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Faut-il bannir les smartphones lors des concerts ?

Autrefois temples de l’instant présent, les concerts sont aujourd’hui envahis par une lumière bien particulière : celle des écrans. Bras tendus, flashs intempestifs, stories en direct, reels filmés à bout de bras… Il devient difficile d’assister à un show sans apercevoir un océan de smartphones surélevés, capturant chaque minute. Un geste devenu presque automatique, mais qui divise de plus en plus. Car à force de vouloir tout immortaliser, ne risque-t-on pas de ne plus rien vivre vraiment ?

Une nouvelle norme qui divise

Le smartphone, en apparence anodin, a radicalement transformé l’expérience live. Là où l’on vibrait collectivement dans l’instant, les regards se perdent aujourd’hui dans des écrans. Ce qui devait être un souvenir devient une distraction, un filtre entre l’artiste et le public. Et face à cette évolution, de nombreux musiciens montent au créneau. Certains demandent poliment, d’autres imposent. Une nouvelle ère de concerts sans téléphones est bel et bien en marche.

Quand les artistes reprennent le contrôle

Jack White fait figure de pionnier dans ce domaine. Lors de ses tournées, il a adopté le système Yondr, qui consiste à enfermer chaque téléphone dans une pochette verrouillable, rendant l’appareil inaccessible pendant toute la durée du concert. Ce dispositif a depuis séduit des artistes comme The Lumineers ou encore Bob Dylan. L’intention est claire : rétablir une forme de connexion directe, sans interférence, entre l’artiste et le public. Plus de vidéos tremblotantes, plus de lumières parasites. Juste la musique, les émotions, et le moment.

D’autres vont encore plus loin, à l’image de Maynard James Keenan. Le frontman de Tool et A Perfect Circle ne tolère tout simplement aucun usage de téléphone pendant ses concerts. En 2017, lors d’un show d’A Perfect Circle, plus de soixante spectateurs ont été expulsés pour avoir sorti leur téléphone. Une mesure radicale, mais assumée. Keenan conçoit ses concerts comme des expériences immersives, quasi spirituelles. Et dans cette vision, l’écran d’un smartphone n’a tout simplement pas sa place. Tool a cependant assoupli sa position ces dernières années, autorisant les vidéos sur un morceau bien précis à la toute fin du concert. Un compromis entre contrôle artistique et concession au besoin de souvenir.

Ghost, le silence pour renforcer le sacré

Plus récemment, Ghost a embrassé la même philosophie. Pour sa tournée Skeletour, le groupe suédois a également adopté le dispositif Yondr. En accord total avec l’esthétique quasi théâtrale de ses concerts, l’objectif était clair : préserver le mystère, éviter les spoilers, et maintenir une atmosphère sacrée. Dans un monde saturé d’images, Ghost a choisi le silence numérique comme forme d’intensité. Et force est de constater que le public, globalement, a joué le jeu. Beaucoup ont salué cette parenthèse sans écran comme un retour bienvenu à l’essentiel.

L’approche plus souple de certains groupes

Pour autant, tous ne partagent pas cette vision stricte. Coldplay, par exemple, a pris le parti d’intégrer les téléphones à l’expérience scénique. En distribuant des bracelets LED synchronisés avec la musique, le groupe transforme chaque spectateur en acteur du show, créant une mer de lumière collective qui dépasse l’envie de filmer. De son côté, Twenty One Pilots n’hésite pas à faire appel aux flashs des téléphones pour renforcer l’impact de certains morceaux, transformant le public en partie intégrante du spectacle.

Cette approche ne cherche pas à supprimer l’usage des téléphones, mais à l’orienter, à l’intégrer dans une dynamique collective et scénographiée, plutôt que de le subir.

L’expérience face à l’époque

La question divise donc. Faut-il couper net avec le numérique pour retrouver la magie brute du live ? Ou s’adapter à son époque, en canalisant les usages plutôt qu’en les interdisant ? Pour certains artistes, l’interdiction est un moyen de protéger leur performance, d’instaurer un climat d’attention et de respect. Pour d’autres, c’est une barrière trop rigide, une rupture avec le public moderne qui vit sa passion aussi en ligne.

En l’absence de loi, la décision reste aujourd’hui entre les mains des artistes et des organisateurs. Certains préfèrent simplement sensibiliser leur public, via des messages avant le concert, incitant à ne pas filmer ou à désactiver le flash. D’autres optent pour des règles plus strictes. À chacun sa vision du live.

Une affaire de choix, de respect et de moment

Et les fans dans tout ça ? Si une partie du public se montre réceptive à cette volonté de recentrer l’expérience, d’autres regrettent de ne pas pouvoir conserver de trace tangible d’un moment rare, parfois vécu comme une étape marquante de leur vie. Dans une époque où tout se partage, certains considèrent que filmer une chanson ou prendre une photo, ce n’est pas trahir l’instant, mais au contraire l’honorer.

Le débat est loin d’être clos. Il reflète une tension plus large entre nostalgie de l’instant pur et immersion dans l’ère numérique. Mais peut-être qu’au fond, la solution ne réside ni dans l’interdiction totale, ni dans le lâcher-prise absolu. Peut-être que vivre pleinement un concert, c’est avant tout faire un choix : celui de regarder la scène avec ses yeux, pas à travers une lentille. Et ça, aucun téléphone ne pourra jamais le reproduire.

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Anthony Bé
Fondateur - Rédacteur en chef du webzine RockUrLife