Chroniques

Keren Ann – You’re Gonna Get Love

Quinze ans et six albums plus tard, Keren Ann est toujours présente, malgré une absence notable de cinq années. Si ses deux premières offrandes rendaient un magnifique hommage à la langue de Molière, “You’re Gonna Get Love” marque déjà son cinquième album dans la langue de Shakespeare.

Ce septième opus est l’aboutissement d’une campagne de crowdfunding, illustrant les difficultés à perdurer dans ce monde impitoyable qu’est la musique. Toujours dans une veine pop folk bien à elle, Keren Ann propose une ambiance introspective, où la femme semble se mettre à nue. Mais les codes ont changé et l’entrée fracassante d’un enfant dans sa vie peut l’expliquer. On ressent une complaisance magnifiée de la douleur, une ode à la souffrance – légère, parfumée mais perceptible – et des émotions si neutres et pourtant si alambiquées qu’elles s’en trouvent contradictoires.

La musique de Keren Ann a changé et il n’y a que des questions qui restent seules, sans réponses : le premier single à la voix “fatiguée” sur “Where Did You Go?” où la chanteuse rend hommage à son père décédé. Que ce soit les lignes de basse ronronnantes de “Bring Back” aux sonorités presque orientales de “My Man Is Wanted But I Ain’t Gonna Turn Him In” en passant par l’éponyme “You’re Gonna Get Love” et sa magnifique instrumentale, Keren Ann nous montre que ces cinq années de vie lui ont permis de nourrir son répertoire musical. L’artiste nous propose ici un disque qui, plus que par le passé, hypnotise par ses ambiances lancinantes dont le temps se fait une joie de nous déployer, écoute après écoute, les subtilités. La délicatesse est toujours de mise avec les arpèges des mélancoliques “The Seperated Twin” et “You Knew Me Then” qui viennent satisfaire notre soif d’émotion, bien installée après ces cinq années.

Mais d’autres morceaux, trop classiques et ordinaires ne sortent pas du lot et se retrouvent tristement noyés au milieu d’un album dont l’on ne fait qu’effleurer le sens sans jamais vraiment saisir l’entièreté du propos. On voit la beauté du chemin mais Keren Ann nous perd au beau milieu de ce dernier. Il y a la douce odeur du café le matin, la lumière affaiblie d’une bougie le soir. Il y a cette mélancolie, douce-amère, omniprésente mais qui ne prend pas systématiquement : la très jazzy “Insensible World” dont seules les quelques notes arrachées d’un piano parviennent à convaincre, la mélodie entêtante de “Again And Again” qui, malgré les écoutes répétées, ne parvient pas à se faire accepter.

La fin de l’ensemble s’essouffle, dû à un rythme qui n’évolue pas ou trop peu, cette nouvelle dimension hypnotique risquée et surtout des structures et des arrangements bien trop évidents. L’ennui n’est jamais loin, même si jamais tout à fait présent. L’équilibre instauré lors des premières chansons finit par s’effondrer jusqu’au final “You Have It All To Lose” sauvé par un texte magnifique. Si les prises de risques sont trop rares et l’organe vocal de Karen Ann semble avoir perdu de son intensité, car trop timide, son authenticité artistique reste, elle, inchangée. En témoigne des textes sublimes et personnels. Il y a indéniablement un parti pris auquel on adhère ou pas et qui peut se résumer par les propres mots de Keren Ann : “Ecrire, c’est laisser la trace d’une émotion”.

Clairement en dessous de son prédécesseur, “101”, qui marquait également un tournant dans la vie de Keren Ann, “You’re Gonna Get Love” est donc un album en demi-teinte. Connaissant la carrière et le talent de la chanteuse, nous sommes en droit d’attendre plus. L’Israëlienne livre très certainement son essai le plus personnel et on ne peut pas l’accuser de ne pas avoir changé sa formule, ce qui est un bon point. Mais à quel prix ?

Informations

Label : Universal Music / Polydor
Date de sortie : 25/03/2016
Site web : www.kerenann.com

Notre sélection

  • The Seperated Twin
  • Where Did You Go?
  • You’re Gonna Get Love

Note RUL

2.5/5