Chroniques

Cigarettes After Sex – Cigarettes After Sex

A l’écoute de la musique lente, planante et mélancolique de Cigarettes After Sex, il est difficile d’imaginer que ce jadis modeste projet solo puisse rendre jaloux ceux qui font de la politique du chiffre leur premier objectif : le titre “Nothing’s Gonna Hurt You Baby” qui dépasse aujourd’hui 55 millions de vues sur YouTube, tout le monde le connaît sans même le savoir. Bouche à oreilles et auto play sur YouTube ont aidé Greg Gonzales et sa bande à se faire largement connaître. Depuis, ils ont joué dans le monde entier, dont un concert à La Maroquinerie, sold out en quelques jours à peine ! Mais la sortie de ce premier album éponyme appelle au constat : Cigarettes After Sex est-il un simple phénomène éphémère ou son talent peut-il lui permettre de perdurer ? Sûrement un peu des deux.

On pense à Low et autres grands noms du slowcore, on pense aussi à Angelo Badalamenti, auteur de la B.O. de “Twin Peaks” dont Greg ne cache pas avoir puisé l’influence. Et pourtant, ce premier effort, tout comme les deux EP, montre que la musique de Cigarettes After Sex est un produit unique et difficilement comparable à qui que ce soit. De la première à la dixième piste, le quatuor américain nous plonge dans une sorte de rêve musical et hypnotique où les guitares calmes et éthérées se déploient lentement pour faire la part belle à la voix unique et efféminée de Greg.

Il ne faut d’ailleurs pas se leurrer : le quatuor n’aurait jamais atteint des sommets sans le magnifique organe vocal de son géniteur. C’est une musique de pause, de flottement dans l’indicible, où aucun morceau ne domine l’autre, où la notion de “tubes” n’a pas sa place et où toute forme de lutte ou de comparaison semblent vaine. Plutôt ironique pour un artiste dont le thème central est l’amour, n’est-ce pas ? La basse solitaire d’un couplet n’attend qu’un bel arpège de guitare pour donner de la chaleur au refrain qui se profile. En cela, Cigarettes After Sex décrit bien l’attente et le mouvement mais sans jamais faire ressentir l’ennui habituellement inhérent à cette attente et au changement qu’il suppose. Aussi incroyable que cela puisse paraître, ce premier effort n’a aucune dominante : si “Apocalypse” présente peut-être une facette légèrement plus joviale, lumineuse et entraînante dans son refrain, cela ne semble que relever du hasard. Ce que l’on peut reprocher habituellement à un disque, qu’il soit monotone, lancinant, répétitif, neutre, des adjectifs qui ont certes ici leur place mais qui semblent plus servir la beauté et l’ambiance de l’opus que le contraire.

Des pistes comme “Flash” ou “Opera House”, dont la lenteur est poussée à l’extrême, ne laissent pas de marbre : la sensibilité coule à flot et même avec peu d’imagination, on se retrouve transporté dans des sphères bleutées et cotonneuses, où tout semble plus serein. “Truly” semble par exemple si sobre et presque naïve, qu’elle déconcerte et envoûte par son incroyable simplicité. L’effort de composition est incroyable et pourtant, si l’on décompose la musique des Américains, la guitare n’est pas nécessairement plus inspirée qu’un groupe de dream pop moyen. Mais la production, les arrangements et la touche de Cigarettes After Sex complètent le tableau et effacent les éventuelles lacunes. Une belle mélancolie barde l’ensemble d’une lumière, timide et légère.

“Sérénité”, c’est le mot qui pourrait le mieux décrire cette première offrande tant attendue. Toujours plus lent mais jamais désintéressant pour autant, Cigarettes After Sex livre un album qui fera date. Car si des artistes ont déjà œuvré dans cette sphère, personne n’avait jamais osé pousser les codes de la dream pop ou du slowcore (à quoi bon chercher un style pour décrire ce que l’on ne peut pas décrire ?) à l’extrême. Allongez-vous sur un lit, mettez de côté vos filtres Instagram, paramétrez votre vie en noir et blanc, allumez-vous une cigarette si vous êtes fumeur et laissez votre esprit s’imprégner de cette musique, qui elle, apparaît incroyablement saine en ces temps difficiles.

Informations

Label : Partisan Records
Date de sortie : 09/06/2017
Site web : www.cigarettesaftersex.com

Notre sélection

  • K.
  • Each Time You Fall In Love
  • Apocalypse

Note RUL

4/5