
Au Hellfest 2025, une nouvelle génération de groupe a commencé à prendre d’assaut les scènes avec une confiance décomplexée. Exit le culte des figures anciennes, bienvenue aux groupes qui expérimentent, mélangent, choquent, captivent. Si ces nouveaux groupes doivent encore se battre avec les mastodontes historiques pour occuper les Mainstages, c’est dans les friches bouillantes de la Warzone, de l’Altar, ou de la Valley que se dessinent les contours d’un renouveau. Là, les codes du hardcore, du metalcore, du death extrême ou du sludge se redéployent dans un langage plus poreux, souvent introspectif, parfois politique, toujours viscéral.
Ce qui frappe, c’est la diversité des postures et des propositions : des émotions vulnérables d’Imminence au chaos organisé de Chat Pile, du stoner/sludge noir d’Urne au lyrisme orchestral de Lorna Shore, chaque groupe impose son propre système de gravité. À la croisée de la violence sonore et de la sensibilité générationnelle, cette nouvelle garde incarne une scène qui se réinvente en cassant les silos : plus hybride, plus inclusive, plus libre.
Voici dix formations qui ont marqué l’édition 2025 par leur fraîcheur, leur force et leur singularité.
Knocked Loose (USA – Hardcore/Metalcore, 2013) – Warzone
Knocked Loose, c’est la rage du hardcore des années 2000 injectée d’un chaos nerveux à la limite du metal extrême. Le groupe du Kentucky a conquis la Warzone à coup de breakdowns dévastateurs, de riffs dissonants et de structures imprévisibles. Bryan Garris, leur frontman, éructe ses textes avec un sens du désespoir quasi théâtral. Leur performance a été brutale, mais précise, un uppercut émotionnel.
- “Mistakes Like Fractures” – A Different Shade Of Blue (2019)
- “All My Friends” – A Different Shade Of Blue (2019)
- “Counting Worms” – You Won’t Go Before You’re Supposed To (2023)
Chat Pile (USA – Noise Rock / Sludge) – Valley
Imaginez la démence d’un film de David Lynch transposée en mur de bruit poisseux. Chat Pile chante l’Amérique malade, l’ennui industriel, la folie mentale. Leurs sets sont claustrophobes, obsessionnels, viscéraux. Leur présence au Valley a été une anomalie précieuse, une performance malaisante, mais fascinante.
- “I Am Dog Now” – Cool World (2024)
- “Masc” – Cool World (2024)
- “The Mask” – God’s Country (2022)
Turnstile (USA – Hardcore mélodique) – Warzone
Turnstile a transformé la Warzone en dancefloor punk funk investi d’une ferveur collective. Le quintette de Baltimore injecte dans son hardcore des nuances funk, soul et dream pop, faisant de chaque moment scénique une invitation à la fraternité et à la danse. Une célébration lumineuse du genre.
- “Never Enough” – Never Enough (2025)
- “I care” – Never Enough (2025)
- “BlackOut” – Glow On (2021)
Falling In Reverse (USA – Post Emo/Punk) – Mainstage II
Ronnie Radke incarne une théâtralité rare dans la scène metalcore. Avec Falling In Reverse, il fusionne rap, pop punk, metal, EDM et ardeur émotionnelle. Leur set 2025 est un opéra de l’ego et de la douleur, entre egotrip et vulnérabilité assumée. Visuellement léché, scéniquement spectaculaire, le groupe divise autant qu’il fascine.
- “Popular Monster” – Popular Monster (2024)
- “Zombified” – Popular Monster (2024)
- “Watch The World Burn” – Popular Monster (2024)
Lorna Shore (USA – Deathcore Symphonique) – Mainstage II
Lorna Shore n’est pas juste un groupe de deathcore : c’est une cathédrale en feu. Avec ses orchestrations apocalyptiques, ses envolées épiques et les growls infernaux de Will Ramos, le groupe transcende le genre pour offrir une expérience quasi liturgique. Leur prestation à la Temple a été l’une des plus intenses du week-end, majestueuse et terrifiante à la fois.
