Après le tunnel introspectif de Subtract et Autumn Variations, Ed Sheeran rallume les néons. Play, premier volet d’une nouvelle série d’albums “boutons de télécommande“, promet l’échappée belle : rythmes d’Asie du Sud et de l’Ouest, énergie dance, refrains XXL. Le tout cadré par une ouverture très littérale (“Opening”) où l’Anglais solde les années noires – décès de Jamal Edwards, maladie de sa femme – et rappelle ses victoires au tribunal. Sur le papier, l’arc narratif est clair : renaissance, curiosité, envie de danser. Dans les faits, Play réhabilite l’Ed touche-à-tout… sans renier l’Ed le lover, celui qui alimente les playlists de premières danses. C’est bien, mais pas tout à fait la mue qu’annonçait le marketing.
Retour en couleurs… mais Ed reste Ed
La force tranquille de Sheeran, c’est cette constance mélodique : peu importe le décor, on reconnaît la griffe. Ici, l’album s’ouvre sur une confession en fingerpicking qui bascule en rap sèchement scandé, avant de multiplier les respirations soul et folktronica. On y entend un artiste relevant la tête, lessivé mais combatif, avec ce talent intact pour l’accroche immédiate. Problème : la moitié du disque ré-emprunte l’autoroute des grandes ballades, impeccables d’orfèvrerie, parfois interchangeables. “Camera”, “The Vow”, “For Always”, “Heaven” : c’est la fabrique à slow au rendement quasi industriel. Efficace, indéniablement. Surprenant, moins.
Le tour du monde en pointillés
Là où Play électrise, c’est quand Sheeran pousse vraiment les murs. “Sapphire” (avec Arijit Singh) capte une étincelle de pop globale qui sonne naturelle, pas collée-dessus. “Don’t Look Down” (co-écrit avec Fred again..) propulse sa voix dans une pulsation psy/house qui lui va étonnamment bien. “Symmetry” démarre sur percussions et voix indiennes avant de dériver vers une pop spectrale dopée au sub-bass. Et “Azizam”, avec ses éclats persans, installe un parfum différent – même si l’ossature reste très occidental. L’impression persiste que ces influences enrichissent la palette sans renverser la recette : plus de couleurs sur la toile, mais le même paysage.
Le cœur sur la table, l’autopilote pas loin
Entre deux escapades, Sheeran revient à son terrain de prédilection : l’émotion simple et humaine. “Old Phone” touche juste, simple et franc, quand “In Other Words” croque les détails du quotidien avec une tendresse qui désarme. Ailleurs, l’écriture se cabre : “A Little More” laisse filtrer une colère rare chez lui, acide et salutaire. Et “Opening” condense le manifeste : famille, santé mentale, célébrité, “remplaçants” à portée de regard. On aurait aimé que cette veine plus abrasive infuse davantage le disque. Play avance, mais regarde encore souvent en arrière, comme s’il fallait rassurer le monde entier et ses algorithmes en même temps.
Play réussit sa mission “c’est bien” : un Sheeran regonflé, des tentatives transfrontalières convaincantes, et des ballades ciselées pour les grandes émotions. Mais l’album reste un compromis prudent : la curiosité s’invite, elle ne gouverne pas. On quitte le disque avec de vrais sommets, et la sensation qu’un pas de plus – plus audacieux, plus assumé – aurait pu le transformer.
Informations
Label : Warner Music
Date de sortie : 12/09/2025
Site web : www.edsheeran.com
Notre sélection
- Sapphire
- Old Phone
- In Other Words
Note RUL
3,5/5