
Muse a clairement déclenché une avalanche de remarques désobligeantes et parfois haineuses à l’encontre du Hellfest. Pourtant, ce groupe n’est pas le premier à ne pas appartenir à la sphère metal – aussi vaste et variée soit-elle – à figurer à l’affiche du festival. Cela fait déjà plusieurs éditions que le Hellfest programme des artistes venus d’autres horizons. Je pense notamment aux Dropkick Murphys, que l’on imagine bien plus facilement à l’affiche d’un festival festif… voire d’une simple fête de la musique. Cette diversité musicale m’a pourtant permis de belles découvertes. C’est ainsi que je suis devenu fan de groupes comme Vintage Trouble ou Walking Papers, pour ne citer qu’eux.
Alors pourquoi autant de réactions maintenant ?
La question des têtes d’affiche
Il est avant tout question des têtes d’affiche, dont l’enjeu et l’impact sont très différents. Ce n’est pas comparable à une découverte musicale devant la Temple à 14h20. Ces groupes, comme The Prodigy ou Shaka Ponk l’an dernier, deviennent des représentants du Hellfest. Cela semble déjà poser problème à certains. Cette année, on a même les légendaires Cypress Hill, clairement hip hop. Ils jouent avec un seul réel instrument sur scène, une batterie.
Muse a un rayonnement tellement mondial et une image tellement mainstream que même mon entourage y est allé de petites remontrances et moqueries quand j’évoquais ma présence au festival “il y a Muse maintenant ? Vous n’avez plus de groupes ?“. Et forcément, lorsque l’on a expérimenté le Hellfest en 2008, qui s’est battu bec et ongles pour ce courant musical qu’on aime tant, pour qu’on le respecte, et pour une onzième fois à Clisson, cela passe plutôt très moyennement.
D’ailleurs, pas plus tard qu’hier, par rapport à l’heure où j’écris ces lignes, un ami m’a dit “Ah tu y étais ? Mais c’est plus vraiment metal si ? Il y a Muse et du rap… “. La parfaite illustration de la raison des critiques de cette programmation qui dérive lentement, critiques qui ne doivent pourtant ni être dénigrées et invalidées par les sempiternels “OK boomer” (le nouveau point Godwin invalidant toute opposition ?) sans autres arguments, ou considérées comme infondées.
Les conséquences
Ce n’est pas la programmation d’untel ou untel qui pose problème, ceux sont les conséquences présentes et futures. L’impression est de perdre le respect que l’on avait gagné envers et contre tous quelque part. La fierté que j’ai eue depuis 2008 vient de voir “mon” Hellfest grandir d’années en années. Cela a culminé avec l’apothéose organisationnelle, grâce à la présence des Guns N’ Roses et Mötley Crüe. Ces groupes sont difficiles à gérer, tout comme Metallica. Cette fierté semble désormais tournée en dérision par le monde mainstream. Le monde mainstream s’y insère de plus en plus.
Pourtant, cela n’a jamais été pour moi une critique qualitative, tant j’adore Muse et considère Matthew Bellamy tel un génie total, que ce soit dans la composition, ou son jeu de guitare et de claviers. D’ailleurs, pour les avoir vus plusieurs fois, on a toujours senti que ses trips instrumentaux parfois metal entre les morceaux semblaient vraiment indiquer qu’il se freinait un peu quelque part, qu’il voulait se lâcher. Et malgré les problèmes de sons, j’ai vraiment pris beaucoup de plaisir le 21 juin 2025 au soir.
Faut-il vraiment ouvrir le Hellfest à tous les styles ?
Je continue mon raisonnement par l’exemple : j’ai beau adorer le groupe de synthwave The Midnight, pour rien au monde je ne voudrais qu’ils soient au Hellfest. Sauf que… Carpenter Brut est déjà venu, puis Priest cette année par exemple… on va donc y arriver si The Midnight devient subitement à la mode.
On peut rire des Tchèques de Gutalax, de leur grindcore absurde et de leur humour scatophile pleinement assumé. Mais sur scène, ils restent probablement bien plus légitimes que beaucoup d’autres groupes présents. Voire même que la majorité d’entre eux.
