Chroniques

The Prestige – Amer

Dans le petit monde du hardcore français, le renouveau impulsé il y a quelques années par la scène lavalloise a offert de merveilleux albums et un véritable enthousiasme autour d’une part de la musique française, trop souvent décriée, notamment lorsqu’il s’agit de courants alternatifs. The Prestige vient de Paris et n’a jamais vraiment surfé sur une autre vague que la sienne. Ainsi, lorsque vient l’heure du deuxième album, la synthèse des éléments réunis pour l’occasion pousse à espérer un chef d’oeuvre. Ce genre de disque à l’impact confidentiel et pourtant si dense lorsque l’on pose une oreille dessus. Amer, l’écoute ne le sera pas. Le contenu lui, sera plus bien plus que ça.

The Prestige, c’est frénétique, intense et terriblement sombre en live. Sorte de jouissance se situant entre The Chariot, The Dillinger Escape Plan et Celeste. Il n’est donc pas étonnant de retrouver cette énergie dévastatrice derrière les titres composant cet opus. Que ce soit “Marquée”, “Voir Dire” ou “Apaches”, l’auditeur navigue en eaux troubles. La berceuse est tourmentée et nous malmène jusqu’à entrevoir le calme après la tempête, la lumière après la nuit et autres éclaircies poussant à ne pas perdre tout espoir. Car si les intentions sont amères, The Prestige réussit constamment à nous tendre une main pour nous sortir de tout ça. Ainsi “Négligée” offre ce tournant si lumineux à l’ensemble. Une lumière froide mais dévastatrice. Avant ça, il aura fallu tomber bien bas. Dans les bras épineux de la jungle parisienne, celle qui nous réduit au simple statut d’animal, mais celle qui accepte cette part de bestialité en nous (“Bête Noire”). Il faudra également s’embourber dans cette vie si ingrate que celle du musicien qui ne court pas après la reconnaissance. Il n’est possible d’accoucher d’un tel essai qu’avec la seule conviction que tous nos espoirs naissent de nos gorges. C’est un chant martial que celui de “Léger De Main”. Un riff qui nous terrasse pour nous permettre d’entrevoir la suite avec l’énergie qui est, non seulement nécessaire pour continuer, mais surtout viscérale. Et c’est seulement à ce moment là que The Prestige accélère le mouvement pour anéantir l’espoir naissant. Ces “Enfants Terribles” nous confrontent à nos échecs avec l’énergie caractéristique du D-beat. Pourtant le salut viendra de ces voix qui émergent de nulle part. D’une chanson minimaliste nait un véritable hymne, appuyé par la crème des musiciens du hardcore français. Une sorte de ligue de gentlemen extraordinaires dont la mission ne serait surtout pas de nous sauver de quoique ce soit. A l’image de la capitale des Gaules, “Amer” nous ballote sans que la ligne directrice nous maintienne dans un état ou dans un autre. A quoi bon donner l’illusion que ceci n’est pas la vie ? Si le propos n’est pas à l’auto satisfaction, le groupe prend le temps de nous offrir quelques respirations. On se réfugie sans broncher dans les bras de la “Petite Mort”, celle après laquelle on court tous. Celle qui nous donne la force de nous lever tous les matins. Celle qui mène le monde. Cette femme qui, au final, est présente tout au long de cet effort (à noter la constante féminisation des titres des chansons).

Le véritable tour de force de “Amer” est celui de nous faire croire que la vie l’est, amère. Si d’aspect, le contenu est des plus sombres, il est impossible de ne pas constater que même dans la mort, la Petite ou celle qui nous élève au statut de divinité, la lumière nous atteindra toujours. The Prestige offre la vision la plus fidèle d’une vie vécue à l’intensité semblable à leur musique. Là où “Black Mouths” (2012) se perdait parfois dans des gimmicks brisant la dynamique, “Amer” recentre le propos. Il s’agit d’un album sans concession. Et à l’écoute des deux dernières minutes de la galette, nier cette chaleur qui nait dans notre œsophage lorsque la voix s’éraille, lutte pour dire, incarne le seul fil qui nous maintient en vie, reviendrait à un crime. Celui de ne pas regarder au delà de ce que l’on nous offre. Celui d’abdiquer face à la difficulté d’aborder un tel disque, comme on abdique lorsque la vie nous noie. Car constamment, derrière chacune des vagues qui semblent nous terrasser, se trouve ce soleil à l’horizon. Qu’il soit lumineux, froid, féminin ou mort, The Prestige a parfaitement compris que nos courses se terminent dans la chaleur de ses rayons.

Informations

Label : Nature Morte
Date de sortie : 20/04/2015
Site web : www.wearetheprestige.com

Notre sélection

  • Cri De Coeur
  • Bête Noire
  • Enfants Terribles

Note RUL

5/5

Ecouter l’album

Nathan Le Solliec
LE MONDE OU RIEN