Chroniques

Deap Vally – Femejism

S’il y a bien une étape qui fait transpirer les jeunes groupes, se délecter les critiques prêts à dégainer les chroniques cinglantes et bouillir d’impatience les fans avides d’avoir plus de dix morceaux à se mettre sous la dent, c’est bien celle du deuxième album. Prêtes à relever le défi, les deux Californiennes de Deap Vally remettent le couvert avec “Femejism”, trois ans après leur premier effort, “Sistrionix“. Saluées à l’époque par la critique et comparées à leur confrères fonctionnant en tandem et flirtant allègrement entre blues rock, alternatif et garage tels The Kills, The White Stripes et The Black Keys, Lindsey Troy et Julie Edwards viennent aujourd’hui confirmer qu’il faut désormais compter avec elles.

Le ton est donné d’emblée avec l’artwork : le nom de l’album “Femejism”, placardé sur des lignes distordues aux couleurs criardes. Car ce qui se cache derrière cette pochette, ce sont treize pistes qui se déroulent telles un pamphlet féministe impénitent, porté par des riffs blues graveleux et heavy, une voix furieuse et une touche glam pour égayer l’affaire. Déjà thèmes dominants dans “Sistrionix”, l’inégalité hommes-femmes, la misogynie et les différents standards imposés aux femmes font rugir Lindsey Troy plus fort que jamais dans ce nouvel effort.

L’entêtant single mi chanté/ mi parlé “Smile More” la transforme en conteuse indignée d’anecdotes misogynes tristement familières. Sur le furieux “Teenage Queen”, sa voix rocailleuse s’insurge contre l’âgisme et les attentes mises sur les femmes pour qu’elles restent jeunes à jamais. Alors que sa guitare crache un riff saturé et que Julie Edwards se fait tantôt frénétique, tantôt pesante derrière ses fûts, la chanteuse transforme le fameux adage “sex, drugs and rock n’roll” en “Snapchat, sex and cigarettes”.

S’il y a bien une chose à laquelle les deux acolytes excellent, c’est à balancer des pépites heavy et terriblement sexy, et elles le prouvent ici à maintes reprises. Les impérieux “Julian”, “Little Baby Beauty Queen” et surtout “Grunge Bond”, sur lequel la frontwoman se fait plus Alison Mosshart que jamais, témoignent d’une hargne intacte. Plus nonchalantes sur les langoureux “Royal Jelly” et “Bubble Baby”, les deux musiciennes envoient des riffs faussement brouillons rehaussés par des coups de baguettes puissants.

Mais si Deap Vally devait se résumer à un morceau, ça serait sûrement du côté de “Gonnawanna” qu’il faudrait regarder. Sorte d’incarnation de tout ce qui démarque le groupe, le morceau est fait de refrains lumineux scandant des slogans féministes et libérateurs, plongeant ensuite dans des couplets incisifs et nerveux presque rappés. Si le premier effort studio était légèrement monocorde, Deap Vally parvient cette fois à surprendre en sortant de son bon vieux blues grunge ardent. En s’aventurant vers des tonalités plus pop, comme sur les légers et dansants “Post Funk” et “Two Seat Bike”, mais aussi vers de horizons plus apaisés. Sortant de nulle part aux milieux de toutes ces déflagrations noisy, “Critic” ressemble à une ballade.

Loin de sa fougue habituelle, Lindsey Troy se lamente sur les blogueurs qui donnent leurs avis à tout va dans un morceau brutalement honnête. Sonnant presque comme une démo, il semble avoir été écrit dans une chambre d’hôtel sombre, enregistré sur place avec les moyens du bord, en plein milieu de la nuit, après quelques verres. Dans la même veine s’inscrivent les deux dernières pistes, le poignant “Turn It Off” et “Heart Is An Animal”, qui clôture l’ensemble sur un riff blues onctueux et une belle montée en puissance. Voilà qui confirme que les deux Californiennes savent faire plus que taper, gratter et hurler fort, pour ceux qui en doutaient encore.

Deap Vally reprend les choses là où elles les ont laissées et réussissent à garder la même ligne directrice sans pour autant refaire le même disque. “Femejism” est certes moins heavy que son prédécesseur, mais il est surtout plus audacieux et marqué par un vent de liberté. Quitter son gros label pour le financer par ses propres moyens n’y est certainement pas pour rien.

Informations

Label : Cooking Vinyl
Date de sortie : 16/09/2016
Site web : www.deapvally.com

Notre sélection

  • Gonnawanna
  • Teenage Queen
  • Turn It Off

Note RUL

4/5

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