Chaque nouvel album des Deftones est un événement. Mais private music s’est présenté comme une énigme. Annoncé avec parcimonie, dévoilé en avant-première lors de listening parties plongées dans le noir à Paris, Londres ou Tokyo, ce dixième disque s’est imposé comme une expérience sensorielle autant que sonore. Dès le départ, il est clair que Chino Moreno et ses compagnons ne cherchent pas à réinventer leur formule. Mais parviendront ils à la sublimer ?
Une œuvre habitée par l’expérience
Dès “my mind is a mountain”, le décor est planté. Le morceau débute dans une intensité sèche, martiale. Les riffs de Stephen Carpenter claquent comme des coups de tonnerre, avant de laisser place à des envolées aériennes portées par la voix de Chino Moreno. La tension permanente entre le poids des guitares et la légèreté des mélodies est juste parfaite.
Dans ses interviews, Chino Moreno confie que ce disque est marqué par sa sobriété retrouvée. Ce choix personnel irrigue l’ensemble d’une clarté nouvelle, comme si chaque note et chaque mot étaient plus pesés, plus incarnés. Le titre private music, tiré d’un simple dossier oublié sur son bureau, symbolise cette démarche : une musique intime, tournée vers l’intérieur, mais partagée avec le monde.
De son côté, Stephen Carpenter a dû composer avec des problèmes de santé. Pourtant, son jeu n’a jamais semblé aussi tranchant, presque comme une affirmation de force malgré l’adversité. Avec Abe Cunningham à la batterie, toujours moteur du groove, et Frank Delgado aux textures électroniques, le groupe déploie une toile dense et immersive. C’est l’expérience d’un collectif qui se connaît par cœur, mais qui continue de repousser ses propres limites.
Des contrastes assumés
Ce contraste traverse tout l’album, comme une signature devenue langage. Deftones ne choisit pas entre chaos et apaisement, il embrasse les deux. “infinite source” balance entre une dream pop planante et des coups de boutoir métalliques. “souvenir” alterne douceur indie et riffs titanesques, comme un dialogue constant entre deux univers sonores. La frontière entre metal et pop atmosphérique se brouille. Chaque transition surprend, chaque bascule crée une émotion nouvelle.
Avec “locked club”, la section rythmique menée par Abe Cunningham explose dans une syncopation presque industrielle. Le morceau illustre l’agressivité brute du groupe. À l’opposé, “departing the body” vient clore l’album dans un souffle éthéré. Le morceau donne cette impression de libération après la tempête. Ces extrêmes ne s’annulent pas. Ils cohabitent et donnent à l’album sa puissance émotionnelle.
Des paroles entre mystique et psyché
private music brille aussi par la richesse de ses thèmes. “milk of the madonna” convoque une imagerie mystique et spirituelle, évoquant une forme de nourriture divine. La chanson s’écoute comme une transe, à mi-chemin entre extase religieuse et perte de repères. “ecdysis”, terme biologique désignant la mue des insectes, devient une métaphore de transformation intérieure. La voix de Chino plane au-dessus de synthés nerveux, donnant corps à cette idée de peau abandonnée, de passage d’un état à un autre.
Dans l’ensemble, les textes explorent la psyché, la nature et le sacré. Beauté et danger cohabitent, comme deux faces d’une même pièce. Fidèle à son habitude, Chino Moreno ne donne pas de réponses claires. Ses paroles sont des fragments poétiques, ouvertes à l’interprétation, qui renforcent l’atmosphère hypnotique du disque.
Un groupe toujours essentiel
Avec private music, Deftones confirme son statut rare. Celui d’un groupe capable de séduire de nouveaux auditeurs sans perdre ses fidèles. En effet, après près de trente ans de carrière, il prouve qu’il n’a rien perdu de son intensité. Mieux, il gagne en profondeur.
Ce disque ne cherche pas à plaire par la surenchère. Il touche parce qu’il ose l’ambiguïté, les silences, les contradictions. Entre rage métallique et rêverie onirique, private music impose son rythme, intime et colossal à la fois. Deftones livre un disque à la fois intime, massif et poétique.
Informations
Label : Warner Music
Date de sortie : 22/08/2025
Site web : www.rockurlife.net
Notre sélection
- my mind is a mountain
- ecdysis
- departing the body
Note RUL
4,5/5