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Linkin Park – Meteora 20th Anniversary Edition

Il y a vingt ans, les Californiens de Linkin Park confirmaient leur statut de groupe incontournable de la scène metal, trois ans après le succès critique et commercial de Hybrid Theory (2000). Plus qu’un recueil de chanson, Meteora est un passeur, réussissant l’exploit d’ouvrir un monde de possibilité musicale à des adolescents biberonnés aux radios mainstream. On ne compte plus les témoignages d’artistes et d’amateurs de rock/metal relatant le déclic qu’a été la découverte de cet album. Pour son vingtième anniversaire, le groupe nous invite à replonger dans cette œuvre mythique, enrichie de contenu inédit pour l’occasion.

Une alchimie au service du rythme

Annonciatrice de l’onde de choc à venir, la vitre brisée concluant l’intro “Foreword” nous propulse dans un tourbillon nommé “Don’t Stay”. Impossible de résister à l’envie de pousser le volume à fond, pour profiter d’une distorsion catchy en diable et des scratchs du DJ Joe Hahn. Ponctué par les screams de Chester Bennington, ce morceau happe instantanément l’auditeur dans un déluge d’énergie. Les “stay” en écho nous emmènent à un pont dévastateur, où la voix doublée de Chester ferait headbanger un mort. Une transition soyeuse nous fait alors découvrir sa complémentarité avec le rap de Mike Shinoda sur “Somewhere I Belong”. Il se dégage de cette piste une aura presque apaisante, qui montre une facette beaucoup plus mélodique des Américains. Les accélérations sont toujours présentes, mais jouent ici un rôle d’exutoire, au service d’un texte universel, où souffrance et quête de résilience se côtoient (je veux guérir, sentir que je suis proche de quelque chose de réel. Je veux trouver quelque chose que j’ai toujours voulu. Quelque part où je me sens chez moi”). Ce mélange de mélancolie, d’énergie cathartique et de mise à nu, contribue pour beaucoup dans le fait que tant de personnes se sentent connectées à ce Meteora.

La complémentarité Chester/Mike est bluffante tout au long du disque, à l’instar d’un “Lying For You”, qui voit les deux compères se relayer pour finir en symbiose sur un pont surpuissant. Dans une œuvre remplie de tubes marquants, cette réédition est l’occasion de redécouvrir certains morceaux moins connus. “Figure.09” est certainement le plus sous-estimé de l’ensemble. Cette bombe mélodique prend le meilleur des deux vocalistes, au service d’un shoot d’adrénaline irrésistible. “Easier To Run” offre une accalmie par la douceur de son interprétation, rappelant le “Crawling” de Hybrid Theory. En revanche, le temps n’a pas bonifié “Hit The Floor”, de loin la chanson la moins aboutie, qui pêche par un coté trop linéaire.

Un recueil de chefs d’œuvre intemporels

Si la première moitié du disque est très bonne, la seconde fera entrer l’album dans la légende. Véritable tournant, les premières notes introduisant “Faint” sont de celles qui annoncent un grand morceau. Structuré autour d’un violon lancinant, l’énergie déployée consacrera ce titre comme l’un des plus percutants du répertoire de LP en live. L’alchimie entre sample électronique et énergie metal a posé les jalons de toute la scène metalcore actuelle, incarnée notamment par Bring Me The Horizon. Pour évoquer cette énergie, le terme déflagration est souvent galvaudé au sein des chroniques musicales. Pourtant, comment mieux décrire l’effet produit par le chef d’œuvre “From The Inside” ? Le contraste entre la douceur des couplets et son refrain pachydermique est saisissant, s’achevant sur un break dévastateur. “I won’t waste myself on you“. On peut aisément imaginer à quel point ce passage a constitué un exutoire pour toute une génération.

Son clip est, à ce titre, un modèle du genre, dans sa capacité à renforcer la charge émotionnelle. A cet égard, l’esthétisme manga de “Breaking The Habit” a toujours quelque chose de fascinant. Co-dirigé par M. Hahn, le DJ réalise un véritable travail d’orfèvre sur ce morceau. Multipliant les effets, il parvient à véritablement instaurer une ambiance hypnotique, magnifiant le chant clair de Bennington. Détonnant dans un album de neo metal !