- “Oblivion” – I Feel The Everblack Festering Within Me (2025)
- “To The Hellfire” – Immortal (2020)
- “Pain Remains I: Dancing Like Flames” – …And I Return to Nothingness (2021)
Urne (UK – Blackened Stoner/Sludge) – Altar
Inclassable et déroutant, Urne entremêle sludge poisseux, black metal atmosphérique et post hardcore émotionnel. Les protégés de Gojira plongent les spectateurs dans une noirceur ritualisée. Leur concert à l’Altar a tenu de la transe : un voyage dense, chargé d’angoisse existentielle et de tensions maîtrisées
- “Harken The Waves” – Single (2025)
- “Becoming The Ocean” – A Feast On Sorrow (2023)
- “The Burden” – A Feast On Sorrow (2023)
Slomosa (Norvège – Stoner Rock) – Valley
Slomosa définit son style comme du “desert rock from the frozen North“. Et tout est là : groove hypnotique, basse profonde, riffs fuzzy et nonchalance nordique. Leur concert au Valley a suspendu le temps, entre contemplation solaire et lourdeur sabbathienne. C’est lent, c’est chaud, c’est planant, mais sans jamais tomber dans le cliché psyché.
- “Horses” – Slomosa (2020)
- “Kevin” – Slomosa (2020)
- “In My Mind’s Desert” – Slomosa (2020)
Novelists (France – Metalcore Progressif) – Mainstage II
Avec Camille Contreras au chant, Novelists a opéré un virage émotionnel audacieux dans un metalcore jusqu’ici dominé par la virtuosité masculine. Leur nouvel album Coda conjugue sensibilité et technique dans des compositions lumineuses. Le groupe parisien prouve que la scène française peut elle aussi s’émanciper des dogmes et imposer une vraie personnalité.
- “Coda” – Coda (2025)
- “Say My Name” – Coda (2025)
- “All For Nothing”– Coda (2025)
Ashen (France – Metalcore/Alternative) – Mainstage 1
Ashen est un groupe parisien à l’énergie cinématographique : la musique devient catharsis visuelle, où bruit et mélodie s’entrelacent pour exprimer anxiétés, traumatismes et réflexions urbaines. Leur set sur la Mainstage 1 (dimanche 22 juin, 12h15–12h45) fut un moment suspendu : intensité rock, textures rugueuses et refrains mélodiques ont conquis un public large et attentif. Leurs performances mêlent moments de tension et envolées émotionnelles, positionnant Ashen comme l’une des révélations 2025.
- “Cover Me Red” – Chimera (2025)
- “Crystal Tears” – Chimera (2025)
- “Sacrifice” (feat. ten56.) – Single (2024)
Imminence (Suède – Post-Metalcore) – Mainstage II
Imminence ne crie pas plus fort que les autres – mais touche plus juste. Entre post metal, emo et ambiances orchestrales, le groupe mené par Eddie Berg (également violoniste) propose un metalcore sensible, mélancolique, mais toujours puissant. Leur show dans la Valley a été une respiration poignante au milieu du fracas.
- “God Fearing Man” – The Black (2024)
- “Infectious” – Turn The Light On (2019)
- “Come Hell or High Water” – The Black (2024)
La relève au Hellfest 2025 : prêts à relever le défi ?
Le Hellfest 2025 aura sans doute marqué un tournant, celui d’une scène extrême qui se réinvente avec une énergie nouvelle et des propositions sonores audacieuses. Mais une question demeure : ces jeunes formations, aussi talentueuses soient-elles, sont-elles prêtes à relever le défi d’être en tête d’affiche et de rassembler autant de public et de générations que les groupes old school qui ont façonné l’histoire du metal ? Si les groupes de la scène émergente, tels que Knocked Loose, Chat Pile ou Lorna Shore, affichent une créativité débridée et une capacité à émouvoir, leur place dans les Mainstages, face aux légendes du genre, n’est pas encore acquise. Ces jeunes groupes doivent encore prouver qu’ils peuvent porter l’énorme poids des attentes du public, celui qui, année après année, se presse devant les icônes de l’histoire du metal.
Le défi ne réside pas seulement dans la taille de la scène, mais aussi dans la capacité à créer un lien intergénérationnel. Les figures mythiques du metal bénéficient d’un capital de nostalgie et d’une histoire qui les propulsent devant des foules immenses. Ces nouvelles formations, bien qu’intrépides et pleines de promesses, devront-elles vraiment dépasser cette frontière entre la scène underground et la grandeur des Mainstages ? Les années à venir diront si ces groupes sont prêts à porter l’héritage tout en étant à la hauteur de l’héritage historique du genre. Mais une chose est sûre : la relève est là, prête à se faire entendre. Il ne leur reste plus qu’à convaincre le public que, tout comme les anciens, ils peuvent faire résonner leur voix pendant des décennies.