Ihsahn – IHSAHN

Figure incontournable de la scène black metal, Ihsahn n’a jamais hésité à tirer ses sonorités d’influences et de styles différents. Mais avec son dernier album éponyme, l’ancien frontman d’Emperor pousse la barre de l’expérimentation encore plus loin en proposant un diptyque ambitieux et puissant. IHSAHN est un disque en deux parties, l’une alliant metal progressif et arrangements orchestraux, l’autre proposant une version entièrement symphonique. Un son épique pour accompagner un récit héroïque : bref, un album concept qui fonctionne à merveille.

Album ou bande originale ?

Adepte du DIY, Ihsahn a auto-produit l’ensemble avec une idée en tête : incorporer une bande originale symphonique dans un arrangement metal, afin que les deux puissent fonctionner ensemble et séparément. Et c’est ce qu’il a fait. Impossible d’écouter l’une des deux versions sans être immédiatement assailli par des images filmiques : horreur, aventure, fantaisie s’enchaînent à merveille au rythme des envolées lyriques des violons et des riffs colériques des guitares. Le Norvégien a d’ailleurs admis dans une interview avoir été influencé par la cinématographie des paysages de son pays d’origine, au fil de promenades en pleine nature.

Le disque brouille nos sens avec délice, nous plongeant dans l’épopée de son protagoniste et nous amenant à deviner chaque étape de son voyage. Chaque instrument semble incarner un personnage différent dans le déroulement de l’histoire. On imagine aisément les guitares effrénées de “PILGRIMAGE TO OBLIVION” dans le rôle de l’antagoniste; les violons, qui surplombent souvent l’arrangement, sont à la fois témoins et narrateurs du récit, apportant fluidité et repères dans cet univers chaotique. Dans la version symphonique, notre écoute est plus tranquille, et les émotions relayées par chaque chanson s’expriment différemment. Une inventivité conceptuelle qui permet à Ihsahn de jouer avec l’intentionnalité de ses arrangements, et de nous proposer deux interprétations différentes de la même histoire.

Un périple à plusieurs péripéties

Si la tonalité de l’ensemble relève presque tout le temps de l’héroïque et du lyrique, on constate un vrai travail de variation, surtout vers la fin, qui éloigne l’écœurement. Là où les premiers titres s’enchaînent en évoquant un sentiment de hâte mêlé à l’horreur, “A TASTE OF THE AMBROSIA” nous offre un peu de répit. Le tempo est plus lent, le riff moins saccadé, et la guitare lead a le premier rôle avec ses envolées pleines de mélancolie. Puis soudain, une rupture, comme si un drame venait de se produire : les instruments s’unissent pour activer à nouveau un sentiment de malaise et d’empressement.

D’autres virages inattendus surviennent sur des morceaux comme “BLOOD TRAILS TO LOVE”, avec ses refrains aux sonorités presque pop – rappelant Pharos, son EP sorti en 2020 – ou “HUBRIS AND BLUE DEVILS” et ses variations d’intensité incessantes. On a du mal à suivre, mais c’est assumé : on est dans la peau du personnage principal, on affronte ses péripéties. Comme une lueur d’espoir et de légèreté au milieu du chaos, “AT THE HEART OF ALL THINGS BROKEN” détone par son ambiance plus apaisée, laissant la place à de magnifiques guitares arpégées. Une sorte d’ultime appel avant une fin inévitable et désespérée symbolisée par la reprise d’un dialogue instrumental assourdissant. Et une conclusion tout en douceur, portée par les violons de “SONATA PROFANA” qui semblent annoncer l’échec du héros.

IHSAHN est un album vivant et évocateur suivant le récit désespéré d’un protagoniste en proie à des démons extérieurs et intérieurs. L’intensité instrumentale, l’homérisme de l’atmosphère et des paroles, et la prédominance de tempos élevés rappellent des influences venues tout droit du power metal. Le disque est une réussite expérimentale et conceptuelle, et nous force à nous rendre à l’évidence : Ihsahn n’a pas fini de repousser les limites de la créativité sur la scène metal.