Chroniques

Enter Shikari – The Mindsweep

Il est bien connu et répété qu’Enter Shikari n’a jamais fait dans la norme, et n’a même jamais essayé, d’ailleurs. Véritables ovnis de la scène depuis leurs débuts, les Britanniques avaient annoncé, il y a un an, se retirer quelques temps afin de se pencher sur leur quatrième album, produit une fois de plus par Dan Weller. L’heure est venue de découvrir “The Mindsweep”, et une chose est sûre : les Anglais sont forts. Très forts.

Le voici donc, le fameux successeur de l’admirable “A Flash Flood Of Colour” (2012). Quelle tâche de devoir réaliser une chronique sur ce petit bijou, se focaliser sur certaines chansons et par définition, être obligée d’en laisser de côté. Chaque piste est véritablement exquise et mérite attention, car en effet, au risque de spoiler un peu trop vite la suite de l’analyse, il n’y a pas un seul déchet dans ce disque. “The Mindsweep” commence alors avec “The Appeal & The Mindsweep I”, faisant office de prélude. Rou Reynolds vient poser sa voix distinctive sur une mélodie ponctuée d’effets électroniques et introduit l’album en spoken word, s’adressant directement à l’auditeur. Peu après, les fûts de Rob Rolfe s’immiscent et donnent plus de profondeur à cet ensemble rythmique, alors que les cordes de Rory C et Chris Batten tâchent de fignoler la mélodie, dynamisée par un crescendo atteignant son paroxysme à la première phrase d’un refrain rageur : “I am a mindsweeper, focus on me!”. Une première chanson qui prend -déjà- aux tripes, et qui témoigne surtout d’une urgence. La même urgence qui pousse Enter Shikari à se servir de sa musique afin de diffuser un message, secouer le peuple de son apathie face à la situation dans laquelle le monde actuel se trouve et l’encourager à observer, raisonner et remettre en cause les pensées conventionnelles trop largement ancrées dans la société. “Anaesthetist” pour preuve : cette piste, dynamique et terriblement efficace, s’inscrivant comme l’une des meilleures de l’ensemble, est une critique de la privatisation de la NHS (ndlr : National Health Service, le système de la santé publique du Royaume-Uni). Les paroles de cet opus, comme sur les précédents efforts des Britanniques d’ailleurs, sont alors en lien étroit avec les problèmes de notre génération, mais possèdent cependant une griffe plus philosophique et surtout scientifique, comme l’évoque clairement l’artwork. Ni trop ni pas assez, “The Last Garrison” est un parfait équilibre entre chant clean et scream, tempo lent et rapide, douceur et brutalité, et endosse à merveille le rôle de premier single, représentatif d’un disque plus modéré que les premiers, mais d’une richesse incontestable. Les mélodies ont nettement progressé depuis “Take To The Skies” (2007), le chant aussi; les premières notes de “Myopia” laissent entendre un frontman montant très haut avant d’activer en un dixième de seconde la fonction scream de ses cordes vocales, mettant à l’épreuve les différentes facettes de son talent et livrant un morceau harmonieux et puissant à la fois. Mais les quatre Britanniques fourmillent d’idées et ne s’arrêtent pas là : ils poursuivent leur effort à contre-courant de tout ce que l’on s’attendait à entendre avec trois minutes de démence profonde, dans le sens clinique du terme. La dénommée “There’s A Price On Your Head” est l’un des exemples les plus probants de l’évolution artistique de la bande de St Albans, qui offre ici une musique hybride, comprenant violons, corne de brume, et même possiblement un ney ou rabâb (flûte et instrument à cordes populaires au Moyen-Orient et Maghreb) en plus du combo guitare-basse-batterie-programmation électro du quatuor, soulignant la diversité délicieuse de ce titre arabisant rappelant vaguement System Of A Down et plus généralement, de ce quatrième album. L’écoute se prolonge avec une surprise de plus, “Dear Future Historians…”, une magnifique ballade au piano, faisant écho à d’autres morceaux plus lents de leur discographie tels que “Today Won’t Go Down in History” et “Adieu” [“Take To The Skies”], “Gap In The Fence” [“Common Dreads”] ou encore “Constellations” et Stalemate [“A Flash Flood Of Colour”]. Six minutes trente de délicatesse avant d’être plongés dans le chaos de “The Appeal & The Mindsweep II”, venue conclure sur un ton épique un album passé bien trop vite. On se perd dans la folie de cette dernière chanson presque cacophonique où trompettes et violons se mêlent à un brouhaha de guitares, grosses caisses et aux paroles grognées par Mr Reynolds, qui fera un clin d’œil à quelques lignes de la célèbre “Sorry You’re Not A Winner” et tirera sa révérence sur une citation latine d’Horace, “Mutato nomine, de te fabula narratur” : “Change le nom, ce sera ton histoire.”

Si l’essence même de leur recette musicale demeure intacte, à savoir une savante fusion de post hardcore, électro, dubstep, math rock ou encore drum n bass, les quatre troublions tâchent avec ce nouvel effort studio d’éviter les pièges qui pourraient les mener à devenir des clichés d’eux-mêmes et par extension, poussent leur réflexion artistique au-delà de l’univers qu’ils avaient bâti jusqu’à présent. Car oui, “The Mindsweep” se veut encore plus mirifique que ses prédécesseurs. Chaque chanson possède sa propre identité et son lot de surprises, et même si tant de diversité peut déstabiliser à la première écoute, l’ensemble fonctionne à merveille. Son style est toujours indéfinissable, toujours situé sur le maigre espace qui sépare deux genres musicaux, la formation réussissant une fois de plus à s’affranchir des cases dans lesquelles on aimerait la ranger bien sagement. Intelligent et varié, “The Mindsweep” laissera de manière certaine son empreinte en 2015 et prouve une fois de plus qu’Enter Shikari n’a pas fini de nous surprendre.

Informations

Label : Ambush Reality / PIAS
Date de sortie : 19/01/2015
Site web : www.entershikari.com

Notre sélection

  • Anaesthetist
  • The Appeal & The Mindsweep I
  • There’s A Price On Your Head

Note RUL

4.5/5

Ecouter l’album