
Fair Warning marque un tournant décisif pour Van Halen. Pour ce quatrième album studio, le groupe nous met en garde contre un virage musical important, des textes plus sombres et surtout une imagerie plus radicale. La pochette, véritable choc visuel, tranche avec l’esthétique minimaliste des précédentes. Directement empruntée à une œuvre du peintre canado-ukrainien William Kurelek, cette image frappe autant qu’elle intrigue. RockUrLife revient sur cette cover dérangeante et sur l’œuvre qui se cache derrière.
L’album
Le 29 avril 1981, Fair Warning, le quatrième album studio du groupe américain mythique Van Halen, voit le jour. Malgré une bonne réception critique et une entrée solide dans les charts américains (5ᵉ du Billboard 200), il reste le disque le moins vendu de la période David Lee Roth. Le disque est court, dense et nerveux : neuf titres pour trente minutes, le tout produit dans un contexte tendu. Eddie Van Halen et le producteur Ted Templeman s’opposent sur la direction sonore, tandis que David Lee Roth enregistre seul, à l’écart du groupe. Pourtant, ces tensions se transforment en moteur d’innovation
Musicalement, le groupe s’éloigne du ton festif qui avait façonné son identité pour explorer un territoire plus sombre, teinté de groove et de funk. “Mean Street”, en ouverture, pose un décor urbain rude. “Unchained” s’érige en hymne immédiat grâce à son riff emblématique. Quant à “Push Comes To Shove”, elle ajoute une pulsation chaude portée par la basse de Michael Anthony. Les solos d’Eddie Van Halen, toujours plus inventifs et virtuoses, assurent la cohérence de l’ensemble. Résultat : un album unique et puissant, magnifié par une cover aussi violente qu’inattendue.
L’artiste
La pochette de Fair Warning est un montage composé de fragments de The Maze (Le Labyrinthe), une œuvre de l’artiste canado-ukrainien William Kurelek. Né en 1927, Kurelek grandit au Canada durant la Grande Dépression, dans un environnement familial particulièrement hostile. Cette enfance marquée par la brutalité lui laisse des séquelles psychologiques profondes, qui nourrissent sa production artistique. La peinture devient son exutoire thérapeutique : un moyen de donner forme à son anxiété et d’extérioriser ses traumatismes.
Kurelek développe un style artistique narratif, où chaque scène traduit un souvenir ou un état psychique. Certaines de ses compositions flirtent avec le symbolisme, voire le surréalisme. À sa mort en 1977, Kurelek laisse près de 2 000 œuvres, aujourd’hui considérées comme des piliers de l’art canadien. Ses créations sont souvent perçues comme un témoignage de l’angoisse du XXᵉ siècle : un choix visuel cohérent avec l’atmosphère rugueuse de Fair Warning.
La Cover

Avant de plonger dans la pochette de Fair Warning, il faut passer par The Maze, la toile qui l’a inspirée. Kurelek peint cette œuvre en 1953, alors qu’il effectue un séjour en hôpital psychiatrique. Il y extériorise la violence qu’il a subie enfant. À première vue, la composition est chaotique et abstraite. Mais en réalité, elle représente le crâne de l’artiste ouvert en deux. L’intérieur de ce dernier est transformé en labyrinthe mental où chaque case raconte un souvenir traumatique.
Dans ces compartiments étroits se succèdent des scènes brutales : harcèlement, violences physiques, pressions psychologiques, mais aussi visions de torture et d’automutilation. Au centre du crâne, un rat blanc recroquevillé symbolise Kurelek lui-même, épuisé et prisonnier de cette architecture mentale où ses traumatismes tournent en boucle.
L’intensité brute et sans filtre de cette toile a immédiatement frappé Van Halen. Le groupe a extrait plusieurs cases de The Maze pour constituer une pochette à l’identité visuelle dure et tourmentée.

C’est Alex Van Halen qui découvre ce tableau et qui le propose au reste du groupe. La pochette, découpée en trois cadres (un bloc vertical à droite et deux vignettes à gauche), ne reprend qu’une fraction du labyrinthe mental imaginé par William Kurelek. Le montage final, signé Pete Angelus, alors directeur artistique du groupe, condense uniquement les images qui cristallisent une violence extrême.
En haut à gauche, un homme tente de repousser un mur avec son crâne. L’image n’est pas violente en soi, mais elle l’est par sa signification : le personnage est coincé dans une impasse oppressante. Derrière cette paroi, deux silhouettes s’enlacent, mais leurs visages sont flous et indistincts. Cette unique scène de tendresse lui est inaccessible : il est condamné à faire face à ce mur épais, séparé de toute douceur.
Juste en dessous, une nouvelle case illustre un autre épisode de violence. Un homme chasse quelqu’un hors de sa maison, le visage fermé, aigri, presque menaçant. Si la pochette tronque la scène, le tableau complet montre un individu sans défense expulsé en plein blizzard. Cette figure masculine agressive renvoie directement au passé de Kurelek, marqué par l’autorité brutale de son père.
Enfin, la partie droite révèle une scène au sommet de la violence gratuite. Un enfant est passé à tabac par un autre. Kurelek précise que cette scène ne s’est jamais produite dans sa propre vie, mais qu’elle traduit sa peur d’une agression arbitraire et disproportionnée. La brutalité de la scène s’intensifie avec les deux témoins passifs, immobiles, observant la scène comme un spectacle.
Ces trois cadres déclinent chacun un degré de brutalité : physique, psychologique, intime ou sociale. Ensemble, ils montrent que Fair Warning ne se limite pas à l’histoire d’un amour contrarié. L’album plonge dans une noirceur profonde, traversée de désillusions, de tensions et de fractures humaines. En réutilisant une œuvre originale pour sa pochette, le groupe offre aussi une seconde vie à ce tableau déjà chargé d’une symbolique puissante.






