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The Last Dinner Party – Prelude To Ecstasy

Attention : sensation en approche. Précédée d’une hype incroyable depuis la viralité entourant son premier single, “Nothing Matters”, The Last Dinner Party suscite une excitation rare pour une formation n’ayant dévoilé qu’une poignée de chansons. Naturellement, le fait d’assurer la première partie des Rolling Stones n’a aucunement fait retomber le soufflé. Ajoutez à cela la collaboration avec la crème de la production rock anglaise, en la personne de James Ford (Arctic Monkeys, Foals), et vous obtenez ni plus ni moins que le disque britannique le plus attendu de l’année. Toutefois, la crainte de promesses sans lendemain nous pousse à ressortir le fameux slogan cher à la bande d’Alex Turner : “Don’t Believe The Hype”. Jugeons plutôt.

Theatral et ambitieux

Avant d’explorer ce disque, des présentations s’imposent. The Last Dinner Party est un quintette exclusivement féminin composé de musiciennes à la fois classiques et alternatives. Dès la pochette, on soupçonne une esthétique rétro puisant en partie sa source dans le fantasme victorien, dont Les Chroniques De Bridgerton sont la réplique la plus récente. Laissant de côté tant l’orgueil que les préjugés, nous sommes cueillis d’entrée par un feu d’artifice mêlant cordes, cuivres et cymbales triomphantes. L’ouverture instrumentale “Prelude To Ecstasy” nous intrigue instantanément et confirme l’anachronisme pressenti, ainsi que l’ambition du groupe.

Les Anglaises définissent volontiers leur style comme de la pop baroque, induisant une théâtralité assumée. La dramaturgie de “Caesar On A TV Screen” abonde dans ce sens, le groupe déployant une emphase grandissante au gré des montées enflammées de sa chanteuse. (“Et juste une seconde, je pourrais être l’un des grands. Je serai César sur un écran de télé, champion de mon destin. Personne ne pourra me dire d’arrêter, j’aurai tout ce que je veux, n’importe qui. Et tout le monde m’aimera alors !“).

Le fil conducteur est maintenu par les capacités vocales assez irrésistibles d’Abigail Morris, passant sans effort d’une grave profondeur aux aigus les plus aériens. On retrouve énormément de Kate Bush, dont le spectre se répand sur “Burn Alive” et “The Feminine Urge”. Cette voix contraste délicieusement avec le classicisme des instruments, projetant une impertinence et une personnalité que l’on devine aussi passionnante et complexe que le rythme.

Imparfait mais captivant

Le groupe semble prendre un malin plaisir à s’écarter systématiquement du chemin menant à la facilité. La démesure se poursuit sur la quasi-christique “Gjuha”, et sa chorale chantée en albanais (!), sur laquelle la claviériste Aurora Nishveci exprime sa honte de méconnaître sa langue maternelle. Un aveu renforçant avec sincérité les nombreux thèmes de l’album, entre quête d’identité et préoccupations actuelles.

Les textes sont marqués par une dramaturgie toute littéraire. Affectionnant tout particulièrement de verser dans le romanesque (“et je tombe comme les feuilles sur Leningrad. Je suis tes traces quand je ne peux pas te tenir la main“), la formation n’a néanmoins pas sa langue dans sa poche. Les Britanniques nous montrent qu’elles peuvent passer de métaphores cryptiques (“c’est la seule chose que je sais faire, rendre les clefs rouges et mes lèvres bleues“), à des textes crus, assénés sans concession (“est-ce que tu te sens comme un homme quand je ne peux pas répondre ? Tu me veux, ou tu souhaites le contrôle ?“).

Les changements de rythme sont légion et pourront tour à tour émerveiller, puis décontenancer. En effet, cette détermination à ne se fixer aucune limite peut agacer certains. Le groupe marche sur une ligne de crête, où il peut être facile de glisser au détour d’un excès. “Lady Of Mercy” est assez symptomatique de l’ambiguïté autour des compositions. Le titre bénéficie de couplets excitants, portés par la gouaille de son interprète. Pourtant, le refrain freine ce bel élan par une surenchère d’instruments. Un travers où tombe par moment l’autre titre punchy du disque “Sinner”, par ailleurs truffé de bonnes idées.

Tout de futures grandes

S’il apparaît un excès ponctuel d’énergie, ces prises de risques sont en grande majorité gagnantes et parviennent à concilier couplets addictifs et refrains fédérateurs. Le tournant de l’ensemble est atteint sur la poignante ballade “On Your Side”, dont le refrain concrétise pleinement les attentes. Absolument déchirant, ce titre au texte plus direct a tout pour illustrer plus d’une citation Booktok (“Quand il est 4h du matin, et que ton cœur se brise, je te tiendrai la main. Pour les empêcher de trembler“). Cette douceur se poursuit sur “Beautiful Boy”, portée par des harmonies propulsant le délicat piano vers un bouquet final d’une délicatesse folle.

Placé en avant-dernière position, on en oublierait presque la présence du tube “Nothing Matters”. Il a pourtant le bon goût d’introduire une immédiateté rafraîchissante, intelligemment intercalée entre les deux plus longs morceaux de l’ensemble. Les plus cinématographiques aussi.

“Portrait Of A Dead Girl” est une aventure musicale en elle-même. Émaillée de pianos classieux, Morris dévoile la pleine capacité de ses arabesques vocales, soutenant des tirades enflammées. Une éclatante démonstration de leur palette ! La formation tire sa révérence sur la longue “Mirror”. Ce morceau de plus de cinq minutes démontre une ultime facette, celle d’une sombre profondeur dont l’intensité et les guitares libérées s’inséreraient facilement sur la BO d’un film d’espionnage. S’achevant sur le retour à la musique classique, cette conclusion nous invite à relancer la boucle, nécessaire pour apprécier à sa juste mesure un album qui ne livre sa quintessence qu’après plusieurs écoutes.

Si certains excès rappellent parfois que le mieux est l’ennemi du bien, il serait malhonnête d’oublier la jeunesse de la formation. On ne peut décemment demander à un groupe découvrant l’écriture d’avoir la maturité et la mesure nécessaires, quand bien même il a été porté aux nues dans des proportions phénoménales. On attend plutôt qu’il montre une personnalité, une couleur et une identité suffisamment solides. Prelude To Ecstasy est en ce sens une superbe carte de visite, une invitation à sortir des sentiers battus. Il se dégage incontestablement une aura, une singularité qui ne demande qu’à être explorée. Les perspectives s’annoncent donc extrêmement excitantes et augurent du meilleur pour peu qu’on laisse ces promesses grandir. The Last Dinner Party, les Victor Wenbanyama de la scène pop rock anglaise.

Informations

Label : Universal Music / Island Def Jam
Date de sortie : 02/02/2024
Site web : www.thelastdinnerparty.co.uk

Notre sélection

  • On Your Side
  • Nothing Matters
  • Beautiful Boy

Note RUL

 4/5

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