablement le plus sur ce disque, en termes d’instruments et d’effets. On se dit souvent : “Oh, on a besoin de ci ou de ça comme instrument. Hannah peut le faire !” (rires) L’une des choses les plus géniales est d’avoir toute une palette de couleurs qui rend le résultat final plus riche et plus intense. Je pense que nous n’avons pas laissé beaucoup de place pour l’ego.

Hannah : Oui, aucun d’entre nous n’est égocentrique.

Will : Par exemple, nous faisons tous des interviews. Les gens veulent souvent me parler car je suis le chanteur, mais ça me serait égal si ce n’était pas le cas. Hannah et Ian se chargent des interviews souvent. Même si Ian et moi-même sommes les auteurs principaux, chacun fait quelque chose, car notre groupe ne se limite pas qu’à l’écriture.

En plus de votre musique, vous avez développé une identité visuelle très spécifique et facilement reconnaissable. Quelle est la relation entre votre musique et les autres pratiques artistiques ?

Will : Une grande partie de l’esthétique de ce que nous faisons provient des films. Ian et moi étions des étudiants en cinéma. Si l’on réfléchit au thème actuel pour le groupe, ce serait plutôt des films avec Winona Ryder comme Fatal Games (Heathers) par exemple, principalement des teen movies des années 80. On a des pastiches de différents éléments dans nos vidéos. Dans celle pour “The Honeymoon Suite”, il y a un panneau de la ville de Southampton, à l’arrière duquel on peut lire “Beware The Callous Heart”; c’est une référence à la ville de Santa Carla dans le film “Génération Perdue” (Lost Boys), qui a été nommée “capitale du crime”. On retrouve beaucoup de clins d’œil aux films qui nous ont influencés. Dans nos nouveaux clips que nous n’avons pas encore sortis, il y a beaucoup de choses qui s’apparentent aux films noirs. Il y a un aspect très voyeuriste dans certaines de nos vidéos. Quand on a commencé le groupe, on voulait que tout semble sortir d’un film de Curtis Hanson, ce qui n’a pas réellement marché au final. Donc, tous les indices visuels proviennent du cinéma. “Cry Baby” est l’un des films préférés de Sean. A chaque fois que l’on fait un disque ou une chanson, je mets sur la table une rangée de captures d’écrans de films qui vont s’avérer importants pour nous. “Twin Peaks” a été une grande référence pour nous. “X Files” aussi. Ca nous donne une base à partir de laquelle travailler. Il y a aussi beaucoup de musique qui nous inspire, évidemment. Hannah, tu aimes la musique classique, n’est-ce pas ?

Hannah : Oui. J’ai grandi en tant que musicienne classique. En fait, j’ai essayé d’évoluer dans ce domaine, mais on n’a pas retenu ma candidature. Sinon, je ne serai pas assise ici. (rires) C’est intéressant, car je n’ai pas évolué dans la scène punk DIY et je viens d’un milieu totalement différent. Mais je pense qu’être capable de jouer des instruments classiques comme le violon ou le piano nous a apporté la dimension théâtrale de nos compositions. Si c’est à la base un style différent, ça se marie bien avec le reste. Le punk et la musique classique forment un très bon couple.

Will : C’est principalement les musiques de films qui nous stimulent. Creeper est un reflet de la pop culture en termes de ce que nous faisons esthétiquement. Quand on pense à des chansons, on pense très souvent à ce que cela donnerait sur écran. On pense à la musique de manière visuelle. Il y a cet artiste incroyable qui s’appelle Graham Humphreys, qui a réalisé les posters de beaucoup de films des années 80 comme “Les Griffes De La Nuit” (A Nightmare on Elm Street), en réalisant des peintures photo-réalistes. Il travaille avec nous en ce moment. On en est très heureux. Pouvoir fusionner ces deux mondes est génial, cela veut dire que l’on peut mettre la main à différentes pâtes. (rires)

Très bien, on a fini. Merci à vous pour vos réponses. A plus tard !

Will et Hannah : Merci beaucoup !

Site web : creepercult.com