Onze ans après Somewhere Under Wonderland (2014) et quatre ans après le prometteur Suite One (2021), Counting Crows livre enfin Butter Miracle, The Complete Sweets!. Un titre à rallonge pour un projet longuement mûri, né d’une remise en question artistique profonde et transformé en un album-concept où chaque morceau s’enchaîne comme un chapitre d’une même histoire. À contre-courant des tendances, Adam Duritz et ses acolytes choisissent l’intime plutôt que l’éclat, la finesse plutôt que le clinquant. Résultat : un disque dense, élégant et terriblement touchant.
Une renaissance inspirée
À l’origine, Butter Miracle devait n’être qu’un diptyque d’EPs. Mais, insatisfait par la direction prise par la seconde partie, Adam Duritz a tout repris à zéro : il réécrit, affine, repense l’architecture même du projet. De cette remise à plat naît cette “complete sweet“, une suite musicale au sens presque classique du terme, où les morceaux se fondent les uns dans les autres avec une fluidité exemplaire.
Dès “With Love From A-Z”, le décor est planté. Les guitares se croisent et se répondent avec délicatesse, la production laisse de l’air, et la voix de Duritz – toujours aussi fragile et habitée – nous embarque dans un voyage émotionnel oscillant entre mélancolie douce et lumière en pointillés. Ce disque sonne comme une réconciliation : avec le temps qui passe, avec une carrière pas toujours simple à porter, et avec cette notoriété qu’il a longtemps rejetée. “Spaceman In Tulsa”, sans doute le titre central de l’album, illustre cette mue. Mi-autoportrait, mi-hommage à tous ceux qui vivent pour jouer, il condense à lui seul toute l’âme de ce projet. “I’m a pain killer / And I’m a caterpillar / I’m a motherfucking rock and roll star” : impossible à chanter autrement qu’avec le cœur.
L’art du storytelling musical
Le storytelling a toujours été l’arme fatale des Crows. Depuis August And Everything After (1993), Duritz n’a cessé de construire des récits en chansons. Mais avec Butter Miracle, il pousse l’exercice encore plus loin : ici, chaque titre est une scène, chaque personnage une ombre de lui-même. Il y a Bobby And The Rat-Kings, l’ange de la 14e rue, ce spaceman paumé ou encore les figures silencieuses de “Virginia Through The Rain”… autant de silhouettes qui viennent hanter ce disque comme les pages d’un roman musical à ciel ouvert.
Et pourtant, malgré cette densité narrative, jamais la musique ne s’enlise. Bien au contraire : elle coule, s’enchaîne, respire. Les quatre titres de Suite One – notamment “The Tall Grass” et “Elevator Boots” – trouvent ici un nouvel écrin, revisités dans un mixage plus clair, mieux intégré à l’ensemble. Le tout évoque une comédie musicale sans emphase : une suite pop rock à la fois accessible, riche et soignée, qui évite l’écueil du format trop intellectuel. C’est une histoire, mais une histoire que l’on vit plus qu’on ne l’analyse.
Une modernité maîtrisée
Loin de céder à la nostalgie pure, Butter Miracle s’impose comme une œuvre profondément actuelle. Oui, les influences americana sont là : guitares acoustiques, pianos folk, harmonies vocales… Mais Counting Crows ne singe pas son passé. Il l’étire, le modèle, lui donne une forme nouvelle. Une fraîcheur discrète traverse ces compositions, qui ne sonnent jamais datées et restent fidèles à l’identité musicale du groupe
Le travail stéréo sur les guitares est d’une précision chirurgicale, les arrangements sont à la fois sobres et riches, et la section rythmique soutient le tout avec élégance. Le groupe joue ensemble depuis tellement d’années qu’il n’a plus rien à prouver – et cela s’entend. Cette aisance transpire de chaque morceau, et donne au disque une authenticité rare.
Même les titres les plus mélancoliques – “Under The Aurora”, “Virginia Through The Rain” – évitent soigneusement le pathos. La tristesse n’est jamais une pose : elle est vécue, digérée, transmise. Comme une conversation douce-amère avec soi-même. Et ça, c’est tout l’art de Duritz.
Avec Butter Miracle, The Complete Sweets!, Counting Crows signe un retour aussi inattendu que nécessaire. Un disque humble, lumineux, narratif et profondément humain. De ceux qui ne cherchent pas à crier leur excellence, mais qui la prouvent dans chaque respiration. À l’heure où tant de groupes des années 90 tournent en rond ou se contentent de recycler leur gloire passée, Counting Crows montre qu’on peut encore évoluer sans se trahir.
Informations
Label : BMG
Date de sortie : 09/05/2025
Site web : www.countingcrows.com
Notre sélection
- Spaceman In Tulsa
- Elevator Boots
- Under The Aurora
Note RUL
4,5/5