Till Lindemann n’apparaît jamais par hasard : il surgit, imprévisible, pour rappeler qu’il est à la fois poète maudit, provocateur assumé et performeur insaisissable. Deux ans après Zunge (2023), il revient avec Zunge 2025, une réédition augmentée qui rassemble l’album originel et un second disque de singles, d’inédits et de remixes. Plus qu’un “bonus“, ce double album agit comme une fresque composite, un état des lieux de deux années de chaos et de création.
Une pochette comme aveu visuel
Impossible de passer à côté de la pochette de Zunge 2025. Till Lindemann s’y fige en portrait noir et blanc, pancarte au cou, chemise rayée, bretelles tirées. Une esthétique carcérale qui dépasse le simple mugshot : difficile de ne pas y voir une réminiscence des uniformes de camp, volontairement troublante. L’œil cerné, le visage marqué, le regard fixe, presque résigné, Lindemann se montre en prisonnier de son propre personnage, mais aussi en provocateur qui choisit d’instrumentaliser le malaise. C’est une image qui dérange, qui choque, qui met mal à l’aise, et c’est exactement son but : afficher sa mise en accusation publique comme une condamnation esthétique. Zunge 2025 n’est pas seulement une réédition : c’est une plaidoirie visuelle, un autoportrait sous forme de procès.
Les singles comme jalons
“Meine Welt”, publié fin 2024, trouve ici enfin sa place. Mid-tempo lourd, hypnotique, bâti sur un martèlement mécanique et une boucle entêtante, il illustre la facette la plus implacable de Lindemann : récitatif théâtral, refrain massif, atmosphère suffocante. À ses côtés, “Entre dos tierras”, reprise d’Héroes del Silencio, surprend par son respect des lignes mélodiques tout en injectant une gravité typiquement berlinoise. Mais c’est “Und die Engel singen” qui marque le plus : un morceau incantatoire, sombre, porté par un arrangement rock industriel poisseux et une interprétation grave, quasi liturgique. Rien d’une ballade : ici, les anges ne consolent pas, ils hantent.
Détours et excès
Le reste du second disque joue sur les contrastes. “Prostitution” s’impose comme une comptine noire, hymne grotesque scandé au rythme d’un martèlement industriel. Les paroles, à la fois crues et ironiques, transforment le sujet tabou en chant à boire grinçant, entre sarcasme et constat social. Till y retrouve la verve provocatrice de Skills In Pills, assumant le grotesque comme miroir du réel. Plus loin, la version piano de “Übers Meer” révèle, à l’opposé, une fragilité inattendue, dépouillant l’univers de son attirail industriel pour en garder l’essence mélancolique. Mais c’est surtout “Lollipop” qui déstabilise : fausse comptine transformée en rituel vampirique, répétitive, grotesque, où l’innocence enfantine bascule dans l’horreur sadomasochiste. Une bizarrerie absurde, sucrée et sanglante, typiquement Lindemann. Le meilleur (ou le pire) pour la fin, comme on dit !
Une œuvre pour les initiés
Zunge 2025 n’est pas un nouvel album mais une excroissance, une pièce rapportée qui prolonge l’univers sombre de Lindemann. Les curieux n’y verront qu’un appendice, mais les fidèles y trouveront de quoi nourrir leur fascination. Et si cette réédition justifie son existence, c’est bien grâce à ces morceaux inédits qui incarnent le cœur grotesque et dérangeant de l’artiste. Une preuve de plus que Till Lindemann reste maître dans l’art de transformer l’excès en malaise, et le malaise en poésie noire.
Informations
Label : Out Of Line Music
Date de sortie : 26/09/2025
Site web : www.till-lindemann.com
Notre sélection
- Lollipop
- Prostitution
- Und die Engel singen
Note RUL
3/5