On peut me rétorquer que tel ou tel groupe, pas du tout metal à l’origine, a collaboré. Cette collaboration peut porter sur un ou plusieurs titres avec un autre groupe de thrash. Par exemple, l’excellent “Bring The Noize” réunit Public Enemy et Anthrax. Donc, ce groupe est logiquement à l’affiche du Hellfest.
Toutes les collaborations du monde avec le metal ne rendent en rien légitimes la présence d’un artiste au Hellfest. Sinon, on peut bientôt inviter Cali qui a probablement aimé Metallica durant son adolescence, ou Miley Cyrus qui a même repris du Metallica. Le raisonnement et justification deviennent sans fin.
Le fameux “esprit metal”
De même pour le récurrent et rigolo “esprit metal“. Ce groupe ne fait pas du metal mais en a l’esprit, donc peut venir… mais quel est réellement cet “esprit metal” ? La révolte ? Le côté rebelle ? Là encore, difficile de s’en sortir, car il y aura forcément quelqu’un pour m’expliquer ad nauseam que Booba, sur certains points ou textes, a l’esprit metal, ou que je suis intolérant.
À l’inverse, j’attends avec impatience, le jour où un groupe de metal sera invité à un festival de rap ou de reggae.
A la différence de beaucoup “d’anciens“, je n’ai jamais été contre le fameux côté Disney, la grande roue, le nombre grandissant de festivaliers… Je suis même plutôt pour, m’estimant prosélyte de notre chère courant musical. Mais quantité ne veut pas dire qualité.
On m’interpelle en me disant “pourtant, tu aimes Skindred, Body Count, 24-7 Spyze“, oui, c’est un mélange effectivement, ce n’est pas QUE du metal, mais il y en a dedans. Et encore une fois, ce ne sont pas des têtes d’affiche.
C’est aussi un peu fort de critiquer les “anciens” comme moi, quand on se souvient que Ben Barbaud lui-même se moquait des journalistes qui imaginaient un jour des têtes d’affiche plus mainstream au Hellfest… Il avait pourtant bien affirmé qu’on n’y verrait jamais Muse ou un groupe du même genre.
Les raisons de ces évolutions ?
Alors pourquoi ce changement (je ne dis pas encore dérive) ? L’argent ? La pression de certains sponsors ? Le Hellfest ayant un tel statut désormais… est-il prisonnier du format 4 jours ? Parce qu’il faut les remplir, ces 180 slots… À force, ouvrir à d’autres styles peut ressembler à une forme de bouée de sauvetage pour programmateurs. Ils sont en mal de têtes d’affiche ou cherchent un certain renouvellement.
Quoiqu’il advienne du festival, quand bien même si cette édition est ma dernière, je resterai éternellement reconnaissant envers Ben Barbaud pour son œuvre, les émotions que mes onze éditions m’ont fournies, et je souhaite tout le bonheur et tout le bien possible au Hellfest qui restera une fierté à jamais.
En conclusion, le clivage entre anciens et nouveaux festivaliers du Hellfest semble aujourd’hui trop profond pour être comblé. Les anciens se sentent trahis par l’évolution de la programmation et le changement inévitable du public. Ce nouveau public est justement attiré par cette programmation plus large, qui fait du Hellfest “the place to be“. Les nouveaux venus ne comprennent souvent pas le malaise des anciens festivaliers. Ils tournent en dérision leurs critiques, avec une assurance parfois illégitime. Pour eux, le Hellfest a toujours été comme ça. Ils ne perçoivent pas le problème. À leurs yeux, ce n’est “juste qu’un festival“.
Même si le metal domine encore largement la programmation, les têtes d’affiche posent question. Elles attirent toute l’attention et influencent l’image du festival.
Le Hellfest n’a, selon moi, ni à devenir un Rock En Seine bis, ni à marcher dans les pas des Vieilles Charrues. Évoluer est nécessaire, c’est certain – mais encore faut-il savoir évoluer sans se perdre.