Globalement, la diversité de Meteora laisse pantois : le groupe nous propose coup sur coup un titre mâtiné d’électronique, un brulot neo metal, un rap porté par une flute japonaise (“Nobody’s Listening”) et un instrumental 100% scratch (“Session”). Même cet intermède arrivera à titrer son épingle du jeu, en intégrant la B.O. de Matrix avant d’être nommée aux Grammy Awards. Signe d’un disque qui se déguste de la première à la dernière note, Linkin Park achève ce monument par l’hymne rock parfait, “Numb”. Tout dans ce morceau est parfaitement dosé. Le gimmick d’intro au clavier, la voix émouvante, l’explosion du refrain et un pont destiné à vibrer à l’unisson dans le cœur de millions d’êtres humains. Un point d’exclamation magistral à une œuvre intemporelle.

Ces chansons séduiront d’ailleurs largement au delà des frontières du rock ou du metal, poussant le rappeur Jay-Z à sortir de sa retraite pour la collaboration légendaire Collision Course (2004). De cette session sortiront “Numb/Encore” ou l’incroyable “Dirt Off Your Shoulder / Lying From You”.

Des bonus chargés en émotion

Désireux de fêter comme il se doit les vingt ans de cet album, le groupe a prévu pas moins de quatre-vingt neuf extraits, composés de démos, captations live et inédits. Preuve de l’engouement suscité, l’inédite “Lost” a déjà été streamée plus de cent millions de fois en un mois. Impossible de ne pas ressentir l’émotion au moment de retrouver la sublime voix du regretté Chester. Ce shot de nostalgie nous rappelle à quel point ce timbre était unique, par sa capacité à insuffler du réconfort dans la puissance déployée. Étonnamment, l’arrangement fait davantage penser aux sonorités de l’ère Living This (2012). “More The Victim” est, en revanche, du Meteora pur jus. Porté par un Shinoda à son meilleur, la structure refrain irrésistible/pont surpuissant n’a rien à envier à d’autre morceaux issus de la sélection initiale. Définitivement LE moment qui nous fait replonger en 2003.

“Healing Foot” porte également cette familiarité, de ce qui semble être un préquel ayant conduit à “Easier To Run” et “Figure.09”. La bien nommée “Massive” penche davantage du coté démo, nous en montrant juste assez pour nous faire regretter une version finale plus aboutie. Enfin, “Fighting Myself” apparait plus dispensable, en dehors d’un pont faisant écho au “Papercut” du premier disque.

Cette édition vingtième anniversaire propose également de revivre les prestations live emblématiques de cette période. Si les exemples sont trop nombreux, on retrouvera notamment la reprise de Nine Inch Nails “Wish”, l’apparition du chanteur de Korn Jonathan Davis sur “One Step Closer”, le mash up “Step Up/Nobody’s Listening/It’s Goin’ Down”, le remix “P5hng Me A*wy” ou encore le pont démentiel de “A Place For My Head” du mythique Live in Texas.

A quoi reconnait-on un disque légendaire ? A la qualité des compositions, certes. A la façon dont il traverse les modes et les époques, bien sûr. Mais aussi et surtout au nombre de personnes qu’il a inspiré. Vingt ans après, Meteora réussit l’exploit de rester extrêmement moderne, et d’avoir un impact générationnel que peu de groupe du XXIème siècle peuvent revendiquer. Si le défi de passer après un Hybrid Theory ayant fait l’unanimité était quasi-impossible, ce second effort parvient à conjuguer continuité et identité propre. Une œuvre iconique, tout simplement.

Informations

Label : Warner Music
Date de sortie : 07/04/2023
Site web : www.linkinpark.com

Notre sélection

  • Numb
  • From The Inside
  • Breaking The Habit

Note RUL

 4,5/5

1 Commentaire

  1. 20 ans après, toujours aussi bon ! Merci pour ce très bel article, qui rend hommage à un album incroyable (qui, pour moi, devance Hybrid Theory)

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