Retour fracassant pour Coroner ! Trente-deux ans après Grin (1993), le groupe suisse de technical thrash sort Dissonance Theory chez Century Media Records. Après un comeback scénique remarqué en 2010 au Hellfest et les rumeurs d’un nouvel album dès 2014, c’est la fin d’une attente désespérée pour les fans. Avec ce nouveau chapitre, le trio de Zurich manipule l’espace-temps et efface trois décennies d’absence. Coroner prouve qu’il reste, plus que jamais, un pilier du metal européen.
Thrasher, métier d’art
Absolument tout dans ce nouveau disque transpire la qualité et l’artisanat de haut vol. À commencer par la magnifique pochette signée par l’artiste français Stefan Thanneur. Représentant une hélice d’ADN formée d’ossements, l’œuvre réalisée en dotwork a nécessité plus de 150h de travail. Une entrée en matière à l’image de la perfection recherchée par le groupe.
Tommy Vetterli, reconverti en producteur et ingénieur du son (Eluveitie, Tar Pond) a enregistré cet album par touches à la manière d’un maître impressionniste. Pendant dix longues années. Dix années marquées par des bouleversements personnels et professionnels. Divorce, deuils, pandémie, sans oublier le départ de Marky Edelmann. Parti en bons termes, le batteur parolier et membre fondateur du groupe consacre désormais son énergie au groupe de Doom’n’Gloom Tar Pond, formé avec feu Eric Ain (Celtic Frost).
Pour combler ce vide, Vetterli fait appel à Diego Rapacchietti, compagnon d’armes au sein de 69 Chambers. Les paroles seront écrites par le co-producteur Dennis Russ et l’auteure/éditrice américaine Kriscinda Lee Everitt. Malgré les remous, le trio prend son temps et façonne la matière pour former le premier disque dont Tommy se sent “fier à 100%“.
Vetterli déclare avoir jeté “50 riffs pour 1 seul présent dans l’album“. On reste cependant absolument soufflés par la quantité astronomique de riffs marquants. Que ce soit sur l’ouverture avec le thrashy “Consequence”, sur l’insidieux et hypnotique “Crisium Bond”, ou le dérangeant “Transparent Eye”, la puissance sonore submerge tout le reste. On se surprend même à s’arrêter pour tenter d’assimiler la gifle que l’on vient de se prendre. Ce moment rare où le son s’impose sur les autres sens.
La dissonance cognitive
Théorisée en 1957 par Léon Festinger, la théorie de la dissonance cognitive désigne cet état de tension interne né du conflit entre croyances, émotions, et réalité. Cette thématique, filée tout au long de l’ensemble permet au groupe d’aborder avec précision des idées complexes.
“Consequence ” dénonce les mirages de l’intelligence artificielle, où l’amusement et la paresse masquent une soumission technologique. “Sacrificial Lamb” plonge dans la psyché d’Anders Breivik, terroriste responsable de la tuerie de masse de 2011 en Norvège . Persuadé d’agir pour le bien de tous, il se révèle fatalement être un véritable ennemi de l’Humanité. Dénonçant cette rhétorique perverse, Ron Broder déclare à la fin du morceau : “Même une horloge coincée est juste deux fois par jour“. “The Law” explore la relation toxique entre les figures d’autorité et les individus soumis. Plus loin,”Trinity”, en clin d’œil au Dr Folamour de Stanley Kubrick, rappelle qu’un seul geste d’un homme fou peut précipiter l’apocalypse nucléaire.
Iste Ego Sum
Émergence du nu metal, massification des genres extrêmes, banalisation de la virtuosité, ou encore prolifération des dérivés core. Dire que la scène metal s’est littéralement métamorphosée en 30 ans n’est pas une exagération. “Avant de commencer à écrire, j’ai beaucoup réfléchi à comment devrait sonner le groupe aujourd’hui“, dit Vetterli avant de conclure “que ça ne faisait aucun sens” et qu’il avait décidé de simplement “s’asseoir et voir ce qui allait sortir“. Tommy, qui a profité du confinement pour devenir amateur de vin de Bordeaux a tiré une leçon de l’œnologie : le temps apporte la sagesse.
Et Coroner s’est bonifié, c’est vrai. Instantanément, on retrouve les ingrédients qui ont fait de la formation zurichoise le groupe culte qu’il est aujourd’hui. Une section rythmique dantesque tractée par une batterie acharnée et un jeu de basse implacable, des arrangements complexes, une guitare virtuose qui alterne entre riffs claustrophobiques et inspirations néo-classiques, jusqu’au phrasé autoritaire et décisif de Ron Broder. Tout y est. Trop avant-gardiste ? Trop complexe ? Trop froid ? Faisant fi des obstacles qui s’étaient autrefois mis au travers de sa route vers le succès, le Coroner 2025 est incandescent, ambitieux et organique.
Une chimie organique
L’ambivalence entre noirceur industrielle et chaleur réconciliatrice éclate dans “Consequence”, “The Law”, ou le schizophrénique “Transparent Eye”. Renouant avec les expérimentations déjà présentes dans le chef-d’œuvre contesté Grin, le groupe accorde une attention minutieuse au sound design. Les voix se noient dans des reverbs atmosphériques et des vocoders, tandis que les ambiances de guitares passent au travers de cabines Leslie. Des bruitages et des claviers viennent subtilement amplifier l’intensité des riffs et briser les linéarités. Un véritable travail d’orfèvre, enregistré “à l’ancienne“, et sans aucun sample selon Vetterli. C’est Jens Bogren qui se chargera du mixage de cet album ambitieux. Reconnu pour ses contributions avec Opeth, Rotting Christ ou Paradise Lost, il réussit à transposer le son Coroner avec pertinence dans le monde moderne sans en trahir son essence.
Le résultat est une œuvre vibrante et actuelle, dans laquelle coule tout l’ADN Coroner. Tommy, Ron et Diego, en scientifiques fous parviennent à trouver l’Agent Chimique X. Une molécule de vie qui ranime Coroner et lui donne toutes les clefs pour enfin accéder au succès qu’il mérite. Magistral.
Informations
Label : Century Media Records
Date de sortie : 17/10/2025
Site web : coronerofficial.com
Notre sélection
- Crisium Bound
- Consequence
- Transparent Eye
Note RUL
4,5/5