Turnstile – NEVER ENOUGH

Depuis GLOW ON en 2021, Turnstile n’a cessé de fasciner et fédérer. En injectant une dose de lumière et de groove dans un hardcore souvent perçu comme rigide, le groupe de Baltimore a redéfini les contours du genre. Mais après un tel coup d’éclat, comment revenir sans se répéter ? Comment surprendre sans trahir ? Avec NEVER ENOUGH, Turnstile choisit de répondre par l’ambition : un album visuel, pensé comme une œuvre totale, où la musique devient le personnage principal et les images, son prolongement naturel.

Héritage et explorations nouvelles

NEVER ENOUGH est donc à la fois un disque, mais aussi un film de 50 minutes co-réalisé par Brendan Yates et Pat McCrory. Le résultat de cet ensemble : une suite logique et une prise de risque. Plus doux, plus introspectif, mais toujours aussi vibrant, c’est un album qui explore les tensions entre familiarité et nouveauté, entre puissance et vulnérabilité. Et même si certains morceaux semblent conçus pour être vus autant qu’écoutés, l’ensemble tient debout, seul, avec une grâce inattendue.

Le groupe a progressivement dévoilé quatre (six, en comptant les prestations live) titres aussi différents qu’ambitieux pour certains avant la sortie de l’album. Dont le titre éponyme, à l’énergie d’abord contenue, presque méditative ouvre l’ensemble. Son outro progressive laissait deviner un morceau plus fort et plus intense à suivre et “SOLE” répond bien à toutes ces attentes. Les intentions sont claires : Turnstile n’a pas peur de surprendre et impose des sons parfois surprenants mais toujours agréables. Sur “DREAMING”, les percussions claquent avec une précision familière, presque trop familière, et pourtant, des trompettes viennent nous surprendre et accompagner le chant de Yates. Le groupe semble plus posé, plus sûr de lui. Les morceaux s’enchaînent avec légèreté et qualité, mais toujours en ajoutant des éléments nouveaux. “SUNSHOWER” amène une douceur presque psychédélique. Flûte et synthé en apesanteur, comme une pause méditative avant le morceau suivant : “LOOK OUT FOR ME”. Long de plus de 6 min, il incarne presque l’âme du disque. Sa progression lente, son intensité croissante, et cet extrait de la série The Wire où l’on peut entendre “You gonna look out for me, you promise?” en milieu de titre, laissent une empreinte durable avant de virer dans une outro parmi les plus réussies.

Turnstile joue ici avec les contrastes : entre les morceaux courts et percutants (“CEILING”, plus énigmatique), et ceux plus développés, riches en textures et en émotions. On retrouve des échos de GLOW ON, mais toujours réinventés, comme si le groupe se citait lui-même pour mieux se dépasser.

Une expérience complète d’écoute

NEVER ENOUGH est un disque qui se vit autant qu’il s’écoute. Chaque morceau semble conçu pour dialoguer avec les images du film qui l’accompagne. Certains titres, comme “TIME IS HAPPENING”, brillent par leur équilibre : une voix ralentie, des chœurs en écho, un riff de guitare entêtant. D’autres explosent dans des outros d’une intensité rare (“SOLE”, “LOOK OUT FOR ME”, “SUNSHOWER”). On se prête aussi à reconnaître certaines voix familières comme Devonté Hynes de Blood Orange (avec qui Turnstile a déjà collaboré par le passé) et Hayley Williams de Paramore sur le titre “SEEIN’ STARS”. Au-delà de visualiser l’album, on s’imagine aussi déjà dans les mosh pits en écoutant des morceaux comme “BIRDS”.

Le final, “MAGIC MAN” est un adieu suspendu. Claviers, réverbe, lenteur assumée : Brendan Yates y chante avec une sincérité désarmante. On sent que l’album explore des thèmes profonds : l’intuition, l’acceptation de l’amour, la place de l’individu dans un monde vaste et parfois écrasant. Et même si certaines chansons semblent incomplètes sans leur pendant visuel, elles n’en restent pas moins puissantes.

Turnstile signe ici un album lumineux, sincère, et audacieux. Plus doux que son prédécesseur, mais aussi plus affirmé. Oui, on y retrouve des motifs familiers, mais toujours avec cette capacité à surprendre, à émouvoir, à faire vibrer. NEVER ENOUGH est un disque qui respire, qui cherche, qui ose, et c’est précisément ce qui en fait une production très réussie.